12 Le Soleil de Colombie, Vendredi 7 Octobre 1977 Un choix national SECTION 38 (suite du Chapitre 1) constitutions et mettent en place des institutions qui reflétent leurs traditions politiques. S‘ils agissent ainsi, alors que, pour s’épanouir, une culture doit s’ouvrir !arge- ment aux apports exté- rieurs, c’est que les cultu- res ont aussi besoin de ra- cines pour ne pas mourir. La situation géographique d‘un peuple, son_ histoire et ses origines culturelles constituent ses racines. Il faut en tenir compte, Car c’est a ces sources qu’il s‘alimente. La culture canadienne se Caractérise par sa diversité et son refus d’‘un modéle national. Elle tire son originalité des nombreuses cultures qui s’y rencontrent aujourd’hui et dont l’origine remonte aux tous premiers habitants de |‘Amérique du Nord et, par-dela, a pres- que tous les peuples de la terre. La plupart, cepen- dant, appartiennent a la ci- vilisation de |’Europe occi- dentale mais certaines ont leurs sources en Asie et en Afrique. Toutefois, pendant trés longtemps, ‘orientation culturelle du Canada a surtout été fran- ¢aise et britannique. Bien que de nombreuses cultures se cdtoient au pays, ses institutions témoignent de la rencontre et. de \inter- action des cultures francai- se et britannique. L’essor prodigieux des mé- dia électroniques a pour effet de soumettre presque ‘toutes les cultures a des transformations profondes et généralisées. Ce phéno- méne est d’autant plus com- plexe que l’expression cul- turelle, qui autrefois, était mesure, par |’industrialisa- tion et la grande entrepri- se. Cette évolution peut transformer des millions de gens a travers le monde en consommateurs. Tout ce que produit cette “industrie de la culture’ n'est pas matvais. Loin de 1a. Il est a craindre cependant qu’elle installe un environnement globali- sant ou il serait de plus en plus difficile de réserver une place a la création, Par opposition a la con- sommation de masse. La plupart des pays ont par conséquent adopté des mesures en vue, non de se fermer aux influences exté- rieures, mais de ménager des moyens d’expression et de communication a ceux de leurs citoyens qui n’ont pas accés aux circuits indus- triels. Ces mesures ont pour objet de favoriser |’expres- sion culturelle nationale face aux pouvoirs indus- triels internationaux et, de faire en sorte que l’ex- pression locale ne soit pas étouffée par les courants métropolitains. Trés tot, le Canada a senti la nécessité de faire con- trepoids aux moyens de communication de masse et de favoriser la créativité chez ses citoyens. Voisin d’un pays dont les mani- festations -culturelles ont eu tendance pendant long- temps a se substituer 4a l’expression originale des Canadiens, surtout ceux de langue anglaise, le Canada a créé des _insti- tutions — culturelles _telles que la Société Radio- Canada, le Conseil des Arts, |'Office national du film et la Société de déve- pour mission de protéger et de promouvoir |’expres- sion culturelle au Canada. Les provinces ont, elles aussi, mis en place des or- ganismes.analogues. Depuis la deuxiéme guer- re mondiale, |’influence a- méricaine a fortement mar- qué tous les aspects de la vie canadienne. De plus en plus nos institutions ont été imprégnées par la Civilisation nord-américaine a laquelle appartient le Canada. Plus perceptible au Canada anglais,:ce phé- noméne ne s’est pas moins fait sentir au Canada fran- cais. Bon nombre de Ca- nadiens de langue anglaise s‘inquiétent, mais pour des raisons différentes, des envahissements de la cul- ture américaine. D’une part, les Canadiens de langue francaise se sen- ‘tent particuliérement vulné- rables puisqu’ils constituent une petite minorité entou- rée d’une vaste majorité de Nord-Américains. anglopho- nes. Ils craignent- que l‘influence prédominante de l’anglais en Amérique du Nord étouffe leur langue et, partant, leur vie culturelle. Les Canadiens francophones ont réussi 4 s’affirmer et a se distinguer au plan culturel avec une étonnante vitalité depuis que le Québec a com- mencé a se transformer au début des années 60. Ce succés est attribuable en partie a des_ institutions créées par le gouvernement fédéral et aux programmes du Secrétariat d’Etat, et en Partie aussi aux institutions provinciales. Les craintes des Cana- diens anglophones concer- nent principalement I‘aspect on connait |’extraordinaire vitalité. Au _ Canada, la culture de langue anglaise, éparse et diversifiée, est en concurrence plus directe avec la culture américaine Elle n’‘en a pas moins ma- nifesté une grande origina- lité d’expression depuis quelques années, gréce aux mémes institutions et aux mémes_ programmes dont ont bénéficié les Canadiens de langue fran- Gaise. L’aide que le gouverne- ment fédéral apporte en matiére — culturelle aux Canadiens des deux lan- gues officielles vise a pro- mouvoir les cultures. du peuple canadien et non a uniformiser la culture ca- nadienne, Le Canada a deux langues officielles, mais aucune culture offi- cielle. Aussi devrait-il y avoir place au sein des collectivités francophone et anglophone pour de nom- breux autres groupes cultu- rels.. Leur apport a la vita- lité du Canada est impor- tant; par eux, nous nous relions a presque toutes les grandes cultures du-monde. Leur présence favorise |’é- Panouissement du Canada tout entier et ne constitue aucunement une menace pour les deux groupes cul- turels originels. Il est dans l’intérét de tous les Canadiens que les groupes ethniques puissent, ens‘intégrant 4 I’une ou ‘autre’ des deux commu- nautés linguistiques, con- server certains traits de leur culture originelle. Aussi devraient-ils @tre incités a garder un intérét pour leur langue. La politique des langues officielles du. gouvernement fédéral se fonde sur le fait que le Canada est un pays ow cohabitent deux gues officielles, afin de permettre a la grande majo- rité des Canadiens de parti- ciper a la vie du pays. Les langues francaise et anglaise ont un statut of- ficiel en tant que moyen de communication, car elles sont l’une et |l’autre employ- ées couramment par une large proportion des habi- tants et expriment les deux cultures dont elles émanent. Mais, dans la mesure ou elles ont un statut officiel, elles cessent d’appartenir en propre aux groupes culturels qui les ont créées. Elles deviennent langues de la vie publique et, de ce point de vue, sont le bien de tous ceux qui les par- lent, quelle que soit leur Origine. L’anglais et le francais sont, en ce sens, les langues de la vie publi- que au Canada. La politique culturelle du gouvernement se fonde sur la conviction qu’il est im- Possible de donner une dé- finition officielle et fonc- tionnelle de |’expression cul- turelle dans une société, sans brimer ou méme sup- primer la liberté individuel- le. Une société qui cherche a imposer une orientation culturelle unique et a se cantonner a un cadre res- treint pour conserver son identité, se voit entrainée a réduire la libre expression des indivudus. _Lorsqu’un gouvernement agit en fonc- tion d’une culture officielle, il finit par tout institu- tionnaliser: langue, culture, religion, vie sociale, écono- mie, politique, territoire. Aucun projet collectif ne justifie qu’on étouffe la li- berté individuelle. Dans. une société, la li- berté existe pour tout le monde ou pour personne. On peut y juger de son res- pect de la liberté a la maniére dont elle traite ses politiques culturelles du gouvernement du Canada tendent a faire régner dans la société la plus grande li- berté possible, parce que le Pays se soucie de protéger et de renforcer les groupes minoritaires qui font sa richesse et sa _ diversité. Le Canada repose sur cet- te conception de la société. L’idée que le peuple cana- dien se fait de la civilisa- tion suppose la_reconnais- sance de deux langues of- ficielles et du _ pluralisme culturel. En ce qui concer- ne ses institutions et ses habitants, le pays doit se garder d’une_ conception monolithique de_ l’unité nationale. Il lui faut reje- ter l’uniformité linguistique et le conformisme culturel. Une telle option est géné- ratrice de tensions profon- des et exige une maturité personnelle et collective qui n’est guére répandue. Elle suppose que nous al- lions au-dela du _ besoin personnel d’expression pour affirmer notre diversité, et cherchions, au-dela des seu- les réalités matérielles, nos raisons de vivre et les sour- ces de notre vitalité. Seu- le une société qui croit profondément a la valeur de la vie humaine et au droit de chacun 4 |’épa- nouissement, peut avoir une telle vision de la sivilisa= tiON gute Cette vision a présidé a la fondation du Canada et elle en a marqué I|’évolu- tion. Les Canadiens conti- nueront a vivre dans un pays modelé sur cet idéal tant qu’ils voudront bien continuer a respecter la liberté et la dignité. La prochaine parution: “LA LANGUE ET L'INTERPRETATION DE L’HISTOIRE” presque entiérement é fruit de l’effort individuel, passe aujourd’hui, dans une large loppement de cinématographique dienne. Il l‘industrie culturel, cana- leur a donné car leur culture principaux groupes linguis- est directement menacée par tiques. celle des Etats-Unis, dont glais y sont reconnus lan- langues Le francais et l’an- minorités. : officielles et La politique des les Une ville méconnaissable... par Leon HURVITZ Me voici installé 4 l’hdtel Chisan, nom. qui se prononce, plus ou moins, comme le mot tehigan, si celui-ci existant, se- rait prononcé par un Francais du Midi. Le nom ne me dit. hélas, rien; jose dire que c’est un nom eréé de toutes piéces. Un autre changement qui a frappé le Japon, c’est l’existence de “chat nes” d’hétels; en effet. il y a une Chaine Chisan. Ma chambre, petite mais propre. est bien allumée, mais, comme mes cham- bres dans les deux bateaux, sans fenétre, bien que climatisée de sorte qu'il ne fait jamais ni trop chaud ni trop froid. On vient de m'informer au téléphone que pendant le nettoyage, qui com- mence dés 10h, on est prié de quitter sa chambre. Il est actuel- lement 9h58. Je croyais connaf tre plus ou moins la yille de Téky6, mais j'avais tort. Je n’y reconnais presque rien. Mon premier séjour remonte a 1946, lorsque la ville n’était qu'un tas de décombres. Entre-temps, la ville a été plus que reconstruite. Dire que Téky6 est la ville la plus grande du monde n’a pas de sens. Avant la Deuxiéme Guerre Mondiale, il y avait. une préfectu- re de Tékyé6, dont Ja ville faisait partie. Peu aprés la guerre, sous Yoccupation “alliée” (lire “améri- caine”), la ville et la préfecture, en tant qu’unités administrati- ves, ont été abolies. pour étre remplacées par un “district mé- tropolitain” ou “capital”, qui s'appelle Téky6-to. Or, il n’y a plus de ville de TékyS. (Cela ressemble, plus ou moins, au cas de Londres. Car ce qui s’appelle “Londres” en conversation quo- tidienne est le comté. non pas la ville, celle-ci se bornant au territoire restreint. placé sous la juridiction directe du Seigneur- Maire.) Qui plus est, le terrain de Toky6 jusqu’A Yokohama (encore un nom ainu) est une mégatopole ininterrompue, com- me lest la région San-Francisco Los-Angeles. Encore une différence frap- pante, qui remonte déja a plu- sieurs années. Avant de la décrire, i] faut souligner que la ville-banlieue de Tédky6 a un réseau de transport. public parmi les meilleurs du monde. Les vieux tramways n’existent cer- tes plus, mais i] y a, en revanche, un chemin de fer souterrain qui parcourt presque partout; les vieux réseaux d’autobus sont encore plus et mieux développés _ que jamais, le chemin de fer urbain-suburhain est. plus effica- ce qu’auparavant. - Toutefois, chaque citoyen de ‘cette mégalopole surpeuplée veut posséder et conduire sa propre voiture. Quand le phéno- méne de la voiture particuliére était en train de s’accroitre, les Japonais ont inventé un néolo- gisme pour J’indiquer -- mai-k4- zoku, ‘la tribu ‘My car” ’. Depuis, ladite tribu est devenue identique, ou presque, a la nation japonaise. Cependant, le chauffeur de voiture japonais est, a la différence de beaucoup de ses homologues nord-améri- cains, civil et civilisé. I] observe scrupuleusement les feux rou- ges, il ne dépasse jamais la limite de vitesse prescrite, il s’arréte toujours quand un piéton se trouve sur une traversée mar- quée, etc., etc. Pour mieux comprendre le contraste, il fau- drait plutét le comparer a ses homologues anglais et francais, ceux-ci en particulier. Dans quelques minutes, Mme O. arrivera 4 |’h6tel pour me promener en voiture dans la ville et ses environs.(...) Mme OQ. m’a conduit ¢a et la dans la ville, me faisant voir des" endroits intéressants que je n’avais pas vus auparavant. Puis elle m’a déposé prés de cet hétel, dont elle m’a révélé le mystére du nom au cours de nos entre- tiens. Chisan semble représen- ter tochi sangy6, litt.. “‘indus- tries terriennes” ou. en meilleur francais, “affaires terriennes”. Demain, son mari sera de retour des Ftats-Unis, et on se réunira tous. Hier, je me suis rendu au bureau de CP Air pour réserver une place dans ]’avion qui fera le vol Téky6-Vancouver le 31 aofit. Mme IJ. parlait un anglais améri- cain si parfait que je lui ai demandé comhien de temps elle avait passé en Amérique. “Je n’y ai été que briévement.. mais ma mére en est originaire”. “Parlez- vous un francais de la méme qualité?”. “‘Non. malheureuse- ment. J’ai étudié le francais pendant trois années mais il n’a pas voulu pénétrer mon cer- veau”, ; : C’est assuré, si vous continuez a ne rien faire. Mais pour |‘amour de votre vie, soyez actifs. Votre vie sera tellement plus agréable. Etre en forme, c’est donc @ om) Punition