Pour la “rentrée", nous allons parler aujourd'hui de la facon de rédiger une lettre (dans les grandes lignes seulement). Dans ma tendre enfance (il y a bien longtemps), on ne faisait pas preuve de beaucoup d'originalité ni d'imagination quand on écrivait 4 quelqu'un. Combien de fois ai-je entendu ma mére pouffer de rire quand nous recevions des lettres d'un cousin qui commengaient invariablement par: "Trés chers et honorés cousins, Je prends la plume dans la main, pour vous dire que j'ai bien regu votre courrier du... , etc.". De nos jours, ce style ampoulé semble ridicule mais c'était comme ga, a cette €poque. Depuis, les choses ont bien changé... Pour qu'une lettre soit intéressante 4 lire, il faut qu'elle soit bien "batie". En d'autres termes, il faut qu'avant de commencer a l'écrire, on sache ce qu'on va y mettre, et que ¢a soit écrit en termes clairs, dans un ordre chronologique. II est toujours préférable de traiter d'un seul sujet par paragraphe (de six a dix lignes), de fagon que la personne qui lit votre lettre s'y retrouve plus facilement. Ce qu'il faut éviter a tout prix: e les je et moi intempestifs; ¢ l'usage répété d'un méme mot, alors que ce mot a plusieurs synonymes (consulter un dictionnaire) ¢ les pléonasmes, qui sont des termes ou expressions qui ne font qu'ajouter une répétition 4 ce qui vient d'étre énoncé: c'est prévu a l'avance; a partir de dorénavant; monter en haut; descendre en bas, etc.; e la généralisation: ils disent que; ils sont tous les mémes; on ne peut jamais avoir confiance en eux; "eux autres", qui en plus d'étre une expression fautive, est doublée d'un pléonasme; ¢ le manque de précision: c'est un truc; un gadget, ou un machin. A ce sujet, il existe sur le marché un excellent dictionnaire thématique illustré (en anglais et francais), intitulé Le Visue/, ou on trouve le nom exact de milliers d'objets et autres (Edition francaise, 1411 rue Ampére, C.P. 305, Boucherville, (Qué) J4B 5W2); e envoyer une lettre avant de l'avoir relue plusieurs fois, car trés souvent on oublieé de dire des choses importantes. Si l'enveloppe n'est pas encore scellée, on ajoutera en post-scriptum ce qui a été omis. (Suite dans le prochain bulletin) Libre-Propos Elle s'appelait Jeanine. Lui s'appelait Jean-Paul. Ils possédaient un confortable bungalow, 4 Longueuil. Cing jours par semaine, en se rendant a l'ouvrage, ils arrétaient au dépanneur du coin pour prendre un café et acheter leur provision de cigarettes pour la journée: trois paquets de Mark Ten pour elle, et la méme quantité de Sweet Caporal pour lui. Pendant des années, religieusement, Jean-Paul et Jeanine n'ont jamais dérogé a leur chére habitude, jusqu'au jour ot Jeanine a été prise d'une quinte de toux accompagnée de fortes douleurs dans le dos. L'incident s'étant produit au restaurant ot travaillait Jeanine, la propriétaire, voyant que son employée suffoquait et avait du sang sur les lévres, l'a emmeneée 4 I'hépital. A son arrivée, Jeanine a été immédiatement mise sous une tente a oxygéne, et on lui a administré un calmant pour tenter d’arréter les quintes de toux. Le méme jour, on lui a fait une radiographie qui montrait une zone sombre s'étendant 4 cheval sur les deux poumons. Le médecin n'a eu aucune peine a établir le diagnostic: cancer avancé inopérable, avec une chance de survie de trois mois. C'est exactement le temps que Jeanine a survécu. Elle avait trente- Six ans. Jean-Paul a enterré son épouse, et les années ont passé. Un été, Jean-Paul est parti faire le tour de la Gaspésie. Dans la Baie des Chaleurs, histoire de se rafraichir, il est allé faire trempette dans l'eau glacée. Sur le chemin du retour, Jean-Paul a ressenti dans les jambes une douleur étrange. “Je l'ai depuis mon retour, cette maudite douleur", m'a t-il dit. " On dirait que j'ai encore les jambes dans l'eau froide, et ca me serre comme dans un étau." "Vas voir le docteur", lui ai-je conseillé. " Non, ce n'est pas nécessaire. J'ai da attraper la "fraiche", m'a t-il répondu. Les douleurs devenant de jour en jour plus intolérables, Jean-Paul est enfin allé voir le docteur. II n'avait pas le cancer comme sa femme, mais c'était aussi grave, car le médecin lui a annoncé qu'il souffrait d'un type d'athérosclérose causée par la nicotine, et qu'il faudrait envisager tOt ou tard I'amputation, 4 cause d'un commencement de gangréne. On n'a jamais amputé les jambes de Jean-Paul. La derniére fois que je l'ai vu, clest quand il est venu voir son frére, 4 Shannon Lake. C'était probablement pour lui faire ses adieux, car il est mort quinze jours aprés sa visite. Il avait cinquante-deux ans. Le frére de Jean-Paul (un ex-gros fumeur) vit encore. II est retourné au Québec il y a quelques années, ou il survit de peine et de misére, parce que lui aussi souffre d'une grave maladie coronarienne aggravée d'emphyséme. Surtout, si vous fumez, ne vous sentez pas visé par mes propos, Car rien ne peut vous arriver. Comme chacun le sait: tous les malheurs n'arrivent qu'aux autres... Robert Momer