, | | | \ | | , | Par Myriam Bennett Vie de marin, vie sédentaire Le M/S MARYLAND est | un navire de 14,000 tonnes, appartenant 4 la Compagnie Générale Transatlantique ; sous le commandement du Gapitaine J..Bied, le MARYLAND, dont 1’équi- page est de trente-huit hom- mes, fait la ligne Europe- Amérique, en passant par la cdte de 1*’Atlantique, le canal de Panama et la cdte! du Pacifique. Le cargo est général et varie selon les voyages (pate a papier, sau- mon, zinc, machines, borax, etCe)e Il est assez peu fréquent qu’un navire fran¢ais vienne & Vancouver et nous avons profité du long séjour du M/S MARYLAND pour inter- viewer les officiers 4 bord et vous faire part de leurs opinions et réactions. M.B. - Quelles sont vos impressions de Vancouver? M.Tocque - Vous savez, je ne suis pas beaucoup sorti et je ne connais pas bien la ville. Je suis sorti, trois ou quatre heures, un soir, dans Gastown, prés du quai et je n’ai pas vu grandchose. M.B. - Est-ce le seul port que vous avez visité au Canada ? M.Tocque - Au Canada, oui. Parce que je n’ai pas fait la cdte est, contrairement a beaucoup de mes collégues qui sont allés 4 Halifax, a Montréal, etc... Je ne con- nais pas le Canada de 1’est- M.B. - Aimez-vous Van- couver? Enfin, je ne veux pas vous influencer... M.Tocque - M’influencer? Je} voudrais réserver mon opi-| nion, parce que je ne suis pas suffisamment sorti, mais enfin, mes collégues qui sont allés 4 la plage, ou dans d’autres endroits, ont l’air relativement sa- tisfaits de leur séjour. M.B. - Vous étes allé 4 la plage, M.Lemasson, n’est- ce pas 2 M.Lemasson - A la deu- xiéme plage, oui. Chaque fois que j’ai pu sortir, je me suis exilé l4-bas, dans ce charmant pays de réve... M.Allain - C’est un marin qui parle! M.Lemasson - Je pense que je connaissais trés, trés mal Vancouver, parce que, jus- qu’A présent, nous sommes restés quand méme trés peu de temps. Les nombreux au- tres voyages que j’ai pu faire .&A Vancouver se ré- sumaient A 24 ou 48 heures d’escale, alors que nous res- tions pour ainsi dire dans la basse-ville. Mais cette fois- ci, notre escale s’étant pro- llongée en raison de la gréve' des dockers américains, | nous avons pu quand méme, circuler un petit peu dans la ville. M.B. - Quel est votre port référé / M.Contant - Vous savez, je suis assez jeune dans la na- vigation. Pour ma part, je ne peux pas dire que j’ai un port préféré...enfin, Marseille. J’ai trouvé Van- couver différent des autres ports que je connais. Je trouve par exemple que les bars sont grands, manquent d’intimité, que les boftes aussi sont grandes. Sur la plage, je trouve que l’on est un peu perdu, un peu seul ; ion ne peut pas dire que les gens soient tellement liants. C’est-a-dire que 1’on peut arriver A discuter, mais 1’on peut rarement se faire des relations durables. M.Allain - A moins de vivre entre la France et Vancou- ver, je crois que c’est trés difficile. : M.Cardon - Je crois qu’il y aun mot qui résume cela, *tintroduced’’, c’est-A-dire que si l’on n’est pas présen- té, il n’est pas possible de se faire des amis. M.B. - Est-ce que ce n’est pas la méme chose en France’ M.Olivi - Je crois que c’est cag pour toutes les vil- ese M.Cardon - Dans tous les Pays, dans tous les ports, c’est partout pareil. Si l’on a des relations, tout de suite l’on voit la ville de fagon plus réaliste, beaucoup plus “sympathique, parce que les gens vous connaissent et vous montrent des endroits qui sont agréables ; donc, cela vous donne. une optique différente, un jugement dif- férent du port visité ou de la ville. M.Contant - Je crois que le marin cherche dans un port autre chose qu’un quai. M.Tocque - Le marina des possibilités générale- ment trés limitées, parce qu’en général il ne trans-' porte pas avec lui sa voi- ture ; il est A pied et sou- vent les quais modernes, les terminals, les endroits od 1l’on décharge les contai- ners, sont trés, trés loin des centres des villes. Les villes américaines sont trés étendues ; on a du mal Aa trouver un centre relative- ment proche du bateau, si bien que l’on se cantonne souvent aux alentours du port parce que tout d’abord, l’on n’a pas de temps ; il yatou- jours des questioris de ser- vice, de travail ; le navire reste peu de temps au port et ce court séjour ne per- met pas, bien souvent, de se faire une opinion sur une ville ou sur un pays. Par exemple, nous sommes as- sez nombreux ici, 4 venir au Canada de facon réguliére depuis 15 ans. Eh bien, nous nous apercevons que nous ne le connaissons presque pas. Nous venons & Vancouver tous les trois ou quatre mois. Tout le monde connaft le parc Stanley... M.Bruneau - Il reste quand méme que le parc Stanley est une chose merveilleuse pour un marin et que l’on trouve assez rarement dans les autres villes. M.Tocque - Mais ici, il se passe cette chose extraor- dinaire que tous les ports américains sont bloqués par - les gréves et que tous les navires sont immobilisés dans le port de Vancouver ; donc, nous sommes ici de- puis bientdt trois semaines et nous allons peut-étre y rester encore une dizaine de jours. C’est absolument exceptionnel dans une vie de marin 4 l’heure actuelle ot les séjours sont de 24 ou 48 heures, et c’est vite fait entre les services, le travail. Vous savez, un ba- teau qui anavigué sans cesse pendant un mois a besoin:de soins, pendant l’escale, et il faut bien prévoir des pério- des pendant lesquelles on va travailler un peu dessus ;on profite donc d’un séjour de 48 heures pour faire cer- tains travaux qui sont im- possibles en mer, car les appareils fonctionnent. Ceci occupe une partie de 1’équipage. Les autres, quel- quefois, préférent se repo- ser, Ou au contraire sor- tir. Mais, en général, vous ne pouvez pas bien visiter le pays. Le marin, finalement, a un métier, je dirai, sédentaire. Il se déplace beaucoup, il va partout, mais il reste sur son bateau et pendant quatre mois, ne bouge pas plus de 200 métres. Il ne voit pas grand chose. M.Allain - Mais c’est 1a que l’importance du parc de Vancouver est énorme pour nous. : M.Cardon - Vancouver se réduit A une sortie, se ré- .duit A une promenade et ce n’est pas ainsi que 1’on peut connaftre les habitants, ce n’est pas ainsi que 1’on peut connaftre les moeurs. M.Olivi - En effet, l’on ne participe pas 4 la vie de la ville. Les contacts hu- mains nous manquent. M.B. = organisez-vous pas, avant d’arriver au port, afin de contacter les personnes que vous connaissez/. . M.Tocque - Nous ne som- mes pas organisés 4 Van- “couver, car nous n’y res- tons que peu de temps ; mais, par exemple, 4 San Francisco, nous avons des relations, en particulier avec des Frangais que nous connaissons de trés, trés longue date et qui habitent A San Francisco depuis au moins une vingtaine d’an- nées ; ils étaient montés 4 bord des anciens bateaux de la ligne. Beaucoup de gens aiment venir 4 bord. Nous avons beaucoup moins de facilites pour quitter le na- vire. M.Olivi - Ce que nous cher- chons, aux escales, c’est le contact humain, une commu- nion spirituelle. L’absence de la famille se fait telle- ment sentir que 1’on cher- che 4 la recréer. M.B. - Est-ce que vous ai- meriez étre recu par des familles / M.Cardon - Mais certaine- ment, et avec un grand plai- sir. Le cadre lui-méme, la parole, tout est pour nous un havre formidable. M.Tocque - On est toujours plus ou moins Alarecherche d’une telle chose, parce que la compagnie qui est assez importante fait différentes lignes. Par exemple, vous affectez sur une ligne du Pa- cifique sud, une ligne des Antilles, une ligne de la cdte est, une ligne de la cdte Ouest, un paquebot, un cargo, un bananier et votre travail change assez fré- quemment. Alors, ceux qui sont au port n’ont pas souvent la possibilité d’entretenir des relations suivies avec lapo- pulation, parce que l’onn’est jamais sQr de revenir 4 bord 4 des dates fixes et précises. M.B. - D’aprés vous y a- t-il eu une évolution des ports, des changements ? M.Tocque - Le commerce a donné naissance 4 la ville et au pays qui a créé ses divers ports pour ses dé- bouchés. Ce petit port-1la suffisait pour les navires 4 voiles, les petits bateaux qui faisaient le transport, Pourquoi ne vous. par exemple, pour parler de 1’Europe, entre le conti- nent, l’Angleterre, etc... quand les échanges commer- ciaux se faisaient dans ce sens 14. Ensuite, cela aévo- lue. Il y a eu des bateaux plus importants, des quais pour les paquebots en eau profonde pour qu’ils puis- sent rentrer sans étre obli- gés de tenir compte des ma- rées, donc on a approfondil les ports, on les a amélio- rés de plus en plus. Et, maintenant, on assiste A une (Suite p. 15) XIV, LE SOLEIL, 20 AOUT 1971