Le Moustique Volume 2 FRANGE PACIFIQUE C'était au temps perdu des étranges rencontres Ou des peuples entiers sillonnaient cette terre. Mille folies en téte, ils partaient a l'encontre Diiles les plus rares ot régnait le mystére. En I'un de ces édens, humide et sylvicole, Ou poussent le thuya, la pruche d'Occident, Vivait en ces temps 1a, simple, sans protocole, Une bien curieuse, jeune et charmante enfant. On I'appelait Klee Wyck, c’était celle qui rit, Qui parlait aux Indiens et parcourait les plages De sable que le ciel peignait de blond, de gris, Selon sa palette et le nombre de nuages. Elle voyait son ombre et celle des pins tors Dans le miroitement de flaques intertides. Ces formes tourmentées lui enseignaient alors Que I'ame des Nootkas n’avait rien de sordide. Alors, elle riait et peignait ce brutal Portant le chef conique et le pagne de cédre, Et cueillait avec lui les baies de salal Comme toujours !’ont fait les femmes et leurs [ancétres. Dans ce monde primaire Que le temps lentement oublie, Je suis sir que Lismer, - Devant ces rives infinies, A reconnu la mer Et l'ombre aimable d'Emily, Aimé et désiré Les senteurs effrénées De ce pays humide, estompé de brouillard. Ou les pins déchirés Par un vent acharné Retiennent les lambeaux d'un trés ancien savoir. Les rochers scarifiés Par la mer déchainée Abandonnant au vent I'écume des mémoires. - 11° édition Novembre 1999 Page 6 Et I'Indien, effrayé, Disant a la puinée D'éviter la forét ot feule le cougouar. Cette forét si dense et si impénétrable Que méme le chasseur la cédait aux félins, Etait un sanctuaire a ce point redoutable Qu'on aurait pu le croire domaine du Malin. Une cathédrale, de tous les tons de jade, Projetant vers le ciel ses brunes colonnades Formées de cents piliers vigoureux et rugueux, Fermement chevillés sous un tapis fongueux. L'épaisse frondaison dessine a I'infini L'horizon qui se love et s'éléve jusqu'aux nues. C'est un mur végétal fait de rameaux unis, Eclaboussant d'écailles un bleu discontinu. La lueur, étrangére a ce confinement Obscur et silencieux, s'écoule doucement, Se fondant, caressante, a une fine brume Légére, irréelle, comme un voile de lune. On croit déambuler dans la nef mystérieuse De quelque édifice noyé dans I'océan. Une de ces épaves énormes et prodigieuses Gisant sur un lit d'algues au fond d'un trou béant. Une brise faible comme un courant profond Remue avec lenteur des crins ou des chiffons Pendant, visqueux, aux branches, emmanchées de [mousse, Comme les bastingages ou flotte l'algue rousse. Un éclair bleu et noir suivi d'un cri strident Secoue la torpeur de ce lieu envoutant. C'est un geai impudent qui rappelle a I'intrus Que ce monde spongieux n'est ni mort ni abstrus. Ce samit céladon dont la trame précieuse Semble ravir aux Celtes un enchevétrement, A dans ses entrelacs, ses formes flexueuses, Un fol grouillamini croissant profusément. Sanctuaire géant posé sur un tapis De fougéres, lichen et de troncs décrépits, C'est ainsi l'enceinte du plus beau florilége De choses vivantes nées d'un sortilége. Comme on !'a fait naguére pour ces anciens héros Qu'on enfouissait alors sous le pas des croyantes, Il me plairait, je crois, laisser blanchir mes os En cette chapelle, si belle et verdoyante. Katana.