Avec le temps, roman de Paul Genuist Paul Genuist, qui a écrit plusieurs études sur les auteurs de l’Ouest canadien vient de publier le roman « Avec le temps » aux Editions du Vermillon, 4 Ottawa. La photo de la couverture, prise par auteur a Witty’s lagoon, agit comme une métaphore du livre. Vimage de la plage, de la mer, du ciel, cette succession de lignes paralléles souligne impossible communication entre les deux personnages principaux, Philippe et Jacqueline et évoque en méme temps la solitude, le silence des espaces d’Amérique du Nord que découvre Philippe et qui le mar-~ quent a jamais. L’auteur crée ce personnage intri- gant, complexe, qui a quitté les siens en France a la fin de l’adoles- cence pour venir faire des études d@ingénieur géologue a Toronto. Son premier séjour dans le Grand Nord l’ancre dans la grandeur des espaces canadiens. C’est la qu’il va travailler a explorer les _ sols pendant la plus grande partie de sa vie. Mais, en s’intégrant a son nouveau milieu qui lui plait, Philippe se détache de sa famille, de ses souvenirs et finit par pres~ que oublier sa langue maternelle quw’il ne pratique plus. L’auteur analyse bien comment l’accultura~ tion de son personnage se fait progressivement avec le passage des années, par la force des choses, accentuée par le désir 6 d’assumer pleinement sa liberté et sa nouvelle vie : « Je ne voulais pas devenir un étre partagé entre le lieu que j’avais quitté et celui oui je me trouvais désormais; avoir une jambe en Amérique et l’autre en Europe. Je tombais dans ce défaut de personnalité qui consiste a trai- ner une double identité. » (p.97) Ce refus obstiné de ses origines différe de ce que ressentent habi- tuellement les immigrants de la premiére génération. Ne restent-ils pas, quwils le veuillent ou non, des étres divisés? Quarante ans plus tard, alors que Philippe a perdu depuis longtemps tout lien avec sa famille et son pays, sa sceur Jacqueline réussit a le contacter, lui annonce la mort de leur pére et lui demande de venir pour régler la succession. Sans trop savoir pourquoi, il répond a cet appel. Dans le train qui l’améne vers la ville ou il a grandi, alors qu’il somnole, tout d’un coup son passé lointain qu’il avait enfoui dans Toubli, le rattrape. Il s’interroge. Que va-t-il se passer quand il va revoir les lieux familiers? En fait, rien. Quand il retrouve Jacqueline, aucune émotion, méme absence de souvenir et d’émotion devant le corps de son pére ou quand il retourne dans sa rue et dans la maison familiale. Philippe, célibataire endurci, n’a aucun lien affectif. Le frére et la sceur sont radicalement opposés. Philippe prétend vivre essentiellement dans le présent, Jacqueline est attachée AVRIL 2007 La SFV a 65 ans! de toutes ses fibres au passé, méme au passé le plus lointain. Philippe a coupé les racines qui le liaient au vieux continent, il est devenu Nord-Américain et anglophone. Il a de la difficulté 4 suivre le mono- logue de sa sceur qui parle, parle sans arrét, décrivant ~ ou imagi- nant en détail ~ la jeunesse des parents, la vie des grands-parents. Elle tente ainsi de rattacher son frére a la saga familiale car elle aimerait tant qu’il revienne s’ins- taller prés d’elle, dans la maison du pére. Philippe écoute ou plutot. subit ce flot de paroles et ne dit rien. La communication entre eux ne se fait pas. Le livre est une recherche du temps perdu, une re-création a la maniére proustienne par la pensée tournée essentiellement vers le passé, proche, depuis son arrivée au Canada pour Philippe, lointain pour sa sceur. Le style riche, tra- vaillé supporte une analyse mi- nutieuse de l’étre humain com- plexe dans ses contradictions et ses appartenances. BM Monique Genuist