encore, savoir aussi renaitre dans chaque rencontre. La vérité des autres ne m’embarrasse pas. Je sais écouter, considérer ce qui m’est offert, découvrir de nouveaux chemins. Dans le désert l’espace onirique est immense, et les hom- mes ont une philosophie a4 sa mesure. J’eus la chance, peut-étre, de ne ren- contrer que gentillesse alliée 4 beaucoup de sagesse. L’Islam ne rejetait pas le chrétien que j’étais censé tre. J’étais accueilli tel quel. Je suscitai la curiosité, certes, mais sans avoir l’impression d’étre tombé de la lune. D’une certaine fagon nous nous ressemblions. Les nomades ressentaient cela avec simplicité. Il y eut entre eux et moi une empathie spontanée. Je venais mains ouvertes vers ces hommes rudes et ces femmes voilées dont je sentais sur moi le regard curieux, bienveillant. Une étrange attirance me poussait vers ce peuple du dé- sert, et j’eus cette chance d’étre toujours accueilli sans réticence. Je n’étais pas de leur culture, ni de leur religion, mais je n’étais pas non plus un colon ou un agent de l’administration coloniale dont ils avaient toujours de bonnes raisons de se méfier. Frangais de la métropole, j’étais le bienvenu. Les suspicions s’il y en avait se dissipaient vite. Les cceurs s’ouvraient. Les confidences alors me surprenaient. Toute barriére culturelle s’effondrait. Ces rencontres auraient pu aboutir 4 de grandes amitiés, 4 se demander méme si un jour ils ne m’auraient pas converti 4 l’Islam, comme Isabelle Eberhardt dont je venais de lire Dans V’ombre chaude de I’Islam. Mais je n’étais que de passage. Dans leur mémoire je n’aurai sans doute, qu’une existence éphémére. Qu’importe ! Je porterai en moi leur souvenir et je penserai 4 eux avec, toujours un sentiment de regret accompagné d’un léger sourire qui prolonge souvent le souvenir des ren- contres privilégiées. * * * Je quittai la Tunisie avec une certaine tristesse. Quel poéte a dit : Partir c’est mourir un peu. Je partais, sans idée de retour. Des liens, tissés hativement, allaient se défaire doucement. Chaque départ est ainsi une petite mort a un monde dont on s’éloigne. C’est un choix, un destin, mais, en méme temps, c’est un acquis pour un espace de mémoire que |’on peut revisiter maintes fois, méme si, bien souvent, il porte en soi un fond de mélancolie. Je ne connaissais personne a Alger. Pas méme la moindre adresse de |’ami d’un ami comme il arrive parfois. Quelle chance j’avais eu a Tunis d’y étre accueilli par deux cousines éloignées, originaires de Corse, |’une veuve, |’au- tre célibataire. Elles ne m’étaient connues que par ces lettres de voeux qui cha- que année renouent des liens que la distance tend 4 fragiliser. Mais le risque était faible. Une solide amitié existait entre ma mére et ses deux cousines pré- férées. Chaque année me contait ma mére elles attendaient avec impatience le moment de se retrouver dans la grande propriété que la famille se partageait en Normandie. A suivre ... Gabriel Sévy, Port-Alberni, (C.-B.)