Le Moustique ! ... Pacifique puis plus tard celui des roses. Je me laisse aussi étourdir par les senteurs terpéniques des sauges automnales. A '@poque des frimas, ce sont les parfums suaves des gardénias tropicaux que je viens voler pres de entrée ou que je paie au prix d’un sourire béat. Il y a également dans ce quartier une chocolaterie, mais je n’en dirai pas plus. Ce soir, j‘observe depuis un moment un homme dans la cinquantaine, impec- cablement habillé d’un merveilleux costume trois-piéces de fine laine gris clair, non pas coupé a la maniére de ces habits tres chers qui sont si raides de leur importance, mais plutét taillé avec cet art consommé qui vous fait le miracle d’une nouvelle peau. Il a beaucoup de prestance et son allure, trés déliée, n'impose aucun geste apprété. Favorisé par un grand corps, plutét athlétique sans 6tre herculéen, et une chevelure abondante, mais soignée, il semble la moitié de son age tout en paraissant doublement plus racé que tous ceux qu’il cétoie. Pourtant, il se montre trés simple dans ses maniéres et, tout comme moi, s’appréte a prendre l’auto- bus. D’un sourire amusé, il répond aux regards, surpris de le voir si bien mis. II fume un cigarillo dont il aspire, par instants, la fumée avec une profonde satisfaction. J’en ai reconnu l’'aréme havanais. Si je ne fume pas moi-méme, je peux cependant apprécier un effluve de qualité. Ce gargon nous tombe de espace ! Cela ne fait aucun doute et ce n'est pas pour me déplaire. II n’est pas a la derniére mode et, pourtant, c'est lui qu’on observe furtivement. Les regards sont discrets, comme lui-méme se montre, sans ostentation, mais on percoit fort bien une admiration générale matinée d'un peu d’envie. J’entends murmurer a mes cétés : — Il nest pas rap, mais il est vachement « Cool » quand méme ! Volume7 - 4¢ Edition 18 ISSN 1704-9970 Avril 2004 Comme quoi, il n’est pas absolument nécessaire de s'affubler de loques et de ressembler a un épouvantail pour se sentir bien dans sa peau. Je suis persuadé qu’on peut s’habiller proprement sans que cela en devienne une contrainte. Cette personne le sait trés bien et se réjouit pleinement des nombreux coups d’ceil qu’on lui décroche. Quand, finalement, mon autobus arrive, je suis surpris de le voir s’avancer également. |! doit habiter dans mon secteur et cela me fait secretement plaisir. Je me faufile dans la queue qui se forme et me trouve juste derriére lui alors qu’il s’appréte 4 monter dans le véhicule. Au dernier moment, avec regret, il se défait du havane que, d’une chiquenaude, il a projeté vers ’égout, a peine visible dans le sombre passage entre le marchepied et le trottoir. I! met le pied sur la premiére marche et, soudain, le conducteur, qui l’observait depuis un instant, lui jette brutalement a la face: « Vous, la! Descendez de mon bus! » Dans le silence relatif qui regnait au sein de ces banlieusards, moulus par une journée d’excitation citadine, ordre a roulé comme le tonnerre. Chacun s'est figé et regarde, surpris, la scéne incroyable qui se déroule sur ce rebord de trottoir. Un pied toujours dans le vide, les yeux écarquillés, le beau Brummell est cloué sur place tandis que le chauffeur, plus agressif encore lui hurle : « Alors! Vous ne m’avez pas entendu ? Filez que je vous dis! ». Complétement décontenancé, |’élégant demande d’une voix qui reste cependant posée : « Mais qu’ai-je fait ? » et le chauffeur de lui éructer: « Tu pues, tu nous empoisonnes avec ta cigarette ! »...... Jack Blake Suite dans le prochain Moustique.