tiles, et spectacl par LADISLAS KARDOS COMMENTAIRES SUR LA PRODUCTION D’OTHELLO AU PLAYHOUSE Je me demande pourquoi le Playhouse a choisi cette piéce? Le seul fait de poser cette question pourrait me faire des ennemis. Assister 4 un drame de Shakespeare et ad- mirer son génie sont tellement entrés dans les habitudes et les ‘choses 4 faire‘‘ de notre société que poser ma ques- tion équivaut presque 4 un sacrilége. Avant de continuer, je dois dire que j‘ai passé une bonne soirée. Les décors et les costumes sont superbes. La sauvagerie del‘expression des sentiments d‘envie et de jalousie est presque stimu- lante, comme est stimulant un film de Western, mais je repose ma question : 4 quoi cela sert-il? Peut-étre pour donner aux écoliers l‘occa- sion de voir le drame, au lieu de le lire seulement. Ce serait une bonne raison, mais nous, les adultes, nous ne nous exprimons plus de cette facon, les intrigues de notre temps sont plus sub- les motivations plus complexes et les exécutions bien plus compliquées. J‘ai trouvé ‘‘Rosencrantz & Guildenstern‘‘ infiniment plus intéressant. Je le considérait comme une continuation et une interprétation de Hamlet, une adaptation de Shakespeare 4 notre fagon de penser et d‘agir. A mon avis, Shakes- peare doit nous inspirer et les directeurs de théatres ne doivent pas jouer Shakespeare comme il a vu son monde, mais doivent nous montrer l*évolution de notre pensée, de notre facon d‘agir dans des situations créées par les manifestations des instincts éternels de l‘homme, tels que amour, ambition, jalousie, peur, etc, etc. Notre monde est rempli de problémes motivés et condi- tionnés par ces instincts. Ces problémes sont compliques ‘parce que les communications sont si perfectionnées que, si un mari jaloux tue sa femme 4 Téhéran, nous le lisons le lendemain matin dans nos journaux et le voyons 4 la télévision. Ces problémes de- viennent aussi plus compli- qués par l‘enchevétrement des relations entre les humains. Ainsi, si Othello avait vécu A notre époque, la question se pose de savoir s‘il aurait été aussi complexé et jaloux, parce qu'il était noir et Desdemona blanche? Est-ce _ que la nouvelle confiance que les noirs d‘Amérique mani- festent aujourd‘ hui et la fierté dans leurs origines, auraient fait agir Othello différemment Quel role jouait l‘impéria- lisme vénitien dans la con- quéte de Chypre et qu‘avait 4 faire le prosélytisme isla-— = — y Se mique ,dans la lutte contre Venise<{ L‘assassinat de Des- demona aurait-il déclenché la guerre Btom dus entre les USA et la Russie ¢ A mon avis dhomme mo- derne, Shakespeare traite le ‘drame d‘Othello d‘une fagon trop simpliste. Iago est ambi- tieux, Othello aveuglément ja- loux et Desdemona innocem- ment blanche. C‘est un drame en blanc et noir. Puisque la psychanalyse n‘était pas en- core inventée A ce moment, la seule solution est la mort de tous ceux qui sont impli- qués dans l‘affaire. C‘est vraiment trop simple. “Monsieur Laurence Olivier, dans son interprétation suggére qu‘entre d‘ Othello Othello et Iago des sentiments d‘homosexualité auraient mo- tivé la jalousie et la ven- geance de Iago. C’est une possibilité, qui aurait rendu la piéce plus intéressante, si elle avait été mieux dé- veloppée. Mais telle que nous l‘avons vue, avec la mort de Desde- mona, Othello et Iago, le ri- deau tombe et la piéce est terminée. On sort du théatre et on parle de la pluie et du beau temps, de la splendeur des costumes et des cuisses qu‘Othello nous montre géné- reusement avant de mourir. Tout est dit et rien ne reste pour stimuler la pensée et la ‘fantaisie du spectateur. Alan Scarfe, dans le rdle de Iago est excellent. J‘avais une certaine sympathie pour lui, ses envies et ses jalousies. Le fait est qu‘il était le seul A @étre pauvrement habillé. - Tous les autres acteurs por- taient des costumes superbes. Othello avait méme trois ou quatre magnifiques robes de chambre, alors que lago était toujours vétu du méme cos- — tume gris, avec, comme seul ornement, un couteau de cuisine, qu‘il portait ala cein- ture, dans le dos. Arthur Burghardt, le noir, au nom germanique, était superbe... jusqu‘'au moment ot il ouvrait la bouche et commengait 4 rouier les yeux. C‘est un trés bel homme, qui fait comprendre que les méres de la bourgeoisie américaine sont libérales au sujet de l‘émancipation des noirs, mais ne voudraient quand mé- me pas que leurs filles en épousent un. Desdemona était insignifiante, jusqu‘au mo- ment oi, 4 la fin, elle lutte avec Othello pour sa _ vie. Malheureusement, je n‘ai pas pu voir comment il l*étran- glait, un banc rond du. décor me cachant la scéne, mais cfétait certainement un mo- ment de grande tension, qu’elle rendait trés bien. C’est au moment de mourir qu’elle commengait 4 vivre. Brian Jackson, qui a cree les costumes et le décor, est la vedette de cette soi- -rée, qui était plus stimu- lante pour les yeux que pour Vesprit et le coeur. — Te eh ots) I: iy E Fe il | pene bs egy ee near MT CU SE? & La 12 FEVRIER 1971, IX. Stylistique francaise par Roger DUFRANE A la librairie de lf Univer- sité de la Colombie-Britan- nique, s‘empilent dans un rayon quelques exemplaires d'un ouvrage intéressant, le Précis de stylistique fran- gaise de J.Marouzeau, pro- fesseur 4 la Sorbonne. C’est la réédition d’une étude parue déja en 1941. Autrefois, le style s’ensei- gnait par des méthodes em- piriques fondées sur la tra- dition des écoles de latin. Les collégiens apprenaient les régles de la syntaxe ; puis les figures de rhétori- que : l’anacoluthe, la cata- chrése, la synecdote, etc. On distinguait prose et ver- sification, style familier et style noble, on déconseillait l’abus des ‘‘qui’? et des **que’’; et en avant pour les dissertations ! ; Depuis quelques années, sous l‘impulsion du philo- logue Fernand Brunot; on s‘est avisé que la langue relevant de la pensée, il fallait remonter A l‘intel- lect. Plutdt que d‘asservir l‘esprit 4 la grammaire, on s‘est mis 4 subordonner la grammaire 4 l’esprit. D’oa la naissance d’une science nouvelle ; la stylistique. La stylistique est un art du style. Si la langue forme l’ensemble de l’outillage A la disposition de l’écrivain, le style constitue un choix. Ce choix n’est pas libre. Il doit signifier quelque chose en respectant les ré- gles acceptées par l’usage. Or, la pensée, non seulement différe d’un individu a 1’au- .tre, mais varie selon les circonstances chez une méme personne. Toute pen- sée dépend du caractére, du tempérament, du milieu. De 14 une lutte continue entre l’idée et sa forme et un style différent pour chacun. Aprés une lecture attentive du livre de Marouzeau, con- naftra-t-on les régles du bien-écrire ¢ Non. Mais, ce qui vaut mieux, on sortira de cette étude l’esprit bien armé. Par ses apergus in- telligents, l’auteur éveille le sens critique. Un tel ou- vrage enseigne le ton 4 choi- sir dans le parler et dans écrit. L’auteur part des sons, des syllabes, des mots, pour s’étendre A 1’énoncé versifié et au style en géné- ral. Une idée philosophique gouverne ce précis : le lan- gage est une matiére souple et vivante. Et si 1’auteur appuie parfois sur des vé- ‘tilles, comment le lui repro- cher? Le genre l’exige. Marouzeau énonce parfois des vérités de La Palisse. C’est le défaut des grammai- riens. Penchés sur lalettre, sur ces infimes parcelles de langage appelées voyelles et syllabes, leur esprit s’obnu- bile parfois et ils disent des enfantillages. Ici, les apergus débordent l’esprit étroit de la gram- maire élémentaire. Marou- zeau fait remarquer par exemple qu’un futur peut s’exprimer par un présent : ‘*Une minute! Je reviens.’’ Que des verbes peuvent se muer en substantifs : **Le boire et le manger’’. Et que, dans la langue par- lée, un méme mot peut signi- fier, selon le ton, vingt choses différentes : **Tl y a telles fagons de dire oui qui expriment l’adhésion simple, la politesse, la con- descendance, 1’affectation, la flatterie, une concession rageuse, une protestation dissimulée...; il y a une- maniére de dire oui qui si- gnifie non.’’ : Il nous montre le pouvoir évocateur des sons. Les sonorités gaies : le prin- temps, le mois d’avril, le - mois de mai. Les sonorités sombres : novembre, dé- cembre. Et nous constatogs ainsi que nombre de mots reflétent par leur musique l’image qu’ils représentent. Marouzeau partage les mots en deux groupes : les mots images et mots idées ; et les mots outils : le livre de mon ami. Il nous apprend que le style des maftres abonde en mots images, tout en restant sobre de mots outils. Il nous signale que les écrivains qui n’ont peint qu’un seul milieu usent d’un vocabulaire réduit, alors que ceux qui explorent toutes les couches sociales usent d’un vocabulaire étendu. D’autre part, le style des bons écrivains s’adapte tou- jours au sujet. Marouzeau ne le dit pas expressément, mais il donne 4 y penser. Anatole France, styliste extrémement souple, en offre l’exemple. Son style, marqué pourtant de sa griffe, refléte les époques qu’il res- suscite. Dans sa Vie de Jean- ne d’Arc, France rappelle les chroniqueurs du quin- ziéme siécle ; dans sa RO- tisserie de la Reine Pédau- que, les conteurs libertins du dix-huitiéme. Que conclure des enseigne- ments de Marouzeau? Que s’il nous faut bien connaftre la syntaxe de notre langue, il ne faut pas s’y asservir. Le génie de la langue fran- gaise se saisit mieux par une longue pratique des maf- tres que par la memorisation de quelques régles de gram- maire.