A la lecture de la biographie de I’écrivain russe (Nabokov : les an- nées américaines), on s’apercoit que l’auteur voulait faire de son personnage principal quelqu’un de méprisable par ce qu’il avait de hautain, de prétentieux, de possessif et de méprisant. Seulement comme Lolita est raconté par un narrateur « je », le monde y est décrit selon la vision misanthropique de Humpert Humpert. Conséquemment, il faut que le lecteur observe un recul afin de départager ce qui appartient a la « réalité romanesque » de ce qui fait partie des perceptions personnelles du protagoniste. Voici donc les enjeux : Nabokov veut dénoncer la pédophilie, mais il désire aussi utiliser la voix méme du pervers afin de raconter l'histoire. La tache est ardue puisque « le héros du drame ignore toute intériorité, car l’intériorité est fille de I’hostile dualité de l’ame et du monde, de la douloureuse distance qui sépare la psychée de ’'ame. » Comment procéder ? Humpert Humpert pourrait toujours dire « Je suis un étre diabolique et je vais vous parler des mes méfaits », mais vous conviendrez que ce ne serait pas un strata- géme trés subtil ! Et surtout, peu crédible : les pédophiles, pour la plupart, ne ressentent aucune responsabilité quant a ce qui a trait au sort de leurs victimes. Bien str, la formulation « Je suis un homme malade, je suis un homme méchant » utilisée par Dos- toievski est intéressante, mais Nabokov abhorre Fédor Dostoievs- ki, qu’il qualifie « d’auteur de romans policiers ». De toute fa¢gon, l'énoncé ne sied tout simplement pas au type de personnage qu'il veut élaborer. Vladimir Nabokov décide plutét d’insérer un prologue dans lequel parle un psychologue, qui se détache de I’histoire et qui blame sé- véerement les pulsions de Humpert Humpert. Puis, le pédophile entame son récit. Nous découvrons alors un étre doué d’une cer- taine forme de sensibilité, cultivé, qui peut se montrer trés tendre, quoique parfois un peu « kitsch » (Evidemment, c’était voulu par Nabokov). Humpert, qui se révéle attachant malgré ses vices et ses défauts, nous présente d’emblée sa Dolorés, sa Lo, sa Lolita, comme une jeune nymphette déja initiée par un adolescent aux plaisirs char- nels dés la pré puberté. Elle manipule son abuseur, lui retire son argent... Selon lui, elle n'est pas une victime, mais une partenaire 15