i . AS ea agen date - aed om i =] BS a RNR IE RES ~~ LES LANGUES: UN ATOUT ‘¢ BIL INGUISME’’? POUR MODERES FANATIQUES PAR M. KEITH SPICER COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES “Spicer, Voici la suite du discours prononcé par M. Keith Commissaire aux langues officielles, A la Quebec Society of Upper . Canada, A Toronto, le 14 -septembre dernier. Mais elle devrait avoir pour but principal de créer un climat pré- sentant des structures et des garanties satisfai- santes et au sein duquel les deux langues officiel- les jouiraient vraiment du respect de l’ensemhle des Canadiens et seraient considérées comme _ de précieux atouts pour le _ pays. La question des termes mise a part, l’absence d’un climat idéal nous force a regarder au-dela des ar- guments généralement in- voqués en faveur de l’éga- lité linguistique. La justice en est un ou, si vous pré- férez, le fair-play qui veut qu’on serve le contribuable dans la langue utilisée pour percevoir ses impots. L’efficaciteé en est un au- tre car des fonctionnai- res a qui l’on permet de s’exprimer dans leur pre- miére langue devraient normalement vous en don- ner plus pour votre argent. Enfin, si, l’on veut. établir une véritable communica- tion entre les citoyens et le gouvernement, que. le contribuable | de - Trois-Pistoles ou. de Moose Jaw puisse s’expri- mer dans sa propre langue lorsqu’il s’adresse au gou- vernement fédéral. Pour bien des gens, il y aurait aussi la raison historique bien qu’elle méne rarement A des conclusions sur les- quelles tous peuvent s’en- tendre car, exception faite des peuples indigénes, nous sommes tous immigrants, de plus ou moins longue date. Argument sans doute le plus prés de la réalité: le Canada, mosaique de nombreuses cultures d’im- portance locale, comprend d’abord et avant tout deux communautés pleinement structurées, unilingues en grande partie, dont le fran- gais ou l’anglais consti- tue la langue principale. Pour que le Canada soit, il faut que ces deux com- munautés, 14 ot elles se cdtoient, se retrouvent dans des institutions bilin- gues ~~ Or, ce sont tous des ar- guments superficiels qui négligent la question es- sentielle de la valeur que nous attribuons aux lan- gues. Evidemment, la concep= tion que l’on a des _ lan- gues (atout ou handicap) déteint sur toute autre mo-— tivation. Car tous les ar- guments habituellement in- _ voqués perpétuent la trés canadienne aberration qui ‘Québecois il faut nous pousse 4 dire que les langues empéchent les gens de se comprendre alors que dans presque tous les pays du monde les langues sont vues comme moyen de communiquer avec ses semblables de fagon plus intime et plus enrichissi- intime et plus enrichis- sante. ll est vrai que nous avons certaines excuses. Les Ca- nadiens anglais (sauf ceux du Québec, bien entendu) peuvent prétendre que pour vivre dans un Canada ‘*coast to coast’’, ils n’ont vraiment pas besoin d’ap- prendre le francais. Engé- néral, pour étayer leur thése sur la prétendue fu- tilité de connaftre une seconde langue, ils re- poussent genéreusement les limites de leur univers assimilateur pour y inclure -toute l’Amérique du Nord. Puis nous faisons appel a la tradition pour confir- mer la loi du plus fort: ‘‘Te Canada (ou du moins le petit coin que nous en connaissons) s’en est tou- jours bien tiré uniquement avec l’anglais; alors. pour- quoi retourner 4_ 1’école Pour le bon plaisir des Vous voulez ree sles tees A cette charmante apolo- gie de la stagnation natio- nale vient s’ajouter, atitre — de renfort, la voix d’un groupe de Québecois fran- cophones. tout aussi myo-. pes. Bien qu’ils citent Marx, Frantz Fanon, voire des pédagogues britanni- ques contemporains (tous pouvant apporter de l’eau au moulin), ceux qui veu- lent convaincre les jeunes Québecois francophones de ne pas apprendre les rudi- ments de l’anglais ne font certes pas honneur 4 la . ~ clairvoyance historique dont pourtant ils se recla- ment. ‘‘Mes enfants, ap- . prenez l’anglais s’il le faut, mais apprenez-le mal’ di- -sent-ils.- Lorsqu’il s’agit d’inscrire prématurément un petit francophone nord- américain dans une classe d’immersion anglaise, il y a lieu d’avoir certaines réserves car il lui faut, avant tout, trés bien ap- rendre le francais. Mais. 1, n’y a pas, de raison pour gater systématiquement I’ avenir du jeune franco- québecois. qui vit dans un . monde ot Jlutilité de l’an- glais (dans les sciences — -et les affaires, sans par- ler de la culture) est loin d’étre marginale. Fort heureusement, | la majorité .des Québecois francophones. adoptent un» point de vue plus réaliste. Le Québec seule province au Canada ot lenseignement de la deuxiéme langue officielle est obligatoire A tous les niveaux du secondaire. Au- “queur-vaincu - national. demeure la... .trinaire. Mais je crois que - ga réaction ne serait pas tre indice: un sondage pu- blié la semaine derniére par la Commission des écoles catholiques de Montréal révéle que la plu- part des parents franco- phones interrogés souhai- tent que leurs enfants ap- prennent l’anglais comme langue seconde dés le début de ]’?élémentaire. Mais au fond, si les lan- gues constituent un obsta- cle plutdt qu’un atout pour la plupart d’entre nous, quelle que soit notre lan- gue maternelle, c’est fort probablement parce que dans notre subconscient historique elles constituent bel et bien un_ obstacle A l’acceptation mutuelle. C’est en somme sur les Plaines. d’Abraham que fut éritée cette barriére psy- chologique; l’analogie est aussi blessante pour un groupe linguistique que pour? Vautre= et. -c’est: a? ailleurs ce qui me pousse a croire qu’elle convient trés bien. Quoi qu’on en dise, ceux qui affirment que les Ca- nadiens sont restés accro- chés a4 cette relation vain- n’ont mal- heureusement pas tout 4 fait tort. Certes, comme le prétendent les sexolo- _- gues, le sado-magochisme a petite dose peut ajouter du piquant aux relations sans saveur, mais aprés ~deux cents ans, le piquant. finit par devenir du vice! _Aussi. devrions-nous ten- ter, de quelques part et d’autre, nouvelles. va- -riantes tout aussi élégan- notre théme Au lieu d’enton- ner avec Diane Dufresne ‘‘Les hauts et les bas d’ un contrdleur de l’air’’, on pourrait peut-étre jouer tess sur -un duo bilingue ‘‘Sur la méme longueur d’onde”’. Je m’en voudrais de pous- . ser jusqu’a l’indécence ces -rapprochements ~ avec Freud ou le marquis. de Sade, mais il me semble ‘qu’il est grand temps que -les anglophones aussi bien que les francophones ou- blient un ‘instant le dou- loureux sentiment d’insé- curité qui les traumatise pour songer 4 la situa- tion exceptionnelle du Canada par rapport aux autres pays. Il ne saurait™ “yy avoir de saines rela- tions entre anglophones et francophones au Canada ‘sans la reconnaissance du fait pourtant universelle- ment connu (sauf par de nombreux Canadiens) que histoire a gratifié notre pays d’un présent inesti- -mable en lui offrant, sur un plateau d’argent, deux langues mondiales. “La belle affaire!” répon- dra sitét l’unilingue doc- la méme si la langue de sa patrie était le papou, le _patagon ou quelque autre el eR ORR nt ct TT a aT a Tt TS Le Soleil de Colombie, Vendredi 8 Octobre 1976, 11 dialecte marginal. Qu’il aille demander aux Da- nois ou aux Hollandais ce qu’ils ne donneraient pas pour avoir une seule de ces langues passe-partout comme lanzue maternelle. Qu’il aille demander aux Frangais ou aux Espa- gnols, qui eux aussi par- lent une langue interna- tionale, pourquoi ils s’in- téressent 4 l’allemand ou a l’anglais. N’importe. qui au monde (sauf peut-étre un Cana- dien ) vous dira que la connaissance d’une deu- xiéme ou d’une troisiéme langue est une joie et un atout. Allez raconter aux autres peuples de la terre A quel fouillis et 4 quels complexes s’est heurté 1’ épanouissement de notre patrimoine linguistique et vous les verrez grimacer d’incrédulité. Je ne cherche pas 4 re- platrer les tensions qui surgissent inévitablement lorsque deux peuples se ~partagent un pays et qu’ils sont placés en _ situation de concurrence sur le plan du travail, de la réussite sociale ou sur d’autres ter- rains ow la dignité est en jeu.- Mais nous devrions savourer:-la perspective de rendre ces tensions créa- trices, tout en évitant les effusions de fraternité fon- dées sur une conception fictive des intéréts com- muns. nest pas _utopique d’ ~exiger que nos deux lan- gues s’épanouissent de fa- ¢on rationnelle par |’in- “termédiaire de nos gou- ‘vernements et de nos ~. écoles. C’est méme faire preuve du plus grand réa- lisme culturel, politique et économique. Quand on songe qu’un demi-milliard d’hommes dispersés dans prés de cinquante pays ont comme langue Officielle 1’ anglais ou le frangais, il serait idiot de notre part de laisser passer la chance par pur esprit de clocher. On peut bien sQr démon- trer l’avantage que re- présente la connaissance des deux langues sans méme sortir du contexte canadien. Faut-il, en effet, condamner dés 1l’age de cinq ans tous les enfants du Canada a4 1l’immobilis- 'me géographique, profes- sionnel ou culturel N’est- il pas plus logique de per- mettre A chaque enfant de posséder, au moins pour la fin de ses études secon- daires, les outils linguis- tiques qui lui permettront de suivre le vaste courant de mobilité accélérée qui attend les générations fu- tures Soyons modestes et raisonnables: il suffirait sans doute que cet enfant connaisse suffisamment la iangue seconde de fagon 4 pouvoir lire un journal ou tenir une conversation or- dinaire. Est-il besoin de dire que la langue seconde enrichit la langue mater- nelle? Il lui faut aussi, bien en- tendu, une excellente connaissance de sa langue “ maternelle. Mais s’il faut surmonter notre complexe des Plai- nes d’Abraham et vaincre nos inhibitions, j’ai l’im- pression que les parents et les autorités devront s’intéresser aux attitudes linguistiques a4 1’étranger. Méme si de nombreux peu- ples vont jusqu’a s’entre- tuer pour des questions plus ou moins liées 4 la langue, ils considérent en régle générale l’individu régle générale que la connaissance d’une deu- siéme langue représente pour |’individu un enrichis- sement personnel. Nos dis- putes souvent mesquines au sujet de la langue leur paraissent tout simplement absurdes. A l'exception du Togo, de l’Ile Maurice et peut- étre d’un ou deux petits Etats, le Canada est le seul pays au monde ov 1’on parle deux langues 4 rayon- nement mondial. Ce n’est pas une question de sno- bisme ou d’élitisme, c’est une réalité objective qu’on oublie trop souvent. Car si toutes les langues se valent sur le plan de la dignité humaine, elles n’ont pour- tant pas la méme utilité. Lorsqu’ils analysent les folies linguistiques de 1976, et avant de se lais- ser aveugler par une pas- sion qui risque de leur faire oublier leurs inté- réts véritables, les Canadiens devraient s’ar- réter un instant et repen- ser A la voie que leur pays devrait suivre. © La semaine prochaine, nous publierons la deuxié- me partie du discours de M. Keith Spicer: II - Les moyens: crédibilite pour aujourd’hui et pour demain. SOLUTION: