Le Moustique Volume 4 - 10° Edition ISSN 1496-8304 Octobre 2001 A notre gauche, la mer bleu pale, presque étale, se manifeste a peine par de petites vagues qui s’efforcent sans prétention de remuer quelques galets. Au loin, une cote montagneuse d’un gris pale pourpré empéche, en partie, la mer de basculer dans I’infini. C’est toujours la céte des Etats-Unis d’Amérique, mais plus lointaine que jamais. A notre droite, la riviére Walbran sort en serpentant de la muraille végétale. Dans un dernier méandre, elle tourne devant nous, brun verdatre, lente et chargée de tanin. Elle léche au passage une falaise de pierre claire, crevées de cavernes a l’entrée tapissée de sable fin. Alors que je me laisse aller totalement au charme de I’endroit, ma fille, soudain fébrile comme |’animal qui a deviné la présence du prédateur, se léve d’un seul mouvement et, tout en reniflant l'air, regarde avec inquiétude le bout de plage par ou déboule le sentier. Puis elle me bouscule, me force a me lever et me pousse le sac sur le dos. - Il arrive, dit-elle affolée ; il nous a rattrapés. Notre retraite est coupée ; le guide arrive sur nous rapidement. Devant, la riviére large et relativement profonde nous barre le passage. Sans trop d’hésitation, on se jette a l'eau. Bien que sautant habilement d’un bloc glissant 4 un galet branlant, l'eau nous vient encore jusqu’a mi-cuisse. Nos chaussures de marche sont trempées, mais qu’importe, c’est la fuite désordonnée. On atteint j‘autre bord sans trop d’encombre et l’on s’appréte a prendre, en courant, le plus de distance possible quand la trappe se referme sur nous. Voila une chose a laquelle nous n’avions pas pensé : la plage est plane et sans obstacle, mais sous le poids de notre chargement on s’enfonce profondément dans le sable fin. Au bout de quelques centaines de métres, nous sommes hors de souffie, tandis que le guide, d’un pas ferme et régulier, nous rejoint inéluctablement. ; - C’est trop injuste, s’exclame ma fille, en plus i! a les pieds plats ! En fait de justice, il me semble qu’elle ne lui en fasse aucune : le gars arrive sur nous comme le vent. Ses pieds ne semble méme plus effleurer la surface du sable. !I parait irrésistible dans sa progression. Il arbore un sourire resplendissant ; il fond sur nous avec chaleur. - J'y ai pensé toute la matinée, nous clame-t-il, joyeux ; aprés une longue hésitation, j’ai enfin trouvé : le saumon n’était-il pas épicé de clous de girofle ? - Si dis-je, de paprika et clou de girofle. - Ah ! Voila donc lorigine de ce goit si particulier. Quelle merveilleuse idée, c’était génial ! Je regarde ma fille. Totalement insensible au compliment, elle fait semblant d’étre a mille lieues de 1a. - Oui ! Mais, était-ce comestible ? Un sourire en coin, je ne peux me retenir, en plus, de lui demander si elle compte nous proposer, ce soir, une autre recette originale. Sur ces remarques, elle me retourne un regard a réduire en cendre plus de vingt années de totale abnégation paternelle. - Non | Répond-t-elle en s’adressant au guide, souriante. Ce soir, c’est mon pére qui est chargé de Ia cuisine. Dans ce cas, et de toute maniére, je vous recommande d’éviter notre table si vous tenez a arriver vivant 4 Bamfield. Sa réponse me parait ambigué au point de ne pas comprendre ce qui, en fin de compte, pourrait de fait affecter la santé du guide. Jean-Jacques Lefebvre A suivre dans le prochain Moustique !