e LeMoustique Volymez 5 7° édition Juillet 2000 Chroniques Victorieénnes Quelle mouche pique donc les Victoriens ? Me serais-je plaint un peu trop qu’il ne se passa rien dans notre Capitale ? Toujours est-il que notre petite ville tranquille résonne presque tous les jours, parfois méme plusieurs fois dans la journée, du tintamarre inquiétant des grandes métropoles. Jusqu’au plus profond de la nuit, des sirénes hurlent leurs plaintes, habillant nos cauchemars d’échos angoissants, de dérapages Doppler peu rassurants, d’agitations tumultueuses et de bruyantes confusions. Des rougeoiements lointains constellent nos nuits d’encre et réveillent dans la gent retraitée des angoisses qu’ils croyaient a jamais effacées. Alors que le sida resserre son étreinte sur |’4me africaine, qu’Escherichia Coli malméne les Ontariens, Victoria connait aussi l’épidémie. Ici, ce sont les feux d’une affection étrange qui tourmentent nos braves citadins. Une maladie ignominieuse et sans doute contagieuse, car les cas se multiplient 4 la honte générale. Depuis une semaine, les incendies se multiplient dans la capitale. Une véritable pyromanie. Et chacun de se poser la question : mais quel plaisir peut-on avoir 4 mettre le feu a des édifices ? Ces crimes ne sont pas l’expression d’un ego démesuré dont l’ambition principale est de paraitre dans les journaux ; les responsables ne sont pas encore, aprés plusieurs semaines, connus de la police. C’est une autre motivation qui pousse ces gens étranges a commettre leurs forfaits. Une jouissance malsaine a voir des ouvrages s’effondrer, dévorés par les flammes, les efforts de certains réduits en cendres. II y a la une volonté de destruction qui parait étre également une forme de purification par le feu. S’agirait-il d’un acte qui se voudrait empreint de magie paganisante ? Mais alors l’offrande, dédiée 4 je ne sais quel dieu du plaisir et de la destruction, ne serait pas importante. Le premier batiment venu conviendrait, surtout s’il est accessible, s’il se trouve une porte que l’on a oublié de verrouiller, une fenétre entrouverte. Ce serait une vieille maison délabrée qui sert de refuge a des sans-abri, un magasin moderne sans attrait, une boite de nuit ou une salle de réunion sans esthétique. Pas de monument ancien ou historique, pas d’ceuvre architecturale ; le rite de cette messe sacrificielle est modeste et ne vise pas a une grande cause. C’est un plaisir solitaire, allumé au coin d’une rue obscure, une passe furtive au coin d’un bon feu, ot le bonheur se mesure seulement a |’intensité des flammes, 4 l’impuissance des pompiers. Gamin insouciant, nu sur les plages de sable. Seulement habillé d’un maillot de laine, tricoté par une mére consciencieuse. De ces calegons qui se portaient si mal sur les photos bistrées, qui tombaient en tristes poches sur des jambes maigres et blanches. Jeunes ancétres, raides, les mains crispées sur le seau et la pelle de bois, nous n’avions pas d’allure, mais nous savions déja que le monde se divisait en deux catégories d’individus : ceux qui construisent les chateaux de sable et ceux quiles détruisent. ........