a Vietnam ies et ae ae Vietnamisation de I'économie Une nouvelle décennie de conflits? PARIS L’annonce du voyage de M. Nixon a Pékin, la rdlative diminution des opérations terrestres au Vietnam du Sud, le re- trait’ limité mais régulier des troupes américaines ont fait passer la guerre d’Indochine a l’arriere-plan de l’actualité et des pence pons, Le pre- sident des Etats-Unis parle plus de la Chine que u conflit, dont la fin ne parait pas en vue. Mme Binh a présenté en juillet un nouveau plan de paix, et pourtant la conférence de Paris semble étre a nouveau entrée dans une longue période de sommeil. Au Sud, une partie de la population va voter, le 3 octobre... pour un candidat unique. Pendant ce temps,’ les Etats-Unis poursuivent le retrait de leurs troupes, mais rien n’indique, bien au contraire, que Washington ait cessé de s’intéresser aux éevenements du Vietnam et d’y sou- tenir ses protégés. Ces derniers temps, de nombreuses études ont été entreprises au sujet de la ‘‘vietnamisation’ de l'économie, autrement dit pour deéter- miner dans ‘quelles conditions -un Viet- nam du Sud viable pourrait étre bati, ui serait solidement amarré au “‘mon- le libre’’. L’une de celles-ci a été ré- digée pour le compte de l’Institute for ~ Defence Analysis — institution finan- cée pat le Pentagone — par M. Arthur Smithies, dont les liens avec la C.I.A. sont notoires. Plus récemment, le 28 mai 1971, le département d’Etat a signé avec l’université de Columbia un contrat de recherches sur la possibilité d’asso- cier les organisations internationales a la reconstruction du Vietnam (du Sud). L’étude durera sept mois, cotitera 42,935 dollars. et sera en particulier menée par le méme M. Smithies et le professeur Allan Goodman, auteur d’articles sur l'économie. d’un Vietnam du Sud indépendant. A ces divers tra- vaux il convient d’ajouter celui du pro- fesseur E. Benoit, de l’université de Columbia qui a rédigé pour le compte de la Banque asiatique de développe- ment, un document sur l’économie sud- vietnamienne auquel le département d’E- tat attache, croyons-nous savoir, une grande importance. Le commun dénomi- nateur de ces études est que le Vietnam du Sud constituera 4 l’avenir un Etat séparé du Nord et sera inséré dans 1’éco- nomie du marché. Tel est le point de dé- part de ces analyses. dont le caractére officieux est indéniable. Le rapport Smithies, qui ne semble pas étre destiné a la publication, opte tout d’abord en faveur de la solution ‘‘net- tement préférable’ et aussi “réalisa- ble” d'un rétablissement de la sécurité sur le plan militaire ‘“suffisamment grand pour permettre a I’ éeonomie (sud- vietnamienne) de fonctionner dans le ca- dre du marché et orientée vers |’ écono- mie mondiale, tant en ce qui concerne le commerce que l'utilisation de capitaux étrangers’. “Il ne semble pas, écrit Pauteur, que la négociation ayec le Nord pourra aboutir 4 une prochaine ou rapi- de démobilisation de ces forces (les 1,500,000 soldats de l’armée de Saigon). La meilleure prévision possible sem- ble @tre une impasse militaire ou un dé périssement de la guerre, processus qui peut durer une décennie ou plus.” _ Aprés avoir rappelé que le budget militaire de Saigon represente environ 30% du produit national brut du Sud et que cette proportion ne sera pas rédui- te de sitot, l'auteur passe en revue les obstacles au développement engendrés par la guerre; tres importante chute des exportations, doublement en dix ans des. importations, corruption, forte consom- mation, épargne insuffisante, etc. Il ne pense pas cependant que les Etats-Unis pourront éternellement financer le défi- cit du commerce extérieur (700 millions de dollars par an). Mais, écrit-il, la page a is la formation de nom- reux techniciens et provoqué la mise en place d’une infrastructure routiére et portuaire. M. Smithies concéde qu’il y a eu des destructions, mais, somme . toute, selon lui, les aspects positifs 1’em- portent sur les aspects négatifs. Bref, “4 un cout fantastiquement élevé, la guer- re a rempli certaines des préconditions nécessaires au développement”. Aucun mot, dans ce froid rapport d’ économis- te, du million de morts chez_les mili- taires,. des centaines de milliers de vic- times civiles et des hordes de réfugiés.... Cela étant dit, quelle politique peut- on suivre? ‘‘Selon presque tous les ob- - servateurs qui ont étudié le probleme récemment, l’avenir du Vietnam (du. Sud) devrait se situer dans le cadre de l'économie mondiale plut6t que dans un ‘cadre étriqué’. (economic parochia- lism’’): les exemples de Taiwan, de la Corée du Sud, de Singapour ne sont-ils pas probants? D’autre part, ‘“‘les pers- pectives d’avenir seront modifiées si du pétrole est découvert’’, étant entendu que “‘la production et l’exportation du: pétrole sont le fait d’entreprises étran- geres”. Si une telle politique est ‘mise en pratique, “l'aide étrangeére devra étre poursuivie pendant au moins une décen- nie’. Elle devra @tre a la fois publique et privée et contribuer 4 former une classe capitaliste locale. [1 serait jus- tice, estime M. Smithies, que: le Japon supportat une bonne partie du fardeau puisque aussi bien les firmes nippones ont lement été les grandes bénéfi- ciaires de lassistance américaine). De toute facon, écrit l’auteur, l'aide 4 Saigon devrait ‘‘étre de l’ordre de 500 millions “e dollars par an’ pendant les dix années venir. Maintien de la dépendance Pour M. Goodman, d'autre part (Asian Survey, janvier 1971), il découle des décisions prises 4 Washington comme a Saigon que “‘la vietnamisation dans le domaine économique doit étre considé rée comme le maintien ou laccrois- sement de la dépendance économique du Vietnam, plus qué comme une autosuf- fisance -accrue allant de pair avec une autosuffisance militaire’. L’étude rédigée par M. E. Benoit pour a Banque aucigue de dévelop- pement présuppose que la guerre mour- ra d’elleméme en 1973 le retrait des troupes de Hanoi et l’abandon pro- gressif de la lutte par le F.L.N. Ce pendant le conflit pourrait reprendre plus tard, et il faudra donc. que Sai- gon demeure militairement prét, ‘ pen- nt le reste deala décennie’, a re- commencer la lutté. Le fait saillant est la dépendance du Vietnam du Sud a l’égard des Etats- Unis: l’aide économique est passée de 146,6 millions de dollars en 1961 a 614.4 millions de ‘dollars en 1970, to- talisant 3,980 millions de dollars en dix ans; l’aide militaire de 65 ‘mil- lions 4 1,900 millions de dollars, soit 7,757.5 millions de dollars en dix ans; Vassistance totale se monte a environ 16,5 milliards de dollars, si l’on y. in- clut les revenus provenant des diverses opérations liées a la guerre, les cons- tructions de routes, de ponts, etc. De 1970 a -1975, elle devrait attein- dre 13 milliards de dollars; dont 9 milliards de dollars d'aide militaire. Ce pendant, les dépenses militaires améri- caines sur place diminuant au fur et a mesure des rapatriements de troupes, des mesures doivent étre prises. Le Vietnam est notamment invité a produire aux fins d’ exportation des ‘‘composants’” de produits Gaborés que des “‘sociétés multi-nationales” seraient chargées de vendre sur le marché mondial. Ici’ en- core, la Corée du Sud et Taiwan sont cités en exemple. Quelle “force résiduelle’? Les_ conceptions qui servent de base — a ces études sont, est-il besoin de le eat totalement étrangéres a cel- es du G.R.P., qui y verra une indica- tion de plus que Washington conserve . lespoir de “‘gagner’”’ en Indochine d'une facon ou d’une autre. Déja la notion de “force résiduelle’ au Vietnam du Sud n’a été ni définie ni chiffrée. En outre, si la ‘‘main-d’oeuvre’ tend a changer de couleur de peau sur le terrain des opérations, la contribution des. Etats- — nis au budget de la ‘pacification’ est encore cette année de 696 millions de dollars (un peu moins qu’en 1970), mais beaucoup plus qu’en 1969); celle de Saigon au méme budget n’est que de 72 milliards de piastres, soit environ 6 millions de do (au taux officiel) a 50% financés par Washington. En - outre, l’absence de réponse aux propo- sitions du G.R.P., augmentation impor- tante de l'aide 4 Phnom-Penh, la viola- tion, admise officiellement par Washing- ton, des accords de Genéve sur le _ Laos indiquent suffisamment que la guer- ren est pas pres de finir. Le retour de la paix a Saigon place- rait de toute facon les Américains dans une position difficile ailleurs: l’arrét des: hostilités au Vietnam. du Sud entraine- rait la cessation de |’assistance militai- re décisive fournie par l’armée de Sai- gon au régime Lon Nol et retirerait tou- te ‘‘justification’’ aux raids contre le Pathet-Lao et la piste Ho-Chi-Minh. Or, en admettant que le fait de négo-- cier ait signifié de irt de Washing- ~ ton une volonté d’en finir avec le con- flit au Vietnam du Sud, aucun indice ne peut étre noté d’un changement de poli- tique dans les deux pays voisins. Le financement de recherches sur l'avenir dun Vietnam du Sud coupé du Nord, in- tégré dans une Asie du Sud-Est anti- communiste, confirme la détermination du président Nixon d’appliquer un pro- panne totalement opposé a celui du G.R.P. Cette “continuité ne peut que contribuer 4 réduire encore la portée des conversations de’Paris. XVI, LE SOLEIL, 21 JANVIER 1972 Hl