Le Moustique Volume 5 - 4° Edition ISSN 1496-8304 Avril 2002 Dans ce contexte, je ne vois vraiment pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir un petit restaurant sur le sentier de la cote ouest. Une bien petite concession a la civilisation et absolument essentielle pour mon moral. Aprés une marche de dix kilometres, suivie d’une balade en sandale de plus d’un kilométre et demi, j'ai la faiblesse d’en étre convaincu. J’ai faim, je suis 4 bout de patience, prét a me jeter sur la premiére mouette venue. Et, comme a l'habitude sur ce sentier plein de magie et de mystéres, un nouveau miracle s’accomplit. II n’y a pas d’enseigne antique suspendue a une ferronnerie d’art. Ce n’est pas une petite chaumiére avec des géraniums sur les appuis d’une fenétre a petit-bois, point de cheminée en briques roses qui laisse s’échapper une fumée aux relents de rdti, mais c’est tout de méme le restaurant de Monique. Ah ! Je désespérais ! Qui est donc celui qui a composé ce poéme qui me revient en mémoire a cet instant méme : « ... Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village fumer la cheminée ... » ? Le pauvre, il devait également avoir fort faim. Mais envolées les tristes pensées, adieu a la mélancolie... du balai, et tout se dissipera devant un bon repas ! Ce n’est pas une rétisserie, tant s'en faut ; méme pas un sympathique bistroquet. En fait, une sorte de cantine ; une fragile armature en bois de pin, formée de quelques poteaux corniers et tournisses, sans décharge, reposant sur une simple sabliére a méme le sol. Cette charpente est recouverte d’une toile de tente qui fait office de toit, tandis que la fagade est protégée par une grande toile plastique transparente. A lintérieur, quelques tables et fauteuils de plastique blanc. Au fond, un empilement de provisions, tandis qu’a l’entrée trainent deux ou trois casiers de biére. Et puis, a ma grande surprise, d’assez nombreux consommateurs. — L’esprit du sentier se perdrait-il ? Il me semble qu’il y a ici beaucoup de gens qui devraient avoir honte. Ma fille ne répond pas. Elle regarde obstinément vers la cuisine ou une femme blanche, assez forte, prépare ce qui me semble étre une bien délicieuse omelette. Dés l'abord, elle me parait extreémement sympathique, tout enrobée qu’elle est de senteurs agréables. Autour d’une petite table en retrait, on s’assied dans un fauteuil qui s’effondre a moitié sans qu’on sache s’il s’enfonce dans le sable ou si le plastique ploie sous notre poids. Tout ici est assez sommaire et pas trop propre, mais c’est sans doute la concession offerte par ce restaurant a l’esprit du sentier. Il ya méme des menus sur la table. Ecrites au bic de toutes les couleurs sur des feuilles de cahier, aux taches de graisse prometteuses, s’alignent des appétibilités auxquelles mon estomac ne pourra résister. Il y a un certain choix. Du bon, du solide, de l’américain, mais pas trop d'indien, ...trés peu, en fait pas du tout. Il y a principalement des hamburgers. Comment dit-on cheeseburger en nuu-chah-nulth ? Monique ne peut me répondre ; c’est bien elle qui se trouvait a la cuisine, et elle est allemande. Ah ! La mondialisation ! Quand je pense que tout cela a commencé deux mille cing cents ans avant Jésus Christ, avec invasion indo-européenne. On n’est pas sorti du bois ! En attendant, on se commande chacun un hambourgeois triple étage avec frites et coca. Tant pis ! On n’en dira rien a personne. Suivez la suite de histoire dans le prochain Moustique ! 6