2 - Le Soleil de Colombie, vendredi 20 novembre 1987 __COURRIER DES LECTEURS Le Bilinguisme au Canada: une perspective socio-politique La loi sur les langues officielles de 1969 a fait du Canada un pays officiellement bilingue ow |’an- glais et le frangais jouissent du méme _ statut d’égalité. La Résolution Parlementaire de 1973, adoptée a l’unanimité, a énoncé les principes de |’égalité linguistique des deux langues officielles du pays. Ces principes sont : 1) le droit du public a étre servi dans sa langue officielle; 2) le droit des employés fédéraux de travailler dans leur langue officielle d’élection; et 3) la pleine participation des Cana- diens d’expression francaise et anglaise a la fonction publique. _ Ces principes sont-ils suffisants pour assurer l’égalité des deux langues officielles du pays? D’autre part peut-on vraiment dire que la loi de 1969, et la résolution parlementaire de 1973, ont rendu le Canada pays véritablement bilingue? Je crois que toute analyse objective de la réalité socio-politique du bilin- guisme au Canada ne peut qu’aboutir a une réponse nébuleuse au mieux, et franche- ment négative, au pire, a ces deux questions. Est-il possible de soutenir que le francais jouit d'une égalité linguistique dans un pays ow la culture dominante est lextension d’un_ véritable et - formidable empire culturel amé- ricain? Rien que sur le plan de la logique la proposition devient demblée défaillante. De plus, assurer une égalité linguistique dans les bureaux de travail du gouvernement fédéral, signifie- t-il égalité d’usage des deux langues et par les employés et par le public? Par exemple, et cela explique en partie ma réponse a la deuxiéme question, déclarer que l'anglais et le francais sont égales devant la loi, ou proclamer que le Canada est un pays bilingue, est-ce suffisant pour traduire une intention, aussi officielle et aussi louable soit-elle, en réalité? Je ne le pense pas. Ily a environ 60% de Canadiens francais qui parlent l'anglais, Mais moins de 10% de Canadiens anglais qui s’estiment capables de parler le francais. Par contre, dans un pays comme le Liban, dans ce qu’il en reste du moins, une trés bonne connaissance de l'anglais et du francais y est répandu. (Dans le contexte politique de cette analogie rappellons que le développement linguistique de l’arabe, et par extension de la culture arabe au Liban, a souffert au méme titre que le francais dans la marée de la culture et de la langue anglaise de l’Amérique du Nord.) De méme dans les pays scandinaves, qui ne sont pas a proprement parler des pays bilingues, une solide maitrise de l’anglais y est trés courante. La Suisse est un pays bilingue, mais le francais et l'allemand y jouissent d’une véritable égalité et devant la loi et dans la réalité quotidienne. Si par contre l’Irlande se déclarait officiellement bilingue demain, personne ne se tromperait sur la place qu’occupe l'anglais dans le bilinguisme irlandais. En fait il est une réalité peu connue qu'il importe de rappeler ici : il y a dans le monde beaucoup plus de gens bilingues qu’unilingues. Il faut donc reconnaitre que le bilinguisme canadien, aussi désirable soit-il, ne représente qu'une intention, certes louable, mais qu'il nous incombe de traduire en réalité. Cette intention provient de la reconnaissance par les autorités publiques canadiennes de 1’extra- ordinaire victoire politique rem- portée par les Francais du Canada. En effet, la cohésion culturelle de ceux-ci et leur attachement a leur langue ont assuré la survivance de la langue frangaise aprés la cession de la Nouvelle-France a |’Angleterre en 1763. A plusieurs reprises on tenta d’éliminer la langue francaise du Canada. C'est ainsi que la proclamation royale d’octobre 1763 avait pour but de supprimer le régime de tolérance instauré en Nouvelle-France en vertu du traité de Paris de 1763, et de le remplacer par le protestantisme et la langue et les lois anglaises. En 1840 l’Acte de l'Union supprima le droit d’égalité linguistique, qui avait été reconnu 4 la langue francaise en 1793, et fit de l'anglais la seule langue officielle dans le nouveau parlement canadien. I] faut attendre 1848 pour voir la farouche opposition des parle- mentaires francais aboutir a la reconnaissance officielle de la langue francaise et a4 son rétablissement comme langue efficielle au parlement uni du Canada. L’Acte de l Amérique du Nord “britannique consacre, en 1867, le caractére officiel de la langue francaise au parlement du Canada, et. celui du Québec. Lorsque la province de Manitoba est créée, en 1870, elle est dotée d’une constitution semblable a celle du Québec. Mais cette reconnaissance du frangais et ce désir d’étendre la portée du bilin- guisme officiel au Canada ne se font pas sans opposition. C’est ainsi qu’en 1873 le Nouveau- Brunswick abolit les droits scolaires des catholiques (donc des Francophones) ; le Manitoba connait la violence et la répression contre les Métis de l'Ouest et abolit complétement le francais comme langue officielle du Manitoba. Les Canadiens francais sont d’autant plus scandalisés par ces manifesta- tions d’hostilité que le gouverne- ment fédéral semble impuissant 4 défendre et faire respecter l’esprit du «compromis historique». De méme, aprés la promulgation de la loi sur les langues officielles en 1969 et Jl’adoption de la résolution parlementaire de 1973, et en réaction contre ]’éveil nationaliste québécois, un véri- table mouvement de_ ressac contre les Francophones traverse tout le Canada. Les fanatiques vont méme jusqu’a préner une guerre ouverte contre les Québécois et la déportation de ceux-ci en France. Ernest Renan disait a la Sorbonne, vers la fin du 19e siécle, qu'une nation est avant tout un groupe de gens ayant le désir et la volonté de vivre ensembie en paix et en harmonie. De méme, les droits linguisti- ques inscrits dans la _ loi constitutionnelle de 1867 et dans la charte canadienne des droits et libertés sont des droits virtuels et seule la volonté politique et le désir de citoyens de vivre ensemble en harmonie peuvent ‘reuse et les actualiser. Cela est d’autant plus vrai que la_ branche judiciaire au Canada ne semble pas encline a jouer un réle dynamique 1a ot la volonté des autorités politiques fait défaut. C'est en effet ce qu’on doit comprendre des décisions ren- dues par la Cour Supréme du Canada en 1986 au sujet des droits linguistiques. La Cour a statué par une décision majori- taire (six contre un) qu'une sommation a comparaitre devant un tribunal du Québec (1’Affaire McDonald) ou du Manitoba (Affaire Bilodeau) «peut étre rédigée en francais ou en anglazs, sans égard a la langue de la personne mise en cause». Ainsi, en estimant que la constitution garantit les droits linguistiques des justiciables, des avocats, des témoins et des juges, mais pas ceux des parties 4 qui on adresse une sommation, les juges ont opté pour une interprétation rigou- textuelle de la constitution de 1867, et de la loi de 1870 sur le Manitoba. Par contre le juge dissident en a donné une interprétation plus dynamique. En effet il a estimé que «le drott d'une personne d’utiliser sa langue tmposait a VEtat Vobligation corresponden- te de respecter ce drozt». Il est donc clair que la décision de la Cour Supréme du Canada, bien que regrettable, montre bien que les autorités judiciaires n’enten- dent pas jouer le réle de réformateurs socio-politiques. I] incombe aux autorités politiques de jouer ce réle. Mais pour qu’elles le fassent en assumant pleinement leur responsabilité, les Canadiens doivent prouver que leur vision d’un Canada véritablement bilingue et leur volonté de vivre ensemble en harmonie, l’emportent sur les rivalités régionales, les chicane- ries des dirigeants politiques, lopposition des détenteurs de priviléges et la servilité des arrivistes. Il y a tout lieu d’étre optimiste. L’expansion rapide des pro- grammes d'immersion et des programmes cadres, la vision et le courage de certains conseils scolaires qui ont compris la véritable signification du bilin- guisme canadien (peut-on ima- giner un directeur d’école francophone qui ne comprend pas l'anglais écrire un rapport sur un professeur anglais, ici ou au Québec?) sont autant des signes encourageants. ? Le systéme scolaire, tradition- nellement un instrument de persuasion et d’endoctrinement pour le maintien et le renforce- ment des valeurs dominantes, est en train de jouer un réle de - réforme socio-politique de gran- de envergure. Le _ soutien implicite a l’idée d’un Canada bilingue que représente le succés des programmes d’immersion, est en train de donner une réalité concréte aux droits linguistiques garantis par la loi constitution- nelle de 1867 et par la charte canadienne des droits et libertés. L’Ecole est donc devenue le laboratoire ot le test de la volonté de vivre ensemble en paix et. harmonie est en train de donner d’excellents résultats, malgré les inévitables faux départs, mauvai- ses combinaisons et maladresses rencontrés au parcours. Le bilin- ' guisme au Canada est plus qu’un droit garanti par 1’Etat, il est en train de devenir une réalité que les gens de bonne _ volonté s'emploient a concrétiser. Adel Safty Coquitlam Monsieur le Rédacteur, A cause de la page 5 du Soleil de Colombie du 9 octobre, je ne veux plus recevoir le journal. Je vous prie donc d’arréter mon abonnement dés la réception de cette lettre; je ne veux pas de remboursement. Je vous remercie de votre travail pour la cause du francais en C.B. Mais je ne peux ni ne veux étre associé en aucune maniére 4 un gouvernement qui n'a pas d'argent pour les hdépitaux, les enfants, les retardés mentaux, les écoles, etc., mais qui a des millions pour le sport et pour construire des routes plus ou moins utiles, et qui permet la destruction de la terre agricole pendant que des millions d’étres humains meurent de faim dans le monde. Respectueusement votre, L. Auffray Sardis Monsieur, Jose espérer que je ne vous apprendrai rien en vous rappe- lant qu’en tant que contribuable, donc payeur de taxes, résidant en Colombie-Britannique vous étes, que vous le vouliez ou non, également associé a |l’actuel gouvernement. I] est de votre droit de ne plus vous abonner au Soleil pour les raisons que vous invoquez. Quant a moi je les trouve bien minces. Toutes les publicités - y compris celle qui vous choque - sont pour Le Soleil une question de survie puisque, comme vous le savez sans doute, ce journal ne vit ni d’amour, ni d’eau fraiche, et encore moins de voeux pieux ou de bons sentiments. Nous avons un travail a faire et des assiettes a remplir, et comme tout le monde nous travaillons mieux de ventre plein. Sachez aussi Monsieur que notre combat ne se livre pas a l'intérieur des encarts publicitai- res et que leur contenu est sous la seule responsabilité de ceux qui les paient. Il s’agit de publicité et non des opinions du journal. Sachez enfin que c’est grace a ceux qui nous financent que vous avez aujourd’hui le privilége de donner votre opinion. Patrice Audifax Suite de la premiére page présager rien de bon pour le Parti Québécois. C’est au mépris de la réalit€ sociale et politique du Québec actuel que les purs remettent la question de l’indé- pendance 4a l’ordre du jour. Ils semblent oublier que le parti (sous la présidence de M. Johnson... ; n’a plus que 22% des intentions de vote de la population et que le nombre de ses membres est passé de 330 000 en 1980 a moins de 40 000 en 1987. Ils semblent ignorer qu’entre 1975 et 1987, Montréal a vu sa population d’‘immigrants augmenter de quelque 300 000 personnes et que ceux-ci ne voteront jamais en faveur de Vindépendance. - Hs semblent~ ignorer que la population des Francophones «de souche» va stagner? Ils n’ignorent sans doute pas cela mais peut-étre veulent- ils manifester un dernier sursaut d’énergie avant de se saborder. M. Johnson a aussi compris tout cela, il a compris que le P.Q. est irrémédiablement promis a la marginalisation, que l’indépen- dance est une cause définitive- ment perdue. Des observateurs de la scéne politique québécoise estiment qu'il s'est simplement mis sur une voie d’évitement car il ne voulait pas essuyer une seconde défaite électorale (les prochaines élections provinciales sont attendues en 1989). Chose ‘certaine cependant, il a fait aux indépendantistes un cadeau empoisonné, il leur a abandonné un parti politique qui ne peut que mourir. Le seuljournai en francais de la Colombie -Britannique Bureau - 434-5784 Vincent Pigeon BALES: Avocat et notaire Fondateur ; André Piolat Préstdent-Directeur : Jacques Baillaut Rédacteur en chef : Patrice Audifax Journaliste-coopérant : Patrice Romedenne Photocomposition : Anita Charland Coordinatrice administrative : Héléne Adl Abonnements : Suzanne Bélanger Hean, Wylie, Peach, De Stefanis, Stewart & Kober 1501, Place Metrotown 4330 Kingsway, Publié par Le Soleil de Colombie Ltée 3283 Main, Vancouver, CB, V5V 3M6 Tél: 879-6924, 879-6656 "es APF re: Abonnement lan: Canada, 15$- Etranger, 20$ Numéro d’enregistrement: 0046 Courrier de 2éme classe Les lettres adressées au Soleil de Colombie par ses lecteurs doivent étre lisiblement signées par leur (s) auteur(s). La rédaction se réserve le droit de corriger ou de raccourcir le texte s'il est trop long. 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