12, Le Soleil: de Colombie, Vendredi 8 Avril 1977 L’espérance et ’épanouissement par Pierre Viansson-Ponté Mais enfin, de quoi se plai- gnent les Francais? Le chémage atteint de plein fouet toute la société industrielle et cependant leur pays n’est pas, et de loin, le plus durement frappé: a peine un million de sans-emploi, 4% de la population active. Et puis, on ne cesse de le leur répéter: il n’y a pas de chémeur au monde ou presque qui soit aussi bien protégé, aussi largement indem- nisé, aussi favorisé en un mot, que le chémeur frangais. II bénéficie d’une sécurité sociale qui l’assure contre tous les accidents de la vie — et Dieu sait ce qu'il en cofite! On lui garantit 90% de ses ressources antérieu- res s'il est victime de la crise — les ch6meurs de luxe, comme on dit. Il existe toute une batterie trés compléte d’aides, d’alloca- tions, de prestations, tout un systéme trés efficace de surveil- lance du marché du travail et de réemploi. Ah! les chémeurs fran- cais ont de la chance. ils ne sont pas, il s’en faut de beaucoup, les plus malheureux. Bien sfr, il y a le chémage des jeunes, de tous ceux qui, méme diplémés, méme formés a un métier, ne parviennent pas a s'intégrer, 4 trouver un premier travail ou 4 le conserver. C’est préoccupant, mais. 1a encore, il y a des subventions, des secours, des formes multiples d’assistan- ce; et puis les jeunes Frangais ne sont pas les seuls dans ce cas. Qu’ils prennent patience: croient-ils donc que les généra- tions précédentes ont toujours eu la vie facile? Tout donne a penser que, pour freiner ]’inflation, nous voici installés dans le chémage pour de longues années. Entre deux maux... C’est une fatalité, voila tout. bth Dans ce type de raisonne- ment, il y a du vrai et du faux. Vrai: le chOmage durera et il risque méme de s’aggraver enco- re; la Commission de Bruxelles estime qu'il atteindra au moins 5% de la population active dans l'ensemble du Marché commun en 1977, et encore: a la condition f. = NOMINATION Jean Longval Les Hebdos du Canada sont heureux d’annoncer que M. Jean Longval (de Trois-Riviéres) agit main- tenant a titre de directeur général. L’association regroupe 75 hebdomadaires dont le nétre. BD. qque la reprise se confirme et que l’expansion atteigne un taux élevé. Vrai: les jeunes sont particuliérement touchés: 54.1%, plus de la moitié, des 201,400 demandeurs qui se sont inscrits en décembre a l’Agence nationale pour ]’emploi avaient moins de vingt-cing ans. Vrai: les diplémes, les études, la formation professionnelle ne constituent plus une assurance; un sur trois au moins des titulaires d’un certificat d’aptitu- de professionnelle (C.A.P.), un sur cing environ des détenteurs d’un brevet d’études profesion- nelles (B.E.P.), un sur dix des bacheliers techniciens des pro- motions 1975-1976 n’ont pas de travail; et pour les filles, la situation est pire que pour les garcons. Vrai et faux a Ja fois: l’indem- nisation a 90% est généreuse, mais elle ne dure au maximum qu'un an et n’intéresse que cent vingt mille chémeurs, a peine plus d’un sur dix. Des neuf autres, cing sont indemnisés temporairement et a des taux variables par les Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), quatre touchent 13,50F par jour pen- dant trois mois, 12.40F ensuite, avec un abattement de 10% par année de chémage.Et cela, a la condition que leurs ressources soient inférieures. en tout, a 24,18F par jour. En pratique, le montant de |’aide mensuelle ne dépasse pas 500F pour le quart des bénéficiaires et 1,000F pour 55% d’entre eux. Faux donc: les chémeurs francais ne sont pas les mieux lotis et ils sont bel et bien a plaindre. ae Au surplus. le plus grave n'est peut-étre pas la. Les in- demnités, aides, allocations, prestations sont évidemment in- dispensables. Pourtant, méme si elles étaient beaucoup plus lar- ges encore, cela ne changerait rien au fond des choses. Un jeune chémeur, c’est un garcon ou une fille qui se sent, se voit, se croit rejeté par la société. Pour eux. la premiére lecon de la vie, c’est d’apprendre a perdre l’espérance. II se pré- sente, il écrit, i] téléphone: pas d’embauche. Rien pour vous. Ici on licencie, on va fermer.Vos études, vos diplémes? Ils ne valent rien. Ah! Si vous aviez quelques années de pratique, peut-étre... Et encore: il faudrait que vous ne soyez pas trop gourmand ni trop pressé. Et que vous soyez, bien entendu, dyna- mique, et docile, et travailleur. Alors, aprés quelques mois d’es- sai, on pourrait voir. A condition que la situation s’améliore, natu- rellement. Ne croyez pas qu’on a besoin de vous. qu’on vous attend. Rejetés, inutiles. Exclus, pau- més. Que font les exclus et les paumés quand ils sont renvoyés dans les marges d’une société qui ne veut pas d’eux? Ils deviennent des marginaux. IIs adoptent parfois des conduites de paumés, des conduites suici- daires. Trente mille drogués, dit-on. Deux cent mille délin- quants peut-étre. dont soixante mille de moins de dix-huit ans. Quant aux suicides, il n’y a pas de statistiques: les chiffres ad- mis, ceux de | INSERM par exemple, font état de dix mille morts par an, de tous Ages, mais ne recensent pas les tentatives. 8.0.8. Amitié recoit chaque jour, 4 son seul centre de Paris, cing appels de candidats au suicide, cent cinquante par mois, émanant en majorité de jeunes et de personnes Agées. Oh! Tous les jeunes chémeurs ne deviennent pas des margi- naux, des délinquants, des dro- gués, ou des suicidaires, heureu- sement. Mais allez donc, aprés ces débuts prometteurs, leur vanter les merveilles du pro- grés, le savoir-faire des gouver- nants, le désintéressement des entrepreneurs, l’efficacité des syndicats... Et on ose leur repro- cher, 4 ces jeunes, de manquer d’enthousiasme, de refuser de s’engager — dans l’action, dans la collectivité, dans-le mariage ou méme, et c’est le comble, dans le travail! On entend gémir, dans des discours paternalistes, sur les “refus de la vie” parce qu’ils n’ont pas assez d’enfants. SEELEELESELECEECEEEECES ee ee ee ee “DOUILLETTE” (literie) Au Canada, cette expression désigne improprement un couvre-pied matelassé, connu en frangais universel sous le nom d’EDREDON. 01 n’y a aucun profit 4 conserver ce particularisme de langage. (CAN.) Fille prenait soin de plier la DOUILLETTE au pied du lit. (F.U.) Elle prenait soin de plier !/EDREDON au pied du lit. Observations: 1) On entend parfois le mot “confortable” en ce sens. C’est un anglicisme. 2) La DOUILLETTE est un manteau de bébé ou un pardessus d’ecclésiastique. BACKLOG (adm.) Définition: Ce qui est en retard, qui attend de recevoir une suite dans un bureau. Traductions: ARRIERE EN SOUFFRANCE EN RETARD Exemples: S’attaquer a l’arriéré de correspondance. Expédier les commandes en souffrance%accumulées. SENIOR STAFF Définition: Personnel supérieur de lentreprise caractérisé par ses pouvoirs de décision. Traductions: DIRIGEANTS CADRES SUPERIEURS Voir a ce sujet Guinot et Romeuf, Manuel du chef d’entreprise, aris, Deux chiffres encore, dans un domaine bien limité et apparem- ment secondaire. mais qui en disent long: un million seule- ment des jeunes de quinze a vingt-cing ans, qui sont en tout huit millions, résident hors du domicile familial. Une enquéte (1) a montré que.sur les sept millions qui restent (dont plus de la moitié travaillent et dont 15% sont mariés), 80% aspirent a vivre de facon autonome, indé- pendante. Mais ils ne trouvent pas“a se loger ou ne peuvent payer les loyers qui leur sont demandés. aK Si les jeunes chémeurs ap- prennent ainsi a perdre l’espé- rance, les ch6meurs de tous ages doivent renoncer. eux, a |’épa- nouissement. Etre sans travail, en France, en 1977, comme un million d’hommes et de femmes, c'est vaguement suspect, c’est presque honteux. On est un inutile, un feignant. une sorte de mendiant qui se croise les bras pendant que les autres se fati- guent pour le nourrir. Qu’il aille d’ailleurs toucher ses maigres allocations, pointer au chémage, chercher un emploi. on le lui fera bien sentir. C’est exagéré? Combien de chémeurs quittent leur domicile le matin pour n’y revenir que le soir, comme s’ils allaient au bureau, a l’usine ou 4 l'atelier, afin que leurs enfants ne sachent pas, ne voient pas. que leur pére est un bon a rien? Combien ressentent, au fil des semaines, des mois, une inquiétude crois- sante aux causes plus psycholo- giques et morales encore que matérielles, qui conduit souvent a la dépression. au doute, a l’angoisse? Allez done leur conseiller d’utiliser leurs loisirs forcés pour s'instruire, se culti- ver, se former. en un mot s’épanouir! Les allocations. les aides, les indemnités, c’est bien, c’est in- dispensable. Mais ce n’est pas tout, ce n’est pas assez. L’espé- rance et |’épanouissement sont aussi des droits pour l’homme, ils lui sont aussi nécessaires que le pain. (1) Rapport du groupe de travail sur le logement présenté le 3 février 1976 A Ja commission affaires sociales-jeunesse consti- uée par le gouvernement. Les Franco-onta : riens prennent la parole... par Mare Labelle SUDBURY — Quel- ques jeunes se _ sont réunis en 1973 a l’univer- sité Laurentienne de ‘Sudbury et c’est depuis - cette date que Prise de parole, |a seule maison - - d’édition connue en On- _tario, existe. En effet, cette poignée de jeunes Franco-Ontariens, _aiguillonnés par un vif désir de s’exprimer, a Ce a la puplive: tion de Lignes-signes, recueil de poésie réunis- sant quatre auteurs de chez nous dont Gaston Tremblay, Denis St- Jules, Placide’ Gaboury et Jean Lalonde. Depuis eer tinnes «Prise de parole» a publié, en 1974, Les communords, exercice de théatre de Claude Belcourt, crée par le ‘Lafleur, Théatre du Nouvel- On- tario ala Nuit sur |’Etang de cette méme année. Par la suite, un numéro expérimental de la revue «Cano», du Nouvel-Ontario qui visait a faire mieux con- naitre les artistes franco- ontariens oeuvrant dans des domaines les plus diversifiés. Plus tard, lors de la «Nuit sur VEtang» 1975, «Prise de parole» a fait un entrée fracassante avec pas moins de quatre nouvelles oeuvres de - belle cuvée: Lavalleville, comédie-musicale _franco-ontarienne dré Paiement, qui a rem- d’An- porté un succés impres- -sionnant d’une tournée’ de 50 représentations; Hermaphrodismes, roman de Tristan Organe de la. Coopérative des Artistes exploration bouleversante de la se- xualité, illustré de nom- breux dessins. signés, Diane Dauphinais; Au nord du silence, recueil de poésie franco- on; tarienne sous forme de dossier réunissant huit poétes de_ |’Ontario, recueil trés bien regu depuis sa parution; puis, _Au nord de notre vie, poéme-affiche de grand .format, texte de Robert Dickson, graphisme de Raymond Simond, en édition limitée de 300 exemplaires numérotés et signés par les créateurs, dont le tirage original est déja presque épuisé. Par rapport aux autres petites maisons d’édi- tion du Québec ou du -Canada anglophone, et surtout étant tonné leurs ressources hu- maines_ et - financiéres limitées, ce bilan est dé- ja éloquent. Mais ce n'est pas tout. Avant la | fin de l’année, un autre roman, Des’ gestes seront posés. de Jocelyne Villeneuve, méditation nocturne mettant en scéne Héloise et Abélard, deux amoureux déchirés par leur destin tragique. Et_ d’autres manuscrits et projets sont en chantier. C’est donc dire que la maison d’édition «Prise de parole» existe bel et bien. Mais les problémes sont encore la: la distribution et une équipe qui travaille a | titre bénévole dont Claude Delcourt, !’éditeur, qui a du mal a sensibiliser le grand public franco-ontarien qui ne participe pas en- core assez a cette oeuvre collective. eae ay els nine pnhlinn salt