Le Moustique Volume 4 - 8° édition ISSN 1496-8304 Aotit 2001 [Lif tk e Vi ad LUNE | RENCONTRE .- (extraits) Kristeva et le génie féminin PAR GUY DUPLAT ET ERIC de BELLEFROID Mis en ligne le 01/06/2001 La Libre Belgique La philosophe, psychanalyste et linguiste Julia Kristeva a consacré trois livres et un séminaire universitaire a traquer le génie féminin a travers les exemples de Mélanie Klein, Hannah Arendt et Colette. Elle nous parle des femmes, des intellectuels, de la révolte, de la psychanalyse. Professeur a l'Université de Paris Vil (Jussieu), docteur honoris causa de I'Université de Bruxelles et titulaire de la chaire Chaim Perelman pour l'année académique 2000-2001, Julia Kristeva est venue donner a Bruxelles, il y a quelques semaines, son cours en forme de triptyque sur «le génie féminin». Trilogie qui se déclinait en trois personnalités de femmes sur lesquelles Mme Kristeva a déja publié deux tomes, «Hannah Arendt» et «Mélanie Klein» (Fayard), le troisigme («Colette») restant a paraitre. La célébre linguiste, psychanalyste et chercheuse en littérature nous a accordé I'entretien que voici. Vous décrivez, dans votre séminaire, le génie féminin. Est-ce que les femmes ont un génie propre? C'est en tout cas la question que je me pose. Au lieu de répondre par les généralités, j'ai décidé d'entrer dans les détails de quelques oeuvres qui ont marqué notre temps. Je ne m'intéresse pas aux femmes en général, mais a leur singularité, 4 ce que chacune d'elles a d'exceptionnel. J'ai donc voulu interroger les oeuvres de quelques-unes qui ont marqué les domaines que je connais le mieux au XXe siécle: la philosophie, la psychanalyse et la littérature. J'ai donc choisi trois femmes dans ces champs, pour essayer de faire apparaitre l'apport singulier qu’elles ont donné a la culture moderne. Le choix devait étre trés vaste... Oui, dans la mesure oii il couvrait le domaine de ce qu'on appelait les humanités. Mais cette énormité s'est tout de suite réduite a mes yeux parce qu'il m'a semblé que ces trois femmes étaient inévitables. Quand on pense a Ia philosophie, le nom de Hannah Arendt s'iimpose. Quand on pense a la psychanalyse, Mélanie Klein est celle qui a le plus et le mieux innové aprés Freud. Et, en interrogeant la littérature, j'ai souhaité donner une image de notre siécle qui n'est pas seulement une image d'horreur, de folie, d'holocauste et de guerre, mais aussi de joie et de plaisir de langue. La aussi, Colette s'est donc imposée. Colette, comparée aux deux autres, a quelque chose de léger... J'aime beaucoup la légéreté. Je crois que c'est un génie de pouvoir étre léger dans un monde aussi lourd. Mais vous avez raison, les gens sont souvent surpris. Certains me disent que c'est un écrivain de second ordre !» Je pense plutét que c'est un auteur en effet trés frangais, mais d'un génie universel parce qu'elle parle a la sensibilité de tout le monde. De plus, c'est une immense artiste qui reste a découvrir. Elle a beaucoup joué avec le scandale, avec des images convenues. C'est une athée, mais aussi en auelaue sorte une mystique grecque, présocratique, qui s'enracine dans les profondeurs de Page 4 '€tre et y trouve une harmonie entre le corps et le langage, d'une rare justesse.