f 14 — Le Soleil de Colombie, vendredi ler avril 1983 Les Japonais : le traumatisme de la déportation Suite de la page 1 Sadon, une ville-fantéme des Kootenays. Puis a Lemon Creek. Puis en Alberta, oi jai passé cing ans, puisqu’on n’avait pas le droit de retour- ner sur la céte ouest. Quand je suis finalement revenu, je n'ai Tien retrouvé de ce qui m’ap- partenait: ma maison avait été vendue pour $1000. Oui, je veux étre un bon Canadien, mais le gouverne- ment doit aussi nous indem- Au lendemain de |’attaque japonaise contre Pearl Har- bour, le 7 décembre 1941, et de la déclaration de entre le Canada et le Japon, les Canadiens d’ascendance japonaise sont officiellement considérés comme une cin- quiéme colonne, des ennemis de l'intérieur. Leurs magasins sont boy- cottés, les bateaux des pé- cuation” en 1942. A cette époque, il y a 22 000 Japo- nais-Canadiens en C.B. (seu- lement 1 050 dans le reste du pays), dont plus de 60% sont nés au Canada, 15% ont acquis la nationalité et 25% sont des nationaux japonais. Avec 130 livres de bagages par personne, les réfugiés — dont pas un n’a été reconnu coupable de sabotage ou de trahison — s’en vont peupler les villes-fantémes de |'inté- rieur de la C.B., des camps au mercredi 20 avril 1 x Se Sempeate. fe atm nus du bureau de rf i fT j j if si af at a4 arf Hf oH FS i thd 26 H i Less ! i Construction, Prince ge, C.B. (604) 563-1164. coeur des Rocheuses, les fer- mes de la Saskatchewan et du Manitoba, allant jusqu’en Ontario. Dans beaucoup de cas, les propriétés des Japonais ont été confisquées et vendues a vil prix. “L’évacuation” produira un traumatisme considérable dans la communauté, brutale- ment dispersée. Un traumatis- me dont les conséquences physiques, morales et cultu- relles sont loin d’étre cernées. Dans l’esprit des responsa- bles de la déportation, il y a la volonté affirmée de briser la communauté japonaise, en la - dispersant d’un bout a l'autre du pays et en la faisant refluer vers le Japon. Bouleversement Pendant les quatre années qui suivent la fin de la guerre, le gouvernement interdit a ses ressortissants japonais de reve- nir sur la céte ouest. Dans le méme temps, 4 000 Japonais, pour la plupart citoyens cana- diens, sont renvoyés vers leur patrie d'origine. D’oi cet énorme boule- versement géographique: en 1947, la majorité des Japo- nais-Canadiens vit a l’est de la C.B. Toronto, avec seulement 135 Japonais en 1941, en compte 11 690 trente ans plus tard. Le recensement de 1971, le dernier qui décompose par origine ethnique, dénombre 15 600 Japonais-Canadiens en Ontario et 13 585 seulement en C.B. Pour une communauté dont beaucoup one t des mémes régions — W: a 350 km au sud de To pour les Japonais-Canadiens de Steveston — “l’évacuation” signifie rupture des liens fami- liaux et des réseaux de solida- rité, isolement, intégration. Gordon Kadota, un Nisei né a New Westminster en 1934 et président de 1’Associa- tion Nationale des Japonais- Canadiens, a déja témoigné plusieurs fois: “Dans les an- nées 50, je criais «je suis Cana- dien, pas Japonais». Les Nisei se disaient 4 eux-mémes: ne mange pas de riz, ne parle pas Japonais, apprend a tes en- fants a devenir Canadien. Nous n’étions pas fiers de notre héritage. La derniére chose que je voulais était d’étre dans une piéce avec un autre Japonais. C’était comme regarder dans un miroir.” Réve d’assimilation D’oi les récriminations pré- sentes de quelques Sansei — (troisiéme génération) qui, élevés dans les batailles politi- ques radicales des années 60, soulignent avec détresse que leurs parents ont été trop loin - dans leur réve d’assimilation et de succés matériel, aban- donnant leur identité, restant muets sur leurs traditions, ouvrant la voie 4 une décultu- ration accélérée. “Pour les Japonais-Cana- diens, la dispersion de I’aprés- guerre a signifié pour les Sansei une éducation avec seulement le plus vague, et légérement déplaisant sens de ce a quoi pourrait ressembler notre communauté” (1). A la différence des Etats- . Unis, nul quartier nettement japonais ne surgira dans les villes du Canada, méme pas a Toronto qui a pourtant la plus grande communauté. La tendance est a 1l’éclatement. “Japantown”, autour d’Op- penheimer Park, n’est plus ce qu'elle était avant la guerre. C'est que le choc dela dépor- \ yama, — tation a été tout simplement trop grand au Canada pour que les Japonais tentent de se regrouper a nouveau, en ghet- tos trop évidents et trop vul- nérables. “Il n’y a plus de sens de la communauté, dit abrupte- ment Ken Shikaze, un Sansei de 34 ans, travailleur commu- nautaire. Nous sommes si dispersés physiquement, les groupes sont tellement divi- Pourtant, au moins une fois par an, en aoat, la commu- nauté €parpillée se retrouve § pour le festival de. Powell Street, au cours duquel revi- vent les vieilles traditions de la cérémonie du thé, de l’ike- bana (art de l’arrangement §: des fleurs), des arts martiaux et des danses folkloriques. Le premier festival a eu lieu en 1977, une année essentielle pour la conscience japonaise- canadienne. Brutalement, a travers tout le pays, la com- munauté sort des coulisses de histoire en fétant largement le centiéme anniversaire de l'arrivée du premier immi- grant japonais en C.B. Deux projets nationaux couronnent le tout: des danses japonaises et une exposition photogra- phique itinérante. Powell Street était le tradi- tionnel lieu de réjouissance des Japonais avant la guerre. Les samedis, ]’Asahi Baseball League jouait a Oppen- heimer Park quelques-unes des meilleures parties de la ville. Que les Japonais Cana- diens s’y retrouvent aujour-. d’hui est le signe d’une recon- naissance du passé, d’une acceptation de racines autre- re : a as traumatisme de plus ou moins mal reconnu face a 1’événe- ment, chacun réagit différem- ment, selon qu'il soit Issei, Nisei ou Sansei. Les Issei, emplis de stoi- cisme japonais, restent extré- mement discrets. “Nous n’ou- blierons jamais, mais il ne faut pas en parler”, disent- ils 4 peu prés. Bob Neshe, né en Colombie britannique mais établi 23 ans a St Boniface aprés y avoir été déporté, refuse d’en dire plus long: “je ne suis pas éduqué vous savez...” Lasts DSN NS i eS