satan? nt Eldorado = Roger Dufrane - Les hasards de la vie sont parfois si singuliers qu’on croirait qu’un génie mali- cieux tire-les ficelles dans les coulisses et s’amuse de nos rencontres. Témoin l’aventure vé ridique sui- vante. En décembre de l’année derniére, je passais une soi- ree chez des amis. Leur -villa, dressée 4&4 la lisiére du quartier de Shaughnessy, brillait de tous ses lustres. De la fenétre du salon, on pouvait admirer les lumié- res de laville, innombrables et multicolores aux appro- ches de Noél. Au pied de la fagade, la pelouse blanchis- sait sous la froidure. Mais le froid ne nous génait nul- lement dans la piéce oticré- pitait une flambée, et ot Vydia, la servante hindoue, nous versait d’un cruchon de cuivre des rouges bords de vin chaud. Le monsieur avec qui je m’entretenais frisait lasep- tentaine. Si je recherche la conversation oiseuse des jeunes filles dans les yeux de qui j’imagine les aventu- “res de l’avenir, je ne dédai- gne pas a l’occasion les pro- pos sentencieux des vieil- lards a4 travers lesquels je recompose le passe. ‘*Ma fille est médecin, me dit mon interlocuteur. Je suis ne au Canada. Ma famille est d’origine suisse. Mon pére m’a appris que son aieul avait posséedé en Californie des terres immenses dont la ruée vers l’or |’a dépouil- le.’? Les récits des person- nes d’age manquent souvent de rigueur. Pourtant, sous le flou et le décousu des pro- pos de mon vieux compa- gnon se percevait une li- gne qui correspondait as- sez justement a une histoire que j’avais lue deux ans en ¢a, la vie du pionnier Johann ~~ was AW August Suter, €voquée par V’écrivain d’origine suisse ’ Blaise Cendrars, sous unti- tre sonore et prestigieux ;: Or. : Johann August Suter était né prés de Bale, en 1803. Assoiffé d’aventure, il aban- | donna sa femme et ses en- fants et partit pour le Nou- veau Monde. Aprés mille tri- bulations, il s’établit sur les terres encore peu connues de la Californie. Son vaste domaine, il Vappelait La Nouvelle Helvétie. En 1845, Johann Suter est au fafte de la fortune. I] utilise des esclaves indiens et canaques, des travail- leurs libres, des bataillons de gardes aux uniformes verts, des bestiaux a4 foison. Il a irrigué les terres et cultive, du Nord au Sud, pommiers et poiriers, fi- guiers, Oliviers et datiers. Il a acclimaté des vignes de la Bourgogne et du Rhin. Ses bateaux approvisionnent des postes éloignés, comme celui de Fort-Vancouver. Hélas, de si haut il vatom- ber. Un jour, on découvre de lor sur ses terres. Les hommes en deviennent fous. Ses travailleurs et ses gar- des 1l’adandonnent. Des hor- des sans foi ni loi, ve- nues des quatre coins du monde, se rabattent sur son fief. On massacre ses trou- peaux. Découragé, il tourne le dos et va voir ses vignes. Bientdt, il reprend courage. Il posséde les titres.de ter- res acquises -legalement des Mexicains et des Russes. Sa femme, enfin venue de Suisse le rejoindre, vient de mourir. Mais sa fille et ses trois fils sont 1a.'Il oriente son afné vers le droit et lui confie sa cause. Inconsé- quent, le jeune gouvernement de 1’?Union a laissé délivrer 4 de nouveaux venus des ti- tres sur ses propriétés. Il lui faudra attaquer Washing- ton, le gouvernement de Ca- lifornie, des milliers d’indi- vidus. D’une farouche éner- gie, Suter réédifie une for- tune pour alimenter ses pro- cés. Un juge californien re- connaft ses droits. Suter veut se rendre 4 Washington pour y faire ratifier sa victoire. Hélas, la populace se sou- | léve, incendie le siége de ses documents a4 San-Fran- cisco. On saccage ses do- maines. On massacre ses fidéles. Ses fils meurent l’un aprés l’autre..N’empéche ! Suter ira 4 Washington re- muiuer. ciel ecresterre 1l--en mourra fou. Suter est mort a laze de 73 ans et per- sonne ne s’est jamais levé pour revendiquer l’héritage fantOme. Voila la destinée que je revivais aux confidences de mon interlocuteur. ‘‘Com- ment s’appelait votre aieul ’’ lui demandai-je. - ‘‘ John Suter’’, me dit-il. J’allais lui parler du livre de Cen- drars. Mais m’aurait-il cru! Soudain, la siréne d’un train déchira la paix nocturne. C’était le petit train d’Ar- butus. Ii fait la navette New- Westminster-Vancouver. Ce convoi d’un autre temps transporte des ferrailles pour le Japon. Et j’imaginais ses wagons chargés de l’or fabuleux de la Californie, l’or dont Cendrars retrace dans son livre les mirages et les drames, et que mon hdte de ce soir ne caresse que par un souvenir nébu- leux, cet or dont nous entre- tenons tous l’espérance et qui toujours nous élude. \ TALENTS. MULTIPLES ! Le garJlien Jacques Plante, héros de la victoire des Maple Leafs sur le Cana- dien le soir du Jour de |’An, appartient autant au domaine du spectacle qu’A celui des sports. I] 1’a prouvé récem- ment en jouant le rd'te du brancardie:, lors d'acte -e- présentation de Ja suite Casse-noisette que donnait 4 Toronto le Ballet National. Il accepte ici les applaudis- SSMeNiswde Tas As" in, Ji5.: 1° ‘eux ballerines de ~ la troupe. : XIV, LE SOLEIL, 7 JANVIER 1972,