a | 7 ag 47 Arts et Spectacles. Un entretien exculsif avec Alain Corneau, réalisateur de Tous les matins du monde «Je voulais marier ma passion de la musique et du cinéma» Tous les matins du monde, le dernier film du réalisateur frangais Alain Corneau avec Gérard Depardieu sortle premierjanvier prochain sur les écrans de Vancouver aprés avoir remporté un large succés aupres du public frangais. Le film est centré sur les rapports complexes qu’entretiennent un maitre de la viole de Gambe, Le Soleil: Pour quoi avoir choisi le théme, a priori difficile, de la viole de gambe et des relations entre deux musiciens baroques du 17éme siécle presque inconnus du public ? - Alain Corneau : A l’origine de ce choix, il y a l’envie de marier ma passion du cinéma et de la musique. Je voulais depuis longtemps faire un film qui soit au coeur de la musique. Ce film vient aprés plusieurs projets qui n’ont pas abouti- Il m’a semblé que la musique baroque, qui est actuellementenpleine renaissance en Europe, constituait un bon - sujet. Il me fallait un auteurpourle scénario. J’ai contacté Pascal Quignard, qui travaillait sur cette époque. C’est lui qui a choisi Vhistoire du couple éléve maitre _-Marin Marais/Sainte-Colombe. II a d’abord écrit un roman, “Tous _ iesmatins dumonde”, caril n’avait jamais travaillé pour le cinéma. Je Vai adapté pour en faire un scénario. - Comment avez-vous choisi les interprétes ? ; - Ca a été trés simple. Pour le personnage de Madeleine (La fille de Sainte-Colombe, NDLR), J’avais Anne Brochetentéte. Cette _ jdée m’obsédait, sans savoir pourquoi. Au cours du tournage, j'ai compris. Elle apporte un supplément d’ame au film. J’ai pensé a Gérard Depardieu pour interpréter Marin Marais, et immédiatement, 4 son fils Guillaume que j’avais trouvé formidable dans un petit rdle a la télévision. Le couple pére/fils me semblait une maniére intéressante d’illustrerle sujet profond du film, le couple maitre/éléve. - Avez-vous rencontré des difficultés particuliéres a4 travailler avec: le couple Depardieu ? - Aucune. Bien entendu, Gérard se sentait concerné par le réle de Guillaume. Mais il n’est pas du genre 4 donner des conseils. C était le premierrdle de Guillaume au cinéma. Nous avons tourné le film dans l’ordre chronologique et je n’ai pas fait d’essai avec Guillaume. La premiére séquence ou il apparait était trés difficile. En méme temps que Marin Marais passait l’examen devant Sainte- Colombe, Guillaume passait l’examen de la caméra... Gérard, C’est la troisiéme fois que je le retrouve. Il ne change pas. Il est toujours aussi instinctif, inventif et énergique. - Jean-Pierre Marielle a confié qu’il s’était sentit “comme un instrument entre les mains du réalisateur”’... : - Il est modeste ! C’est grace 4 lui que le film est ce qu’il est. Il a apporté de la grandeur, de la Depardieu. violence et presque une forme de- barbarie. Il a mené le film.au dela dece que jevoulais. Jean- Pierre Marielle n’est pas seulement Vacteur comique que l’on connait. Quand il a accepté de jouer le réle de Sainte-Colombe, jétais sir qu’il apporterait beau- coup au film. C’est un acteur immense. - Tous les personnages principaux sont des virtuoses de la viole de Gambe. Com-ment avez- vous résolu les problémes que cela posait aux acteurs ? - Avant méme de débuter le tournage, nous avons enregistré la-musique du film, dirigée par Jordi Savall. Pendant 6 mois, les acteurs ont travaillé avec un maitre de musique, un éléve de Jordi Savall. Cela a représenté un long travail, mais c’était une excellente préparation psychologique. Chacun a trouvé sa technique. Guillaume, qui est musicien, a réellement appris 4 jouer de la viole. C’est celui qui va le plus loin dans le play-back. Anne Brochet est également allée assez loin. Les autres ont travaillé normalement, comme des acteurs. Tout au long du tournage, le maitre de musique était présent sur le plateau et jouait en méme temps que les acteurs. - La peinture est trés présente dans votre film. En particulier, Trois journalistes francais a la rencontre du Canada «Un cinéma Trois critiques de cinéma frangais ont visité le Canada d’Halifax a Vancouver, invités par Téléfilm Canada a l'occasion d’une vaste rétrospective du cinéma canadien -_ organisée a Paris en février prochain. Impressions de voyage. “J’airencontréau Canada une race que je croyais éteinte, celle des artistes engagés”. Aprés une semaine de voyage a travers le Canada, Michel Boujut, critique de cinéma 4 L’Evénement du Jeudi, Yun des principaux ‘ hebdomadaires frangais, fait le point sur ses impressions. Pendant 10 jours, Téléfilm Canada 1’a invité avec deux de ses confréres francais, Caroline Benjo, du Monde, et Alain Riou, du Nouvel Observateur, 4 parcourir le pays d’Halifax 4 Vancouver. Objectif de ce voyage, faire découvrir les paysages et les habitants et les cultures du Canada 4 trois journalistes qui couvriront la grande rétrospective “Cinémas du Canada et du Québec” ,prévue au centre Georges Pompidou de Paris a partir de février prochain. de rebelles» “Le Canada, c’est l'Europe en plus grand, affirme Alain Riou. Les écossais se sont installés en Nouvelle-Ecosse, les Ukrainiens dans les grandes plaines de Winnipeg et les paysages du Québec me font penser a la France.” S’imprégner d’un paysage pour mieux comprendre le cinéma. A chaque étape, les trois compagnons de voyage rencontrent des acteurs du cinéma canadien, visionnent des films, visitent des studios. “Le cinéma canadien se caractérise une volonté farouche de se distinguer des Etats-Unis”, de rebelles. Et les plus rebelles au systéme aboutissent a Vancouver.” Michel Boujut abonde dans son sens : “Les films expérimentaux me font penser au cinéma des années 70”. Les trois voyageurs ont profondément ressenti les risques que font peser Vhégémonie des Etats-Unis sur les spécificités canadiennes - “Quelque chose semble en péril - ict du fait de la volonté ad’ homogénéisation du territoire ’ nord-américain, affirme Caroline Benjo. //s’agit d’une colonisation douce et perverse”. FL estime Alain Riou. “C’est un cinéma d’ avant-garde, un cinéma Le Soleil de Colombie Monsieur de Sainte-Colombe (Jean-Pierre Marielle) et son éléve Marin Marais (Guillaume puis Gérard Depardieu). Alain Corneau estleréalisateur de plusieurs films asuccés comme Police Python 357 avec Yves Montand et Fort Saganne avec Gérard “Anne Brochet (photo) apporte un supplément d’ame au film” on retrouve souvent une lumiére qui rappelle les tableaux de Georges de la Tour... - Georges de la Toura été en effet une source d’inspiration pour représenterun X VIléme siécle peu connu, qui n’est pas celui de Louis XIV. Nous avons été cherché les peintre rebelles comme Champagne, la Tour et surtout Baugin, qui est présent dans le film. D’une certaine maniére, il est’ équivalent picturale de Sainte- Colombe. Les tableaux présents dans le film sont des reproductions fidéles de deux ou trois toiles de Baugin exposée au Louvre. A l’époque, les natures mortes s’appelaient des _ vanités, exprimant la futilité de la vie. Je m’en suis beaucoup inspiré pour le film. - Attendez-vous pour votre film une belle carriére commerciale en Amérique du Nord, ou un succés d’estime ? Je ne sais pas. Méme en France, on ne s’attendait pas 4 un tel succés. A New-York, le film a bien démarré. Il faut attendre un peu. En Amérique du Nord, le couloir est bien plus étroit pour les films étrangers qu’en Europe. Un film frangais est d’emblée catalogué “art et essai”, ce qui réduit le public. Proposrecueillis par Frédéric Lenoir Vendredi 18 décembre 1992