Devant le nectar, mon héros semble revenir a la vie. Avant de lui laisser la parole, je l’inonde de mots d’excuse, de sentiments de re- grets, d’expressions de sympathie et d’incitations au courage. Sous son bandage, il esquisse un sourire : « Cet incident est sans importance. Il existe, sans doute, un risque a vouloir se singulariser ». — Mais pourquoi cette folie ? — Ce n’était pas une folie. C’était une réaction assez naturelle. — Comment donc, une réaction naturelle ? Ce type est un bandit ! — Oh ! Il s’agit 14 de considérations plutét philosophiques. Je ne veux pas penser qu’elles puissent vous intéresser. Serait-ce donc ainsi prendre ses problémes avec philosophie ? Je veux savoir. J’insiste : — Si, si, vous éveillez ma curiosité. Il hésite un instant, puis se décide a me répondre : — Eh, bien ! Nous sommes des animaux, tout est lié 4 ce simple fait. — Vous voulez dire que ce chauffeur était, de fait, une béte sauvage ! — Non, non ! Des animaux, nous le sommes tous. — Pourtant ce soudard, plus que tous ? — Laissez-moi vous expliquer : l’>homme ne différe pas tellement d’un lapin dans son terrier. Ce dernier est A la fois terrorisé et plein de cou- rage. Trop peureux, il créve d’inanition ; trop téméraire et il sera la proie du renard. Tout étre vivant est 4 chaque instant placé devant un choix entre deux attitudes incompatibles et pourtant chacune nécessaire et méme essentielle. De quoi parle-t-il ? A l’instant, il était plutét affalé sur son siége et le voila redressé, les coudes sur la table et le visage animé. J’essaye de me concentrer, mais je ne parviens pas a voir ou il m’emméne. — Ce choix, sans réellement lui appartenir, est critique et cependant uni- versel. Dans la nature, prétendue si généreuse, il lui faut tuer pour vivre ou mourir pour laisser vivre. Chez I’homme, c’est 4 peine plus compli- qué : réussir ou survivre cofite que coiite nécessite une volonté exception- nelle, une incroyable sGreté de soi seulement rendue possible par une conviction absolue. Cependant, dans ce cas, l’erreur n’est pas permise, car une foi totale en une mauvaise cause peut signifier |’enfer pour lui et tous ceux enfermés dans sa sphére. J’essaye, avec peine, de suivre son raisonnement. Je remue in- confortablement dans mon fauteuil, je l’avoue, je suis totalement per- du. Tout de méme, je lui demande : — Quelle sorte d’émulation pouvait-elle le pousser 4 vous frapper ? — Voila, j’y arrive ! Il existe de nombreuses motivations comme |’amour, le plaisir, toutefois, quelles sont celles qui vous aideront 4 travailler, a exercer des taches désagréables ou méme franchement pénibles ? 12