Aé - Le Soleil, octobre 1993 AS - Le Soleil, octobre 1993 Le tragique destin d’Henry Hudson En 1610, bravant pour la 3ieme fois le froid et les icebergs, le navigateur anglais Henry Hudson, met le cap sur le Nord. Le navire s’engage dans un détroit, bordé de terres de glace, qui va s’élar- gissant et finit par s’ouvrir sur une vaste étendue d’eau. Mais ce n'est point le passage du Nord-Ouest tant espéré. Rien qu’une immense baie, celle que l'on appellera plus tard : la baie d’Hudson. Hélas, la malchance poursuit le pauvre navigateur. L’hiver se fait rude et la nourriture devient rare. Alors, c’est la mutinerie 4 bord du navire. Prétendant que le capitaine ne partage pas équitablement les rations alimentaires, les marins le flanquent, avec une partie de son équipage, sur une barque, et l'abandonnent en mer. On ne reverra plus Henry Hudson. Quant aux mutins, ils n’ont pas de chance eux non plus. Deux d’entre eux seulement parvien- nent a rentrer au pays. Les autres meurent du scorbut en cours de route. Durant les années qui suivent, on ne songe guére a s’aventurer dans la baie d’Hudson. Lors- qu’on le fait 4 nouveau, ce n’est plus pour essayer de découvrir le passage du Nord- Quest mais plutdt pour y trouver des fourrures. La déception de Radisson et des Groseillers En 1659 Médard Chouart, sieur des Groseillers, négociant en fourrures en Nouvelle-France, et son compagnon, Pierre- Esprit Radisson, décident de se rendre a la baie d’Hudson par voie de terre afin de traiter directement avec les Amérindiens plutot que de passe: par I’intermédiaire des Hurons. Ils partent donc de Québec et passent par le nord des Grands Lacs. Ne parvenant pas a la baie, ils concluent qu’il est sdrement plus facile de s'y rendre en bateau en empruntant le détroit d’Hudson. manquée De leur voyage, ils rapportent des centaines de peaux. Mais a leur retour, le gouverneur de la Nouvelle-France, Pierre d’Argenson, irrité qu’ils aient entrepris ce voyage sans permission, confisque une bonne partie de leurs fourrures et les jette en prison. La traite des fourrures en Nouvelle-France Des peaux a n’en plus finir Dés la fin du XViéme siécle les chapéliers, les merciers et les pelletiers de Paris commencent a préférer les peaux importées de la Nouvelle-France a celles qu’ils } achetaient auparavant a la ‘Russie. Presque tous les Sf animaux a foutrure sont chassés afin de procurer aux L’importance de la fourrure «Au XViléeme siécle, l'histoire de la colonie fran- gaise en Amérique du Nord se déroule autour du commerce des pelleteries.» Les relations avec les Amérindiens sont a cette époque plus économi- ques que politiques. Le seul apport d’intérét commercial que la Nouvelle-France puisse alors offrir a la métropole repose sur le commerce des pelleteries. Dans la nouvelle colonie, les autorités sont trés conscientes du potentiel commercial que représente la traite des fourrures. Cette nouvelle exploitation donne naissance a un nouveau type de négociant, «le coureur des bois». Une occasion A leur sortie de prison, passablement découragés, et ne trouvant personne qui veuille financer leur expédition a la baie d’Hudson, Radisson et Des Groseillers décident d’aller demander a |’Angleterre de financer leur projet. Non seulement le roi d’Angleterre promet de les aider mais, escomptant le profit qu’il peut tirer d’une telle entreprise, des riches marchands anglais, appareille deux navires pour les mettre au service des deux -négociants. Les coureurs des bois Le développement de la traite des fourrures permet, dans une certaine mesure, aux colons d’améliorer leurs relations avec les Amérindiens. De plus, il donne des résultats non négligeables a l’expansion du commerce. D’abord, vers 1675, est dési- gné sous le nom de «coureur des bois», celui qui fait la traite des fourrures sans la permis- sion des autorités. Mais bien vite, on en vient a appeler «coureur des bois» tout voyageur qui parcourt les foréts pour négocier les peaux de bétes directement avec les Ameérindiens. Le premier bateau, le EAGLET, sur lequel se trouve Radisson, est refoulé par la tempéte et doit s’en retourner au port, mais le deuxieme, le NONSUCH, arrive jusqu’a la baie et y passe I’hiver. Le premier travail des hommes est de construire un fortin pour s'y abriter durant la mauvaise saison. Le printemps venu, tout comme l'avait prevu DES GROSEILLERS, les Amérindiens viennent y échan- ger leurs fourrures et le NONSUCH repart au cours de été pour l’Angleterre, les cales bien remplies. Le gou- verneur de la Nouvelle-France, en se conduisant avec si peu de clairvoyance, venait peut- étre de rater une belle occa- sion de créer une compagnie pour la traite des fourrures. Européens pour border les bas de robes, les encolures &t les manches, doubler les vétements, et fabriquer d’ chapeaux. Rien qu’entre 1660 et 1760, on évalue a prés de vingt-cing millions le nombre de peaux de Castor expédiées vers la France. Il faut bien sar ajouter a ce Chiffre les milliers de peaux de loutres, de renards, de'Martres, de rats musqués, deloups, de visons, de cerfs, de caribous et d’ours ef-s En Europe, les nobles et les bourgeois développent un tel engouement Pour la fourrure que parfois, Cela se traduit en un véritable Massacre des animaux sur! continent américain. De la ténacité avant tout La création de la com- pagnie de !a Baie d’Hudson n'empéche pas pour autant la traite des fourrures de progres- ser en Nouvelle-France. A Montréal, sur la rive du Saint- Laurent, les négociants fran- gais et les coureurs de bois s'embarquent pour d’autres expéditions. Ils feront des milliers de kilometres de navigation et de portage. 4 Remontant le Saint-Laurent, 1? 'Outaouais, traversant les Grands Lacs, descendant les \rivieres, partout, tout le long du H } parcours, ils traiteront avec les }{ Amérindiens. Si le voyage est \ / | fructueux, ils rentreront a Gt Montréal, leurs embarcations ' pleines de fourrures. Pourtant, il n’est pas sir que les fourrures se vendront bien. Ne dit-on pas que les entrepots de la Nouvelle- France regorgent de peaux que l’on céde a vil prix. C’est que la compétition est forte. Les fourrures que les Anglais recueillent a la baie d’Hudson ont le poil plus épais et plus long que celles que les cou- reurs des bois obtiennent dans la région des fleuves et des Grands Lacs. Qu’importe, les valeureux voyageurs de la Nouvelle-France poussent l'aventure toujours plus loin vers l'Ouest, établissant a travers le nord de |’‘Amérique des postes de traite ou les Amérindiens viennent échan- ger les produits de la trappe contre divers objets de troc. les peaux utilisées innombrables \ \ Lechapeaudecastor ne Net Se queles poils del'animal. =RA AE \. Création de la «Hudson Bay Company» Au retour du NONSUCH, les commergants qui, en Angle- terre, avaient commandité le voyage a la baie d’Hudson, sont ravis. IIs ne leur en faut pas plus pour former une compagnie et décider de renouveler l’expérience en envoyant chaque année d'autres navires. Enthousiasmé, le roi octroie a la nouvelle compagnie le monopole du commerce dans les régions baignées par les riviéres qui se jettent dans la baie. Bientot on peut voir des bateaux, partis quérir des fourru- res, sillonner l’Atlantique. Puis la compagnie construit des postes de traite que les négociants abandonnent I’été pour retourner en Angleterre. Pourtant, le besoin d’une présence permanente se fait sentir. La compagnie décide donc de nommer des agents qui s'installent dans les divers postes. Des navires anglais viennent les approvisionner chaque été et repartent les cales remplies de fourrures. Au retour de leur premier voyage, Radisson et Des Groseillers furent plut6t mal regus, en Nouvelle-France. Aujourd’hui il est permis de penser que, s’ils avaient été ac- Cueillis avec un peu plus d’enthousiasme, peut-étre l'histoire de la traite des fourrures eut-elle été différente. Malgré tout, cela n’empécha pas nos deux voyageurs de repasser un-peu plus __tard au service de la Nouvelle-France. Douze couteaux pour une peau de castor A lafin du XVléme siécle et au début du XViléeme siécl les Amérindiens troquent leurs fourrures contre un peu n’importe quoi: une aiguille, un morceau de fer blanc, un petit miroir, un grelot etc... Mais, bien vite, ils apprennent qu’ils peuvent tirer meilleur profit de leurs produits. La ol un Amérindien se conten- tait avant d'un couteau pour une peau de castor, il en exige maintenant une douzaine. Parmi les objets troqués, le plus commun est la hache qui remplace le tomahawk. Les Amérindiens convoitent aussi les lames d’épées et de sabres qui leur sont trés utiles pour la chasse. Un autre objet de troc impor- tant est lECARLATINE, sorte de couverture faite de drap de laine rouge, créme, ou bleue et bordée de bandes noires. Plus les Européens se mettent a porter de la fourrure plus les Amérindiens fabriquent leurs vétements avec ces couvertures. —— E “R su fie Atay j esl ua il La foire des fourrures En Nouvelle-France, a certaines époques, la traite des fourrures est libre. Cepen- dant, chaque peau de castor “qui est envoyée en Europe est taxée. De plus, toutes les peaux acheminées vers la France doivent passer par la compagnie qui détient le monopole des fourrures. A l'intérieur du territoire, le mode de traite peut varier d'une année a l’attre. C’est ce qui explique que jusqu’au XVile siécle, la foire aux fourrures occupe une place trés importante dans ce commerce. Au moins une fois par an, les villes de Montréal, Trois-Riviéres et Québec deviennent de grands postes de traite. Dés le début du printemps, les Amérindiens, en particulier les Outaouais et les Algonquins, arrivent sur leurs canots chargés de fourrures. Marchands, Amérindiens, et coureurs des bois s’accordent d’abord le temps de ranger leurs canots, déballer les peaux de bétes, dresser les tentes qui les abriteront le temps de la foire et d’obtenir du gouverneur général une audience publique. En prin- cipe, celle-ci est accordée pour le jour suivant. Des le lende- main, les transactions com- mencent. Amérindiens et coureurs des bois s’adressent dans la mesure du possible «a ceux qui semblent avoir les bourses les mieux garnies» et a tous les échangeurs préts a troquer des munitions et des objets utiles, ou encore a ceux capables d’offrir un prix inté- ressant. C’est dans une ambiance toute de harangue, de couleurs et de grande animation que se déroule pendant quelques jours cette foire trés originale. = an = Les premiers fusils Avant l’arrivée des Européens, les Amérindiens n’ont jamais vu d’armes a feu. Les premiers coups de fusil qu’ils entendent les terrifient. Mais bien vite ils en viennent a vouloir les posséder, tant pour faire la guerre que pour aller a la chasse. Malgré une ordon- nance du gouvernement, émise en 1612, interdisant aux négociants de troquer des armes a feu avec les Amérindiens, sous peine d’amandes et méme de chatiment corporel, ceux-ci continuent de n’en faire qu’a leur téte. Voyant que cette menace n’impressionne guére les trafiquants, en 1662, le roi de France émet une nouvelle ordonnance menagant de peine de mort ceux qui remet- tront des armes a feu aux Amérindiens. Le probleme devrait donc étre réglé, mais tout se gate a partir du mo- ment ot les Anglais et les Hollandais commencent a tolérer la vente d’armes. C’est ainsi que vers 1640, les Iroquois, principaux fournis- seurs des Hollandais, finissent par acquérir des fusils, des arquebuses et de la poudre. Puis en 1636, méme en Nouvelle-France, la vente d’armes a feu aux Amérindiens devient permise, a condition toutefois que ceux-ci aient épousé la cause du Christia- nisme. Il va sans dire que tout cela ne présage rien de bon pour la paix future du pays. ~ Eau de feu, eau de mort Le négoce des armes n'est pas le seul probleme que la traite des fourrures améne parmi les tribus amérindiennes. Pour certains négociants, le moyen le plus facile de s’enrichir consiste a échanger de I’eau-de-vie contre des peaux de castors. Une seule barrique d’eau-de- vie peut a cette Epoque rap- porter soixante-quinze fois son prix d’achat. L’introduction de l'alcool en Amérique allait devenir l'un des plus grands fléaux que les peuples autoch- tones aient jamais eus a — no, ape ttt ee ome bes