14 Le Soleil de Colombie, vendredi 16 juillet 1982 Le Liban dhier, d'aujourd’hui et de jadis [Suite] — Tl n’en fut rien. Le 6 mai 1948, l’Etat d’Israél, le réve du visionnaire Herzl, devint une réalité. La terminologie se modifia encore, de Juifs, Israélites, Sionistes, ce fut Israéliens, une nationalité re- connue avec la bénédiction des Nations-Unies, organis- me qui bénit tout... LES REFUGIES PALESTINIENS De mémoire d’homme, des guerres, des rébellions, des révoltes, c’est aussi la dé- bandade des populations, des étres humains cherchant re- fuge hors du théatre des opérations ou loin de l’empri- se des vainqueurs. Voila Yorigine de l’exode palesti- nien de mai 1948, il y a déja 34 longues années. Ov aller? Oui, ot aller? Au plus pressé et au plus prés, naturellement au Liban-Sud, grace a des frontiéres per- méables; on cite que 80 000 se réfugiérent en ce dernier pays. Les autres pays ara- bes limitrophes: Syrie, Jor- danie, Egypte furent trés sé- lectifs, sinon plus réticents, mais en acceptérent un grand nombre dans_ des camps. L’Egypte a été la plus réticente. Les pays arabes du pé- trole, Arabie Séoudite, les Emirats du Golfe Persique furent généreux, a telle en- seigne que ces réfugiés plus d'autres en grand nombre, palestiniens toujours, ins- truits, constituent leur colon- ne vertébrale socio-économi- ques 4 tous les niveaux, mais troitement surveillés par les autochtones, des ex-no- mades du désert, car, qui dit 3 , dit, en principe, un révol aire, un revan- chard, aigri, traumatisé par la perte d’un pays et de biens. LA JORDANIE SE DEFEND Au Royaur de Jordanie 2 toutes piéces pu: i Angleterre, d’abord, : n 1923 sous |’appel- lation d’Emirat de Transjor- danie, pour installer le grand-pére du Roi Hussein actuel, puis en 1946, en Ro- yaume. Le Roi Hussein dut, en 1970, mater un mouve- ment révolutionnaire palesti- nien qui voulait s’assurer une Tachémite large part du pouvoir, méme le détréner. Aidé de ses fidéles bédouins du désert, de ses Circassiens, de sa garde personnelle; il chassa les tétes chaudes et leurs partisans, en les refoulant par des combats sanglants a la frontiére voisine de Syrie. Depuis, ce fut le calme, ayant dans son __ esprit qu Israél, .l’ennemi des Ara- bes, était invincible, avec Y'appui des Etats-Unis. LES CAMPS PALESTINIENS Nous nous occuperons au cours de notre chronique des réfugiés. au. Liban. Voila donc 80 000, a majo- rité écrasante de musul- mans, chrétiens avaient d'autres. ibilités, vu leur nombre réduit; installés dans des camps:que leurs “lea- ders” choisirent dans les environs ‘immédiats des grandes villes, en quéte de travail, comme Beyrouth, la capitale, Tripoli, beaucoup a Sidon, ‘Tyr, non loin de la frontiére “israélienne, mau- vais choix... Nourris, soi- gnés, éduqués par les soins d'un organisme, l'UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), a coups de millions de dollars, plus les subventions des Pays Ara- bes du pétrole, heureux de donner de leur argent, plutét que de leurs hommes pour la revanche et le terrorisme ultérieurs. Le nombre de 80 000 ne géna pas outre-mesure le Liban, déchargé par les at- tentions de lUNRWA, par contre, il pouvait disposer d'une main d’oeuvre a bon marché pour les domaines de agriculture, de la construc- tion, des routes, de la voirie, etc., et faire face a un ful- gurant essor. Au fil des années, le nombre augmenta considéra- blement, au dela des possi- bilités géographiques de ce pays “mouchoir de poche” qu’est le Liban. Les raisons, d’abord la perméabilité des frontiéres, le “lapinisme” des arabes musulmans, a croire que leurs femmes n’accou- chent que des quintuplets. Les derniers éditoriaux du “Vancouver Sun” que nous avons sous les yeux, men- tionnent les chiffres ahuris- sants de 400 000, 500 000, poussant 4 600 000, ces Pales- tiniens en sol libanais; leurs reporters ne doivent pas avoir le sens de la “magni- tude”... pauvre quotidien... LE LIBAN DESARTICULE Nous avons relevé dans nos précédents articles, com- ment le Liban, ce trés vieux pays, a traversé au cours de son histoire plusieurs fois millénaire par divers stades en dents de scie, mais a survécu a toutes les vicissi- tudes, & toutes les domina- tions sauvages, a toutes les invasions, depuis Alexandre le Grand, méme beaucoup avant, les Romains, les By- zantins, les Arabes, les pas- sages des Croisés et enfin les Tures, pour obtenir, a la fin de la Premiére Guerre Mon- diale, lors de l’Administra- tion francaise agissant sui- vant un mandat de la Société des Nations, une indépen- dance amorcée par trois pa- liers, celui de 1920, puis de 1926 et en 1948, un Etat indépendant ov tous les es- poirs de vie tranquille lui étaient permis, L’arrivée d’énviron 80.000 réfugiés palestiniens, 4 majo- rité’ musulmane, acceptée sous le signe de l’hospitalité coutumiére des Libanais, n’avait pas a l’époque suscité de. troubles, quoique l’impor- tante faction chrétienne des Maronites, tellement sou- cieuse de sa prépondérance dans la mosaique itbanaise et du fait également qu’elle représente le seul bastion de la chrétienté dans I’énorme périmétre de ce monde mu- sulman, peuplé de centaines et de centaines de millions de fidéles a l'Islam. Sa situation est indiscuta- blement en porte-a-faux, en position dangereuse pour sa survie, par des pressions les, méme trés proba- les, de tous les pays qui lentourent. Comme le Liban, YEtat d’Israél n’en est pas mieux avantagé. Ce sont deux pays, d’accord, mais deux enclaves aussi. Que deviendront-ils dans 50, 60 ou 75 ans? A vous, prophée- tes, de parler... PARTICULARITES LIBANAISES Quoique pays arabe, le Liban a évolué vers un mode de vie distinct sur le plan socio-économique et politi- que au Moyen-Orient. Ses attributs spéciaux le diffé- rencient de ses voisins ara- bes, probablement par ]’im- portante présence de ses Maronites, trés ouverts vers l'Occident et sa vaste cultu- re. D’autre part, sa structure pluraliste le rend aussi vulné- rable aux vicissitudes de sa situation de carrefour Asie- Afrique-Europe. La vertica- lité de sa hiérarchie lui donne la vie politique — le systéme féodal n’est pas complete- ment mort. L’horizontalité de ses relations va plus loin’ que les affiliations religieu- ses des sectes qui n’ont pas d'intérét dans un réel sys- téme.de gouvernement, com- me on pourrait l’attendre, car les approches pour un Etat laique sont considérées irréalisables. Sa situation géographique lui confére aussi un aspect cosmopolite et réceptif a des changements, dont les der- niers avec les pressions et les complications surgies par Yabsence d’une solution du probléme palestinien 1|’ont conduit & une rupture, une désarticulation de l’entier systéme, vers une crise qui demeure pratiquement hors de son contréle. Jusqu’en 1975, le Liban avait le plus haut standard de vie et de revenus per capita, en dehors des Pays Arabes du pétrole. Toutefois, sa richesse, sa prospérité sont mal réparties... quel pays au monde peut “plastronner” que les leurs sont bien réparties? De larges seg- ments de sa population n’en sont pas touchés, comme les musulmans chiites et druzes du Liban-Sud. UN MOUVEMENT DE GAUCHE La dite disparité a tét fait de donner, dés 1949, nais- sance a un Parti Socialiste Progressiste avec comme objectif, les rengaines que nous connaissons mais en plus des postulats dus a la spécificité libanaise, aboli- tion des régimes féodaux, du “confessionnalisme”, d’insé-~ rer le Liban dans le Monde Arabe (qui, sous-entendu, est musulman...), pas d’ali- gnement a1’Est ni a l'Ouest, et qu'Israé] est un agres- seur en puissance. Pour comble, le fondateur de ce Parti, Kamal Joum- blatt appartient a une trés vieille famille Druze féodale, dont la mére vivait dans un Palais Oriental, respectée, avait une grande audience auprés des gouverneurs francais, les Généraux Gou- raud, Sarrail, Weygand, les hauts-commissaires Henri Ponsot, De Martel, de Jouve- nel, le Général de Gaulle, etc. Lui-méme député a la Cham- bre. Il a toutefois cédé' plu- sieurs de ses terres 4 des paysans. Homme au visage émacié, pratiquant les philo- sophies ésotériques des Sages de I'Inde, ot il séjour- nait des mois entiers dans une ambiance d’ascéte. A son retour, il subis- sait les moqueries et les rail- leries de ses pairs de la Chambre. On se demandait toujours of on devait situer son équilibre mental. Sa femme May (propriétaire de notre immeuble) le quitta, fille d’un célébre nationaliste Druze, exilé en Suisse par les autorités francaises. Kamal Joumblatt, assassiné lors d'une embuscade par des inconnus, son fils Walid lui succéda et ala Chambre et a la téte du Parti. Il y a plus de quinze ans, lors d'un Congrés qui fit grand bruit, dont nous gar- dons un souvenir trés clair, Kamal Joumblatt déclara que pour arriver a ses fins, il n’hésiterait pas a détruire Beyrouth. Il n’a pas eu I’occa- sion de réaliser ce désir, mais son Parti l’a fait depuis 1975, en s’alliant avec les partis de gauche libanais (musulmans) et les hommes de Yasser Arafat, sous la banniére de V'0.L.P. Voila comment ce pauvre peuple libanais laborieux vit, depuis huit années de mal- Par Alexandre SPAGNOLO tion homogeéne par la race et la religion? Justement, parce que le Liban a cette mosaique, par conséquent la faiblesse inhé- rente de sa structure: on peut s’y insérer par des clivages religieux appuyés par des alliances locales. Pourquoi pas la grande Syrie musulmane, 18 fois le Liban avec des terres trés fertiles, de nombreux cours le jeu le Liban entier, cela a été un mauvais calcul. Israél, par le Traité de Camp David et la restitu- tion a l'Egypte du Sinai, s’est garanti un important flanc de sécurité. Méme sécurité avec la Jordanie avec des mises en garde sanglantes. Avec la Syrie, le coup de massue et l'annexion des Hauteurs du Golan, sans réaction vigou- reuse, affaiblie par une situa- 38°30 Z> SOUIH ie LEBANON é _\\\ ISRAEL (36° 30" v ye Se ONS : oN ) MOUNT Se x LEBANGNRSti Ba obdea 3 he NN i S = “Bocibox ©, wea AYR AT HIM'S €) DAMASCUS heurs et de sang, tiraillé de tous cétés, pour avoir re- cueilli les réfugiés palesti- niens de 1948. C’est mons- trueux. UN BIEN TRISTE CHOIX Le Liban, nous le répé- “tons, surtout la faction Maro- nite (chrétienne), établie sur la montagne libanaise depuis son fondateur Saint-Maron, au Ve siécle de notre ére, et sa prépondérance indiscutée . quinze siécles durant, érodée depuis deux décennies, était loin de s’imaginer, en 1948, que 80.000 réfugiés devien- draient en 34 années, 400.000 et beaucoup plus, avec une organisation paramilitaire, dit-on, de plus de 15.000 hommes, plus puissante que son armée, d’ailleurs en dé- bandade. Cela constitue un huitiéme de sa propre popu- lation. Pour orienter le lecteur, procédons & un exposé com- paratif; Que diraient les Canadiens, si sur leur terri- toire peuplé de 24.500.000 habitants, ils avaient un hui- tiéme de la Bane soit 3.000.000 de r fugiés venus d'un pays voisin pour des raisons politiques, 900.000 solidement armés par des pays extérieurs fré- res, vivant dans des camps fortifiés tout autour d’Ottawa, Toronto, Mont- réal, Vancouver, et maitres du gouvernement? Que pour- rait faire les forces armées canadiennes? C'est inconce- vable, n’est-ce pas? Et, pour- tant, c'est le panorama du Liban d’aujourd’hui. Un raisonnement simplis- te ferait relever, pourquoi ce choix du Liban, comme pla- te-forme ou tremplin pour la reconquéte d’un pays perdu et le projet de 1’0.L.P. “Les Juifs 4 la mer”. Oui, pour- quoi ce choix? Pourquoi pas un autre pays limitrophe frére de grande dimension, qui n’a pas la mosaique libanaise, mais une popula- dont. d’eau, l’ex-grenier de |’Euro- pe des époques révolues? Ou bien, Egypte musulmane, 100 fois le Liban, bien que, quoiqu’on dise, 1|’Egypte n'est pas un pays arabe, on l’a mis dans le décor parce que cela fait riche; bien mal lui en prit dans ses guerres avec Israél, des destructions énor- mes et de la misére parmi sa population a la natalité galo- pante (45.000.000); pendant ce temps, les hommes de VO.L.P. faisaient du “Baroud” 4 Munich, dans les _aéroports, des bureaux, etc. Excédée, elle a signé Camp David. Ne mentionnons pas le Royaume Hachémite de Jor- danie, neuf fois le Liban, quia déja eu son expérience amé- re, en les chassant a coups de baionnettes vers la frontiére syrienne, en 1970. Le motif parait étre sim- ple, ces pays musulmans et fréres de surcroit, ne les veulent pas sur leur terri- toire, ils en ont pris un assez bon nombre, mais quand cela suffit, cela suffit. Pas trop de revanchards, de turbulents pouvant “déstabiliser” leurs propres structures gouver- nementales, déja assez pré- caires. Qu’on le veuille ou non, le Proche-Orient est un baril de poudre. Tout de méme ruiner, dé- truire tout un pays hospita- lier, le Liban, reconnu par toute la presse internationa- le comme la “Suisse de YOrient”, pour tficher de reconquérir un perdu, c’est un fait monstrueux. Il-n’est pas étonnant que les Maro- nites et les Milices Chré- tiennes voient d’un. oeil pas- sablement bienveillant 1’in- vasion israélienne venue vi- der l'abcés palestinien. _ MAUVAIS CALCULS Il est évident que le Liban- Sud et son hinterland consti-. tuent un tremplin idéal pour !’0.L.P. dans son projet (illu- soire) de reconquérir un pays perdu, mais de mettre dans’ tion politique interne pleine de bavures, a été neutrali- sée et sa résistance a l’inva- sion israélienne malgré ses 25-30.000 hommes, blindés, — avions, etc., a été passable- ment molle, a telle enseigne que Tayeb Mahmoud, un | bonze de 1’0.L.P. a accusé ce — pays, que son Président a pris des ordres des Améri- cains et des Israéliens, de se tenir en marge du carnage... Les mains dorénavant li- bres, les chemins ouverts, Israél ne pouvait plus admet- tre, 34 années durant, d’atta- ques de plus en plus répé- tées sur ses colonies-frontié- res, souvent a partir de l’im- prenable chfteau-forteresse | de Beaufort des Croisés, l’assassinat. de ses sportifs, de ses diplomates, etc., etc. Que lui reste-t-il a faire? Réduire au silence toutes ces machines de mort et leurs manipulateurs. Ce moment est arrivé: Yasser Arafat et ses hommes ont encore fait un mauvais calcul. Les milices chrétiennes ont garanti un flanc de- grande importance a |]’appro- che des soldats israéliens vers la capitale Beyrouth, le seul point névralgique de toute l’opération, ce n'est pas par affection toute particulié- re, mais par un_intérét largement teinté d’égoisme, de voir, aprés 34 années d’agonie, un puissant gen- darme chasser de leur terri- toire des intrus indésira- bles. Ils auraient préféré le “gendarme” Etats-Unis, comme’ en 1958, mais l’'U.R.S.S. est aux aguets, un face-a-face de ce genre se- rait... disons, désagréable. [A SUIVRE] AIDER Si quelqu'un fait pour vous aider quel- que chose, mats le fait de’ travers, © vous vovez, vous, quil Va fait. de travers; lut, — at vot quil La fait, Henry de Montherlant