Le Moustique Bravade, bravoure et bavardage. WU < 4 J’en suis la de mes pensées quelque peu néga- . tives quand, accroupi sur la _ plate-forme, un grand corps sest soudain matérialisé. Un immense garcon, qui a tout de l’apparition miracu- leuse, me tend un bras salvateur et vigoureux. Je m’en saisis et découvre aussit6t que, sous sa peau tendue et couverte d’une toison blonde saillent des muscles semblables aux cables d’acier d’un pont suspendu. Il m’arrache du chenal avec facilité comme on I'aurait fait d’un paquet d’algues brunes rejeté par la mer. Dvailleurs, j’atterris sur le rebord rocheux avec un bruit qui confirme cette impression. ll a des yeux bleus, rieurs, un sourire éclatant aussi large que sa carrure. Il doit paraitre d’autant plus impressionnant qu’il se tient tout pres de moi. Je le remercie en bredouillant, puis me porte au secours de ma fille. Je la tire du chenal avec beaucoup moins d'efficacité, mais elle n’en a cure. Elle n’a d’yeux que pour le sauveur. Tres vite, elle apprend qu'il n’a rien de miraculeux. Il est guide et sert de béquille a une riche Américaine de plus de soixante-quinze ans qu'il accompagne tout au long du sentier. Il a tant d’énergie qu'il n’hésite pas a porter secours a tout randonneur en difficulté. Pour instant, nous dit-il, il s’;occupe a la fois de tenir 'Américaine a bout de bras, de porter les sacs a dos et de servir de camion-balais pour tous les trainards du sentier. J’essaie de ne pas me sentir Volume 4 - 2° édition Février 2001 visé, mais j’encaisse mal la remarque. Il me_ parait déja beaucoup moins sympathique, alors que ma fille est enchantée de rencontrer une espéce de héros qui a tout du chevalier servant. Il a dd laisser son armure et sa blanche haquenée a Port Renfrew. Je lui emboite cependant le pas, car il doit connaitre les passages au travers des chenaux et, surtout, les sorties de la plage vers le sentier en sous- bois qu’il nous faudra a un certain moment emprunter pour fuir la marée. Je me sens un peu comme le chef d’une expédition dont on aurait usurpé lautorité. Je me _ retiens cependant de manifester ma mauvaise humeur. Ne nous 2-t-il pas sorti du trou ? Quand méme ! Et puis, que ne ferais-je pas pour plaire a ma file ? Je suis donc le groupe a distance, invoquant un _intérét soudain trés marqué pour I’écologie des chitons, anatifes et diverses anémones qui barbotent dans les cuvettes d’eau de mer naturelles, abandonnées par la marée. Ma fille, qui n’arréte plus de_ babiller, commence a trouver le sentier de la céte ouest particuligrement excitant, tandis que l’Américaine, un peu délaissée, semble regretter son investissement. Bien qu’il pleuve encore par intermittence, le ciel est moins bas et la céte est trés iolie. Page 11