celui des roses. Je me laisse enfin étourdir par les senteurs terpéniques des sauges automnales. A l’époque des frimas, ce sont les parfums suaves des gardénias tropicaux que je viens voler prés de l’entrée ou que je paie au prix d’un sourire béat. Ce quartier bénéficie méme d’une chocolaterie, cependant je n’en parlerai pas davantage. Ce soir, j’observe depuis un moment un homme dans la cinquantaine, impec- cablement habillé d’un costume trois-piéces de fine laine gris clair, non pas coupé a la maniére des habits fort chers, si raides de leur importance, mais plutét taillé avec cet art consommé qui vous offre le miracle d’une nouvelle peau. Il a beaucoup de prestance, mais son allure déliée n’impose aucun geste apprété. Favorisé par un grand corps, plutét athlétique sans étre herculéen, et une chevelure abondante, cependant soignée, il parait la moitié de son Age tout en se montrant doublement plus racé que tous ceux de son entourage. Pourtant, il se montre simple dans ses maniéres et, tout comme moi, s’ap- préte a prendre |’autobus. D’un sourire amusé, il répond aux regards, surpris de le voir si bien mis. I] fume un cigarillo dont, par instants, il aspire la fu- mée avec une profonde satisfaction. J’en ai reconnu 1’aréme havanais. Si je ne fume pas moi-méme, je peux cependant apprécier un effluve de qualité. Ce gargon nous tombe de |’espace, sans aucun doute, et ce n’est pas pour me déplaire. Il ne suit pas la derniére mode et, pourtant, on l’observe furtivement. Les regards sont discrets, comme lui-méme se montre, sans os- tentation ; or on pergoit une admiration générale mAatinée d’envie. J’entends murmurer a mes cétés : — II n’est pas rap, mais il est vachement « cool » quand méme ! Ainsi, il n’est pas absolument nécessaire de s’affubler de loques et de ressembler 4 un épouvantail pour se sentir bien dans sa peau. On peut s’habiller proprement sans ressentir de contrainte, j’en suis persuadé. Cette personne le sait et se réjouit pleinement des nombreux coups d’ceil qu’on lui décoche. Au moment ot mon autobus arrive, je suis surpris de le voir s’avan- cer également. II doit habiter dans mon secteur et j’en ai secrétement du plai- sir. Je me faufile dans la queue et me trouve juste derriére lui quand il s’ap- préte 4 monter dans le véhicule. Au dernier moment, il se défait du havane que, d’une chiquenaude, il a projeté vers |’égout, a peine visible dans le som- bre passage entre le marchepied et le trottoir. Il pose le pied sur la premiére marche et, soudain, le conducteur, qui |’observait depuis un instant, lui jette rudement a la face un « Vous, 1a ! Descendez de mon bus ! » Dans le silence relatif régnant au sein des banlieusards, moulus par une journée d’excitation citadine, l’ordre a roulé comme le tonnerre. Chacun s’est figé et regarde, surpris, la scéne incroyable se déroulant sur ce rebord de 10