Le Soleil de ee a 8, 1 aout 1969 a francophonie po Nees a Nt | | | a en ee HAITI & SA TORTUE =~ le p. Roger Riou et Ile de la Tortue Mais qui est donc ce « Schwei- tzer des Caraibes » comme aiment a l'appeler les Nord-américains ? || a répondu lui-méme 2 l'un de ses visiteurs : « A 17 ans, lors d'une gréve que nous avions suscité sur les quais, il y eut une bagarre un peu plus dure qu’on ne le prévoyait. On me jeta donc en prison avec les autres et j’y restai trois semaines, jusqu’au jour ou, me considérant comme un en- fant moralement abandonné,_ ils me collérent dans une maison de redressement... Je me révoltai aus- sit6t arrivé : re-prison, re-maison de redressement. Une histoire de fous comme vous voyez... en tous cas, la prison, ¢a fait réfléchir. Mais en- fin comme j'avais un métier, on me placa dans une famille ot l'on me considéra vraiment comme l'enfant de la maison pendant deux ans... » @ &t /e sacerdoce? « C’est venu lentement: une vocation est un long cheminement. ll faut remplacer un idéal par un autre et le processus psychologi- que peut étre assez long. J’étais entré dans la J.O.C. qui a cette épo- que était encore a ses débuts. Le mouvement m/avait attiré & cause du respect qu’il professait pour le _ travailleur et j'ai finalement com- pris qu’on pouvait remplir mon an- cien idéal socialiste sans haine, sans terrorisme, sans anarchie et que les chrétiens étaient encore plus capa- bles que les communistes de réali- ser cette sorte de « paradis sur ter- re » qu‘ils promettent. @ A quoi croyez-vous? « Si tous les gars du monde vou- laient se donner la main... » c'est ca le christianisme. Essayer de com- prendre l'autre ;: le dialogue quoi! Mais le communisme a ceci de bon : il réveille le chrétien. L’éveil se re- marque maintenant un peu partout dans le monde... Je suis trés heu- reux de l’inquiétude générale qui se fait sentir en chrétienté: c'est trés bon, vous ne croyez pas?... Evi- demment, ce n’est peut-étre pas normal qu’on vienne vous « taper » sans cesse pour les autres. Non... cette forme d’intervention caritative sera toujours une solution provi- visoire. Mais pour le moment, les chrétiens doivent aider les peuples déshérités a grandir, a devenir adultes, 4 se débrouiller seuls. I] faut leur apprendre & ne pas compter sur nous... » . C’est pourquoi les malades du pére Riou recoivent plus que des soins. lls se préparent aussi a pren- dre la reléve de ceux qui sont venus les aider. A l'ile de la Tortue, il y a en plus de I’hépital, une école nor- male, une école d’infirmiéres et bientét |’Allemagne financera une école d’agriculture. La France a envoyé un expert en agronomie et promet un spécialiste en péche- ries. « Je veux que tous les pays soient dans le coup », souligne en toute simplicité le pére Riou. Le Canada envoie des semences, du lait en poudre, de |’outillage. Les U.S.A. envoie des docteurs qui se relaient pour un service gratuit. e Il y a des /oisirs a la Tortue? « Non aucun. On lit. Des ro- mans policiers seulement. C'est ce qui distrait le plus. C’est dur. Trés dur. oa @ Qu’est-ce qui vous fait tenir le coup ? « Le spirituel, mon cher! dit-il » en riant et en brandissant le poing. Et la satisfaction de travailler a sor- tir ces gens du pétrin. J’ai un moral du tonnerre ! », @ Pére Riou, c'est quoi la mission pour vous ? « Ah! de tous cétés on entend dire qu’il faut repenser le probléme. On le repense si bien et si longtemps que la solution finit par échapper! Enfin |’Evangile c’est simple et la -Mission c’est de le faire passer. Faire passer ce message-la, c’est d’abord savoir qu'il n'est pas le vétre, qu’il vous précéde et vous dépasse. Et puis, c’est le vivre comme quelque chose de vrai qui mérite qu’on engage sa vie sur lui. Le missionnaire n'est pas en- voyé pour nourrir les affamés, guérir les malades, secourir les indigents, mais porter cette vie que le Christ est venu donner et, _comme il dit, en abondance. Seule- “ment, cette vie-ld n’entrera pas dans le cceur des hommes qui ont faim ou que la maladie torture jusqu’a en faire des désespérés. Ceux qui ont perdu le goat de la vie ne peuvent désirer une autre vie, fut-elle éternelle. D’ailleurs le Christ n’a-t-il pas donné comme signe authentique de son message que les malades étaient guéris? « Allez rapporter & Jean ce que vous avez vu et entendu: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent... et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres... » Comment pourrait-on opposer le progrés de |’'homme et la mis- sion? « Populorum progressio » est un rappel authentiquedel’Evangile». Dans le journal de Liliane Van de Moortele m 1966 — « La Tortue sous la pluie, c’est sinistre. Le village est transformé en cloaque. Le sol en terre battue des cayes n’est plus qu'une plaque de boue et les gos- ses, jambes et pieds nus, barbottent dans cette boue rouge. La nuit, ils n’auront qu’une simple natte en bambou pour faire rempart contre I‘humidité du sol. Ceux qui possé- dent de vieux chiffons les entassent sur le corps pour se protéger du vent trés frais de la nuit et esstyer de trouver un peu de chaleur. La Tortue. étale, sous la pluie, une misére plus intolérable encore. Mais le pére Riou disait : « De- puis 28 années de séjour, c’est la Senna année pluvieuse que je connais. Et ca, c’est notre chance, car la pluie ici signifie 4 manger pour tous dans les mois a venir. » 1968 - « Le grand drame c’est l'eau! Il ne pleut toujours pas. [Les eaartas c’est-d-dire les maisons ond jon distribue du lait ont évité a Vile "i Lorsqu elle posa le pied pour Ta premiére fois sur Vile de la Tortue, Liliane. fut effarée d’avoir & chevaucher une bourrique. Aujourd’hui c'est une vraie « cow-girl », qui ne regrette pas sa Belgique natale. ‘Presque toutes les citernes sont vides. Quant a la source, elle a tel- lement diminué son débit qu’on’se demande si elle’ aura encore de l'eau dans quelques semaines. On fait des 6conomies de plus en plus sévéres, mais il faut quand méme de I’eau pour vivre. Si seulement on pouvait avoir ne serait-ce qu'une heure de pluie pour nos citernes! A la place, toujours ce grand vent fatiguant pour les nerfs... On est a bout! Pourvu qu'il pleuve! autre- ment nous n’aurons plus d’eau po- table et nous ne pourrons plus pré- parer le lait en poudre que nous utilisons. Car il y a des centaines d’en- fants qui viennent a la « Caye-lait » pour y recevoir un grand verre dé lait, une petite bouteille et un mor- ceau de pain qui leur permettra d’at- tendre la tombée de la nuit. Au total, on doit arriver 4 800 enfants. On a pensé organiser la Caye-lait «a l'européenne ». On aurait fait un fichier avec une carte par enfant pour y noter son poids et sa ae chaque mois. C’est impossible : faudrait 2 personnes supplémen- _taires pour ce travail. Essayez de vous représenter ce que c'est: des centaines d’enfants pour lesquels il faut préparer des litres et des litres de lait, couper des tranches de pain etlaverles godets! C'est grace a ce travail que les enfants de la Tortue n’ont pas eu trop a souffrir. Et pourtant, en 1967 et 1968, la sécheresse a été telle que I’équipe dut suspendre pen- dant un temps les distributions de lait: il n'y avait plus assez d'eau -pour diluer la poudre de lait aux enfants. Alors un projet d‘autrefois fut repris ; trouver une source capable d’alimenter I’ile et le centre ND des Palmistes! Un ingénieur appelé fit des recherches: il trouva une sour- ce dans les « mornes ». Elle est cer- tes éloignée du centre: mais qu’a cela ne tienne! Creuser un puits, capter une source et faire une ad- duction d’eau est un travail fantas- tique, mais des amis Belges et Ca- nadiens ont pris la chose a coeur. » « Nous avons actuellement 800 personnes qui travaillent en échan- ge de nourriture. Un grand nombre s‘adonne a la construction de notre premiére route reliant |’hépital au bord de mer. Il faut voir ce travail pour lequel nous recevons une aide généreuse de|l’Angleterre par |’OX- FAM. Pour construire cette route, il faut contourner des falaises a pic, y construire des murs de pierre de 3,50 m de hauteur. Je me deman- dais comment nous allions accom- plir un tel travail avec les seuls moyens que nous possédions:: pel- les, pioches, barres 4 mines,-mas- ses... Pourtant depuis un mois que les constructions ont commencé, une des parties les plus difficiles de la route est réalisée. Des murs de pierre trés hauts ont été construits. Pour rassembler les pierres néces- -saires, les ouvriers grimpaient au sommet de la montagne et y déta- chaient d’énormes blocs de ro- chers; a un coup de sifflet donné par le boss, les manceuvres pous- saient ces rochers dans° fe> Vide. Des troncs d’arbre étaient placés en travers des constructions pour arréter les pierres, mais certaines. entrainées par leur poids et la vi- tesse de la chute,-tombaient dans le fond des ravins avec un bruit impressionnant. Une équipe d’ouvriers est for- mée pour placer ces pierres les unes sur les autres et construire les murs qui retiendront la route. D’autres casseront les gros rochers pour en faire des graviers. Tout le c i \ Bin. - . la Tortue, la plaie qui sévit ailleurs em. cas de sécheresse, monde travaille avec entrain sous un soleil de plomb. Sur le chemin il y a des roches qui font corps avec la montagne et qu'il faut retirer pour obtenir une largeur de route permettant le passage d’un camion. Comme nous n’avons ni compres- seur ni dynamite, il faut employer tous les moyens locaux... et ils sont vraiment rudimentaires: on couvre la roche d’oranges améres et d’un gros paquet de bois qu’on © fait brOler. Le feu chauffe la roche ‘qui s'imprégne de I’acide des oran- ges; elle éclate et fond! »