Le Moustique Ce bonheur était extraordinaire. Un peu trop, peut-étre. Tout a basculé ce jour. Un jour comme les autres ot rien ne laissait prévoir ce boulever- sement, pas méme mes réves. A moins que ... Je me sentais dans une forme éblouissante aprés avoir passé une nuit des plus agréables pendant laquelle j avais révé une fois encore que je m’étais envolé. La méme impression que dans une piscine. L’eau vous vient jusqu’a la poitrine ; vous vous laissez aller sur le dos et, sans peine, vous faites la planche. Vous vous laissez ballotter par les vaguelettes, c’est relaxant, puis d’une grande brasse vous filez comme un oiseau vers le ciel. A vos pieds, le monde s’agite en vain tandis que, tout 1a haut, a la fois seul et au-dessus de tous, l’espace en entier est votre royaume. J’étais trop heureux. Il fallait que je partage ce bonheur avec quelqu’un que j’aime. Je m’habillai donc pour retrouver mon amie. Ainsi, j étais 1a, 4 me raser devant le miroir tout en pensant 4 ces impressions merveilleuses et, presque inconsciem- ment, je refis tous les gestes de mon réve. C’est alors qu’a ma plus grande stupéfaction, je me sentis basculer lentement et rester 1a, entre le plancher et le plafond, a flotter comme un ballon en baudruche a demi dégonflé. La surprise fut si grande que Volume 3 - L. homme gut [lM a. (suite) 10°" édition Octobre 2000 GAGNON j’en tombai de haut, au propre comme au figuré, et restai allongé sur le sol, le visage barbouillé de savon, 4 me demander si j’avais révé ou si j’avais perdu connaissance. J’étais troublé au point d’en oublier mon _ rendez-vous. Il était impossible qu’une telle chose puisse se passer. Je voulus me ressaisir, me convaincre que cet événement n’était qu’illusion, toute réaliste qu’elle ait pu paraitre. Mais cela non plus n’était pas rassurant. Est-ce qu’alors je devenais fou ? Malade ? La panique s’empara de moi. Pendant plusieurs jours, j’essayai de ne plus penser, méme de ne plus dormir. De toute maniére, je ne fis plus aucun de ces réves étranges. Comme s’ils n’appartenaient plus au monde de mon sommeil, comme s’ils avaient basculé dans celui de la réalité. J’avais une crainte irraisonnée de me laisser a ces songeries auxquelles j’étais accoutumé et de refaire les gestes de ce terrible matin. De voir le phénomeéne se reproduire et de confirmer ainsi cette incroyable situation. Ce qui me paraissait si merveilleux dans mes réves devenait 4 présent un cauchemar en temps d’éveil. A la longue, je n’y tins plus. Cette incertitude devenait par trop angoissante. Il fallait faire face a cette nouvelle situation. S’assurez de ce qui