ON SE SURPREND par- fois 4 developper une sym- pathie pour des étres, seu- lement a en entendre par- ‘ler. C’est le cas pour le Sculpteur. Kieff qui expose a la Galerie Moos de Mont- réal. Chez lui on trouve un exemple méritoire et hono- rable de ceux qui ont le gout du risque, le risque de he plus répondre qu’a ses propres nécessités, comme homme et comme artiste. Mais qui est Kieff Gre- diaga? Né-en 1936, 8 Ma- drid, il passe de nombreu- Ses heures de son enfance dans l’atelier de son pére, qui fait a l’époque de la restauration de statues en bois polychromes, comme on en-trouve en Espagne. Kieff est done trés jeune confronté au travail avec la matiére, et c’est sans doute par ce biais . qu’il aura la possibilité d’acqué- rir cette grande maitrise technique qui le caracté- rise. Cependant, vers l’age de 17 ou 18 ans, Kieff se di- rige vers une toute autre voie. Il entreprend des étu- des trés sérieuses en musi- que et jusqu’a l’age de 34 ans, sa Carriére n’est qu’essentiellement musi- cale, plus particuli¢rement dans Vopéra. Tout a coup en 1969, un revirement s’opére. Kieff, profondement individualiste, est géné par |’aspect forte- ment “‘socialisé” qui en- Le souci de la forme toure sa profession: travail en équipe, réceptions et tout ce qui va de pair avec le monde du_ spectacle. Kieff abandonne complete- "Ment sa carriére musicale pour faire de la sculpture. A ce moment précis ou le choix s’effectue, qu’a-t-il pour réussir? Kieff a fait des études de dessin et d’architecture, mais il n’a pas la formation classique que donnent les écoles des Beaux-Arts. I] a bien sir travaillé avec son pére étant jeune, a la fabrica- tion de meubles, par exem- ple. Mais il n’a pas une longue expérience qui puisse l’assurer de son choix. Sur quoi peut-il miser au moment ot le choix de faire de la sculp- ture se présente a lui comme un impératif? Sur peu de choses au point de vue pratique. Mais il a le gott du risque; et il a ~ avant tout une confiance profonde en ce qu’il est et en ce qu’il peut faire. Aussi il se lance dans I’a- venture, parce qu’il a quel- que chose a dire, quelque chose “a faire voir’. Ses plus grands atouts sont ceux d’une richesse inté- rieure et réelle qui le pousse irrésistiblement a créer. Il faut aller au bout de soi-méme. Depuis deux ans, Kieff a exposé ses oeuvres succes- sivement a Montréal, Ot- tawa, Hamilton, Boston. Il parfaite connait un accueil et un succés peu communs en si peu de temps, tant du point de vue commercial que du point de vue critique. Tra- vailleur acharné et infati- gable, on peut dire que Kieff a vraiment réussi une ‘prouesse. Il a exécuté un trés grand nombre de sculptures en bronze poli, dans une. grande variété de formes et de compositions. Et ce qui est remarquable chez lui, c’est qu’il ne verse pas dans la facilité, malgré sa trés grande mai- trise technique. Il a le souci de la forme parfaite, du fini impeccable, de la qualité. J’ai cherché en vain dans les bronzes expo- sés, une faille, ‘un défaut de la surface. Pas une trace d’imperfection. Mais il y a plus. Il ya des ima- ges proposées, des formes achevées, la beauté d’un mouvement qui s inter- rompt. Devant ce prodige de créations réalisées en deux ans par Kieff, la ré- ponse du public a été inat- tendue. Peut-étre Kieff/ br- rivait-il au bon moment, peut-étre a-t-il réussi a combler un manque au point de vue de la sculp- ture contemporaine. Car ce qu'il fait plait tout de suite, il faut bien l’avouer. Mais ce n’est pas 1a son désir le plus profond. Kieff est peui-étre de ceux qui réus- sissent malgré eux. Car il ne prétend pas étre a la Taurus Une confiance profonde en ce qu’il est. fine pointe de l’'avant-garde ce qu'il fait, avec beaucoup en sculpture. I] ne doute - de simplicité, mais avec pas de son oeuvre par une grande rigueur. préoccupation de se mettre Cest un artiste dont on au diapason pour un *‘‘pro- peut attendre beaucoup et grés” ou une “marche en qui devra donner beaucoup. avant” de l'art. Tl croit en F.L.G. | par HENRI DIACONO. acharné, Sit6t le portail franchi — phe, ami du couple. au mas. et de biére. NICE (AFP) — “Notre Dame de Vie’, un mas, sec com- me la terre qui Ventoure, non loin de Cannes et au seuil de Mougins. Cest 1A, 4 la lisiére de la Provence, que de- meure Pablo Picasso depuis des années. C'est 1A qu'il fétera bientot — le 25 octobre — son 90¢me anniversaire. _, Condamnant sa porte A tous les importuns, le plus cé& lebre peintre de notre temps y méne une vie simple, parta- gee entre Jacqueline, sa femme, quelques visiteurs — tou- Jours des amis — son chien, ses perroquets et un labeur accompagne un photogra- Les ans ne semblent pas avoir de prise sur la peinture. Son visage halé reste illuminé par deux yeux pleins de ma- lice, des yeux qui conservent la curiosité dévorante de Yen- fance. Picasso porte une chemise 4 res sur un short, les pieds chaussés d’ L’accueil est simple, chaleureux. I] me tutoie tout de Suite. “Si tu as franchi cette porte” dit-il, ‘“c’est que tu es un ami. Et si tu es un ami, je te dis tu’. Cette hospitalité rude et tendre, celle d’un ourvrier ou d’ de sa générosité les trois heures trop b petits carreaux tricolo- espadrilles. un artisan, baignera reves de notre visite Nous entrons dans la salle commune du rez-de-chaussée, Dans un désordre qui n’a de confus que l’apparence, des pi- les de photographies, certaines jaunies toient sur un buffet des lettres soigneusement rangées. Sur la table ronde, recouverte d'une nappe sont disposés autour de bouteilles de jus de fruit, de soda Sur un sofa, des dessins, des dizaines de dessins, originaux et reproductions, et une oeuvre du maitre de mai- son: un portrait de la fameuse ‘‘époque bleue”. Un peu plus loin, sur un fauteuil, un tablea originaux de Duly. Aucun de c en valeur, accroché sur I’ un des murs b Perchés devant deux rideaux te: peroaues et un mainate montent la ui-la n’est pas intéressant, dit Picas roquet. I] est incapable de soutenir u de Matisse et des croquis es trésors de l’art n’est mis lancs de la piece. ndus sur un mur, un garde en silence. ‘‘Ce- so en désignant le per- une conversation avec _ Le peintre et Jacqueline se sont assis autour de la table avec Miguel, le secrétaire de la famille et un couple d’amis peintres. Chacun s’est assis comme il aux pieds de Picasso, sur un tabouret d icasso s’intéresse trés vite aux appareils du photo- graphe. La photo a tourjours été une de ses passions. Il en examine un et prend une photo de sa femme. Le peintre apo les prénoms. Il ne s’adresse a ses intimes ou ne les ésigne que par: celui-la... celle-la... celui-ci... “Cest une habitude que je lui ai toujours connue, me confie Mme a pu. Jacqueline est le ferme. A la veille de son 90e anniversaire Trois heures chez Pablo Picasso Picasso. I] m’appelle rarement presque toujours... celle-1a’’, , Entre-temps, son mari s’est absenté — il fera ainsi de fréquentes et bréves disparitions — pour revenir avec un eventail japonais. “Ils sont quand méme fo ces gens-la, dit-il, pensif. appareil de photo), puis ¢a tail) ou bien encore des chi a travers la fenétre vers |’ meuble en construction au bord de la mer). “Ils ont de la chance, les vent travailler avec un tas de de mon temps’. qu’il fera a l'art. ‘ Picasso ne parle jamais de ses oeuvres. Il les montre. f deux lourdes grilles d’acier commandées électriquement — les Pic au bout d’un chemin ombragé. J’ ‘aSSO nous recoivent par le temps, cé- tricotée, des verres Jacqueline. Pour lui, je suis rmidables, ' ee Ils te font ca (il désigne un Picasso travaille beaucoup. “Comme jamais encore (il montre les dessins d a aieks ses comme ¢a”’ (il tend la main immense mur de béton d’un im- jeunes, poursuit-il. Ils peu- matériaux modernes inconnus Ce sera pratiquement la seule allusion D’une de ses allées et venues, il raméne sa derniére créa- | tion: une petite toile représentant un buste d’homme. Ill la montre a tout le monde sans autre commentaire que... “Je lai faite cette nuit. Attention, la peinture est encore humide” Une pointe de fierté perce dans sa voix. il n’a travaillé, raconte sa femme. Tout au long de l’aprés- midi et souvent tard dans la nuit, il s’enferme a double tour dans son atelier. Il ne s’accorde qu'une pause. Vers 18 heures, il descend boire sa tasse de thé, accompagnée de pain grilié. I] ne manque jamais cette cérémonie’’. ‘atelier du premier étage est son refuge. Nul n’y péne tre sans autorisation et la clé de la porte ne quitte pas la poche du peintre, accrochée au méme trousseau que celle | d'une autre piéce de la maison, “I’atelier d' Avignon”. “Pour- quoi Avignon? Je ne sais pas... J’y ai travaillé. Maint tu y trouveras des toiles de moi. D’il ya meee d’autres, celles de mes amis qui sont partis: eau, Matisse, Dufy’’. : : Aujourd’hui, Picasso travaille dans une longue salle, s’ouvrant sur une sorte de loggia tapissée de verdure laquelle s'engouffre le soleil. Des toiles partout, et de toutes les dimensions: sur les murs, par terre, posées. a plat ou rangées les unes contre les autres. Presque toutes portent la méme date: 1971. <= Sia Le peintre saisit une grande toile: le portrait dune sorte d’androgyne traité dans les bruns, les verts et le rouge. Les yeux immenses d'une femme (ceux de J ine). Coiffé d’un chapeau melon surmontant une barbe fumant la pipe. Picasso, le haut du corps caché par le ta- bleau, la main gauche caressant la barbe du sujet, glousse: “Elle est mignonne, celle-la, n’est-ce-pas? Quel effet cela” fait-il de l'autre coté? Est-ce que c’est beau?”’. : Aprés avoir répété la méme mise en scene derriére un autre tableau, derriére lequel, cette fois, il a Pee 2 femme, il retrouve son sérieux pour nous avertir ‘‘ ne pas marcher sur les ébauches étalées sur le carrelage”. faut faire trés attention, explique+t-il. La peinture mouillée, et iy tiens. C’est peint avec une couleur formi- dable: la van dyck. Elle est tres belle, mais elle aled de couler. Alors je peins par terre, 4 plat’’. eee Dans un coin de I’atelier, soigneusement suspendus, des “habits de lumiére” et des kimonos. Picasso s’en revét de temps a autre, pour son plaisir, et aussi pour amuser sa femme, Miguel, ou bien son chien, un superbe a! L’animal nous précéde dans le jardin, sur le chen du retour. Picasso nous raccompagne a petits pas. ‘‘J’a ce jardin”, dit-il. “‘Quelques fois je m'y promene pour écouter les bruits de la vie. Tu sais: ceux we font les in. sectes ou bien les petits oiseaux dans les branches’. Au bout du sentier, pres du portail, il nous salue. Les y heures sont passées trop vite. LE SOLEIL, 8 OCTOBRE 1