Xv . Le Moustique volume 3 - 5° edition Mai ZUUU Ce qui me convenait parfaitement bien. Je n'aime pas trop ce liquide et certainement pas dans mon whisky. De l'eau salée de surcroit ! J'en frémis encore. Je n'ai rencontré personne. Je n'étais pas au bon endroit sans doute. Mais qu'importe ! La matinée était enchanteresse. Le ciel dégagé, d'un bleu délicat, un peu palot comme il se doit en début de printemps, était séparé de la mer, a l'horizon, par la chaine enneigée des monts Olympus. L'eau, paresseuse, presque étale, paraissait former un vaste affleurement de grés granuleux gris-bleu aux nombreuses tavelures lisses et glauques. Le tableau, grandiose, exprimait une force tranquille qui semblait vouloir pérenniser, ce matin d'avril. Le genét écossais, en grands buissons denses, ornait le rebord de I'a-pic avec ses taches jaune canari, en contraste brutal sur la langue de mer. On aurait pu penser un instant a une nuit étoilée de Van Gogh. Alors, je me suis laissé aller. Les mains dans les poches, je suis descendu sur la plage. J'ai laissé les courtes vagues lécher le cuir de mes chaussures comme j'aimais a le faire quand j'étais enfant. II y avait 1a un pécheur isolé, a la pointe d'un rocher tout cerné d'écume, beaucoup plus préoccupé a tendre sa ligne vers les montagnes d'Amérique que de tenter le saumon. Sur la plage de sable et de galets, une jeune fille avec son chien. Bourgeon encore serré, elle paraissait beaucoup plus romantique qu'amoureuse. Alors que cent métres plus loin, une jeune femme, assise sur le sable sec, les yeux perdus au- dela de la mer, bien au-dela des montagnes, semblait avoir perdu la passion et révait, sentimentale. Bon ! Il temps pour moi de rentrer. En roulant sur la Richmond, sur la route du retour, l'environnement habituel du vieil hépital "Royal Jubilee" était tout dévasté. De grandes lignes peintes a la chaux en travers du gazon et des trottoirs marquaient clairement I'intention de la ville d'élargir le passage. Il est vrai que cet ancien chemin, tout bordé de chénes, menant a l'ancien aéroport de Victoria, génait aux entournures le conducteur véloce que je suis. Mais ot sont passés les arbres ? J'espére quand méme ... ! Non, ils étaient la, — depuis presque cent an, et il n'en reste rien. Des chénes de Garry, seuls chénes indigénes de cette partie-ci de la céte ouest, qui n'avaient méme pas eu le temps de faire leurs feuilles. Grands arbres tortus 4 la ramure tourmentée comme les bras de femmes désespérées, décimés. Ici, il reste une souche, 1a des troncs nus, dressés de guingois a la maniére de vieilles colonnes funéraires. L'écorce grise, écailleuse entre des sillons profonds, n'invoque plus que le lichen sur les pierres tombales. Quelle désolation ! Allons ! Je me laisse aller. Je n'ai plus toute ma téte. Comment peut-on se comporter en forcené, pourquoi l'extrémisme quand tout est un peu vrai, quand tout le monde a quelque peu raison ? A défaut d'eau salée, je m'offrirais bien un petit whisky. Jack Blacke. “Page 23