VOYAGES Le Soleil de Colombie, vendredi 19 mai 1989 - 13 Par Jean-Claude Boyer Stuttgart (s.-o. de |’Allema- gne), 28 septembre 1984. J’arrive en train de Munich ou «il n’y apas de place a l’hétellerie», la ville étant envahie par une _ Marée d’«Oktoberfestivaliers». Au bureau de tourisme, on me _ donne dépliants et renseigne- * ments pratiques. Je trouve donc Sans difficulté les volées de marches menant a la grande Aj qui domine la ville. ; En miinstallant dans un dortoir, un jeune Allemand miapprend que «Stuttgart» Signifie «jardin des juments». La ville doit son nom a la proximité d’un haras )établisse- ment destiné a la reproduction et a l’amélioration de la race chevaline). Si je rencontre ici un Québécois, j’en profiterai pour parler joual! Un _ dépliant mentionne que Stuttgart fut le berceau de |'industrie automo- bile allemande; me vient a esprit le terme technique «chevaux» qui, justement, relé- ve de ce domaine. C’est maintenant |’heure du souper. Je ressens une faim de cheval. Heureusement, la nourriture de l'auberge est délicieuse et les portions généreuses. J’en hen- nis de satisfaction. Soirée a causer sur le grand _-balcon surplombant la ville. Un ciel enflammé, suivi de lueurs crépusculaires aux nuances infinies, raméne imperceptible- ment les voiles sombres de la nuit. Splendide! Je me couche tot, aprés avoir noté dans mon journal un détail nouveau: la lumiére des toilettes s’éteint automatiquement, ce qui n’est pas toujours pratique. Samedi, 29 septembre. Nuit reposante. Le soleil entre a pleine fenétre. Au petit déjeu- ner, inclus dans le prix du coucher, café a volonté. J’aime cette grande auberge propre, accueillante, en partie remplie Récit d’un tour du monde Au jardin des juments d'écoliers a la fois débordants de vie et disciplinés - l’oeil vigilant de plusieurs adultes n’étant pas sans aider. Je reloue mon lit, et me voila prét a parcourir, a pied, le centre de Stuttgart. Cette ville ayant été a demi rasée en 1944, jl n’est pas étonnant qu’elle se soit donnée une physionomie moderne. Ses fonctions administratives, ses industries de bien d’équipement (livre, électronique, — instru- ments de musique) et ses activités culturelles (opéra) se sont conjuguées pour en faire, dit-on, une des villes les plus dynamiques du _ pays. Je traverse passages souterrains et rues piétonnes pour me retrouver dans une artére importante, face a la gare, exclusivement réservée aux piétons. J’assiste la au réveil rapide delaville. Il yabientét un monde fou! J’apprends qu’on célébre aujourd’hui la féte des moissons, |’«Action de graces» a l|’Européenne. Commence alors la chasse aux mini-concerts et al’insolite. Peu a peu, je sens revivre, comment dirais-je, |’exubéran- ce de mes 16 ans. Je m’attarde d’abord devant une harmonie en costumes noirs et rouges. Alternance de populaire et de classique. La joueuse de glockenspiel manie les mar- teaux le plus naturellement du monde, large sourire, |’air détendu. Puis je passe d’un magicien a un jongleur-équili- briste-cracheur de feu. Une agréable odeur de_ tabac hollandais me chatouille les narines. Tiens, un homme- orchestre. Il se présente en anglais avec un accent on ne peut plus francais: «Bonjour. Joyeux Noé/ [il ne dit pas «Merry» mais «Happy»]! Il fait bon revenir a Paris! S'il y ena qui aiment lamusique, j ‘vous en prie, allez-vous en!» Et la cacophonie se _ déclenche: coups de téte, de pieds, de coudes, de genoux, de doigts, de bec, alouette. Quelques percées mélodieuses incitent le spectateur a jeter dans le chapeau renversé du «cacopho- niste» une piéce de monnaie. Je me remets a marcher. Fidte traversiére et cascades de sons limpides, puis «barbershop quartet» (quatre hommes chan- tant en harmonie étroite). Plus loin, un jeune violoniste joue du Vivaldi en s’accompagnant de musique sur cassette. Orgues de barbarie, manivelles tour- nées ici par un manchot, la par un aveugle. Je me repose, assis entre un guitariste classique (i! joue ARANJUEZ et du Villa- Lobos que j’ai moi-méme déja pratiqués avec ferveur) et un joueur de flGte des Andes. Un robot attire mon attention au moment ow on le monte sur le trottoir. Les enfants n’en croient pas leurs yeux. Cet tre métallique est particuliérement: doué: il se dirige vers les gens, s’adressant a eux personnelle- ment, arrose tout le monde en tournant sur lui-méme, rougit (lumiéres rouges) sous la caresse et le baiser d’une jolie blonde... Je connais des -humains moins vivants: Aprés avoir dévoré pain, fromage et pomme, comme je le fais souvent la ot le codt de la vie est trés élevé, je retourne me reposer prés du jeune violonis- te; violon et piano enregistré s'harmonisent parfaitement. Je m’approche ensuite de quatre Tures enchainés les uns aux autres, les yeux bandés; ils protestent, nous apprend un tract, contre le régime militaire de leur pays. Ailleurs, un petit ensemble de cuivres, étincelant au soleil, déverse avec entrain son folklore bavarois: le tromboniste allonge et raccour- .Jubilé», cit sacoulisse sans ménager les pitreries. Derriére une église gothique protestante, je me méle a une foule recueillie devant un long étalage de fruits et légumes bien agencés dans des caisses de bois, le tout encadré de jolis arrangements floraux et de bottes de foin. Un panneau déclare: «On récolte la recon- naissance que lon séme». Chorale mixte. et musique d’orgue lancent au ciel des hymnes a la joie. Visite de l'église (la Stiftskirche). J’y: admire son beau portail des _Apétres, les teintes flamboyan- tes deses vitraux élancés et une impressionnante rangée de Sstatues-reliefs (XVle s.) repré-. sentant des comtes armés; ils ‘personnifient davantage !’esprit chevaleresque que les vertus chrétiennes. Je me reméle ensuite a la foule. A un coin de rue, une «sculpture» en... boites de conserve montre du «doigt» une rue transversale. Je m’y dirige, curieux. Au bout de cette petite rue, j’apercois une énorme construction en... boites de conserve. A l’intérieur: exposi- ‘tion de documents fort élo- quents sur la faim dans le monde. Ingénieux, ces Alle mands. Suit une longue promenade, carte de la ville en main. Je découvre un parc agrémenté de .cygnes et de jets d’eau, un chateau et sa «colonne du divers monuments, sculptures, fontaines: Schiller, Hegel; profil a la Rodin, téte pensive et bras sans corps, chevaux cabrés, fontaine a bascule:.. Un jeune monte sa bicyclette sur un c6té.d’escalier aménagé a cet effet. De retour a |’AJ, je fais la connaissance d’un Picard, sorte de cousin historique, avec qui je passe une soirée agréable au balcon. Je distingue sur un toit le symbole de la compagnie Mercedez-Benz; il proclame, a mes yeux, la remarquable prospérité de Stuttgart. Autre coucher de soleil a inspirer cent *poemes. (les deux jours suivants sont racontés dans mes articles sur Heidelberg et Baden-Baden.) AJ de Stuttgart, 2 octobre. Petit déjeuner entouré d’Alle- mands qui ne ménagent pas leurs coups de glottes. Devant moi, cependant, un bel Italien aux yeux bleus qui me recommande fortement la Thai- lande. «Bangkok est plein de belles femmes, mi-thailandai- ses mi-am6ricaines, affirme-t-il entre deux cuillérées’ de céréales. Elles doivent se prostituer pour survivre... Jy suis allé trois fois... Les Thailandaises sont tellement folles de moi que laderniére fois jen ai eu assez aprés trois jours!... Situ aimes ce genre de choses, tu n’as qu’a aller dans un bar, et en moins de dix minutes, tu te feras approcher par 30 ou 40 femmes... Tout est différent en Thailande!» Pré- cieux renseignements, mamma mia! Plus tard, en attendant le train pour Munich, je jette un dernier coup d’oeil sur-mes dépliants avant de les jeter, et ajoute a mon journal ce dernier détail : la bibliothéque de Stuttgart pos- séde 8,300 bibles! Un réve pour les Gédéons! Et me voila a nouveau installé) dans un compartiment, écouteurs sur la téte, prét a me laisser émouvoir par AIDA - quej’irai voir ce soir. Le «jardin des juments» s’éloigne rapidement pour lais- ser apparaitre de grands vignobles, ces jardins cultivés par Bacchus pour réjouir le coeur de |’homme. & Par Marie-Louise Bussiéres Morris Panych ne cesse de nous surprendre d’une piéce a l'autre. Il fait preuve d’une imagination intarissable. Com- me d’habitude, il n’écrit pas un texte linéaire, mais une série de courtes scénes. Cela concerne les locataires du 7iéme étage d'un immeuble. Un _ seul Personnage établit les liens entre eux; un monsieur en habit, cravate et chapeau melon, debout sur la corniche; qui tente de se suicider. Bien sdr les voisins aux fenétres le dérangent continuellement et partagent avec lui leurs problé- mes. Un psychiatre ressem- blant 4 ses malades lui refile plusieurs boites de pilules. Une vieille dame lui raconte sa derniére sortie, trente ans plus A I’«Arts Club» de I’ile Granville «7 stories» de Morris Panych: hallucinant et drédle! t6t. Une infirmiére déteste ses malades. Un acteur en crise d'identité fume sa derniére cigarette avant de se marier. Un couple sado-masochiste le prend a témoin. Et ca continue! Morris Panych regarde avec . humour et tendresse les déviations du genre humain. II manipule les clichés avec tant d'originalité qu’ils perdent leur sens de déja vu, deviennent une excuse a l’humour et surtout une satire sociale. C'est absurde! Ca ressemble a du Samuel Becket én plus dréle! — En tant que metteur. en scéne, il aun oeil cinématographique. Dés le début du spectacle, l'illusion est créé, un générique se déroule sur un écran al’avant scéne. Il insiste sur des détails comme le ferait une caméra. Les fenétres délimitent des espaces restreints dans lesquels se produisent les acteurs. Tout prend de |l’importance; le ton des voix, |’apparition d'un bras, d’une jambe, d’un buste. On sent ce qui se passe a l’intérieur de l’appartement. Pourtant on ne voit que quelques détails. Il ne s'agit pas ici d’une forme d'interprétation réaliste mais d'un style «dessins animés». Et quelle performance! Chaque acteur est a sa place, chaque geste calculé, ca bouge d'une fenétre a l’autre. J’imagine l’activité folle des coulisses. Peter Anderson, Sherry Bie, David King, Norman Browing, Wendy Gorling jouent quelques 15 réles. De simples trucs d’éclairage de -Marsha Sibthodrpe sur. le décor de Ken MacDonald produisent des effets halluci- nants - notamment lorsque l'homme en habit vole comme un pigeon sans bouger. Vous voulez rire? Vous aimez V'inhabituel? 7 STORIES vous comblera. Le talent de Morris Panych réside dans le fait qu’il excelle & manipuler divers rythmes dans un méme specta- cle sans devenir incohérent. II sait aussi utiliserles acteurs ala fagon d’un cinéaste. Comme un chef d’orchestre, il surveille les fausses notes. Si un des interprétes est faible, |’ensem- ble le compense. Avoirabsolument! 7 STORIES au Arts Club de I’tle Granville la rue Seymour. Informations: 687-1644. Karaté traditionnel Centre communautaire. ide Mount Pleasant, : Vancouver. Tel.: 874-8165