Récit d’un tour du monde Par Jean-Claude Boyer Le 25 novembre 1984. Le train quim’améne de Tanger a Oujda, prés de la frontiére algérienne, n’a rien du TGV mais l’exotisme qui s’offre 4 ma vue n’a rien a lui envier: foréts d’arbustes, trou- peaux de chévres et de moutons, bergers, laboureurs, charrettes de Marocains souriants_ et chevaux au petit trot, orange- raies, plantations de canne a sucre, oliveraies, bidonvilles, mosquées, monuments d’hom- mes “particuliérement appréciés par le peuple”, me dit-on, sol rouge, tas de foin, maisonnettes de terre, vignes, cimetiéres sans croix... Des lavandiéres battent leur linge sur de grosses pierres au milieu de riviéres étroites tandis que des semeurs lancent le grain. Un enfant sur un 4ne, le pére marchant a son cété, suivi de la mére portant un bébé sur son dos. A l’arrét du train, portes et fenétres sont attaquées par une légion de vendeurs ambulants (méme de laine d’acier!) . Prés de Fez, d’innombrables cabanes en terre sont recouvertes de téles retenues par des pierres. Des Anes, encore des Anes. (J’en aurai vu ce matin plus que pendant les quarante premiéres années de ma viel( Quant aux “souks du dimanche”, ils sont, parait-il, en méme temps que de grands marchés hebdomadaires, des rassemblements de poétes. Peu aprés mon départ de Tanger, j’ai fait la connaissance d'un étudiant en Islamisme et littérature arabe, Zain-Nagib. Je ne retiendrai ici que quelques- Le Soleil de Colombte, vendredi 26 juin 1987 - 11 En train marocain uns de ses propos, ceux, en particulier, qu’a provoqués ma réponse négative a sa question: “Es-tu marié? Celut qui ne se marie pas est malade... St tes parties génitables fonctionnent normalement, tu dots avoir des enfants... Tu dots aussi te marier pour qu'une femme prenne soin de tot... Ne passe marier pour un homme c’est honteux, alors que pour une femme c’est malheu- reux... Rester célibatatre signifte ne pas procréer, c’est-d-dire ne pas aimer la vie... La vie est trés facile pour ces gens-la (il pointe du doigt des compatriotes dispersés dans les champs) parce quils n'ont pas de _ besoins artificiels... On n’étudie pas le Canada a_ (Técole... Nous nepouvons emprunter des livres que pour trots jours seulement... Fez, c’est le centre culturel du Maroc, Casablanca, le centre économique, Tanger, le centre tourtst¢que...” Il se met ensuite a déblatérer contre le régime de son pays en insistant pour que je n’en parle a personne, m’ayant déja donné son nom et son adresse (il réve d’émigrer au Canada, bien sar). Je note également dans mon journal les paralléles qu'il établit entre l’Evangile et le Coran. Selon lui, par exemple, toujours pardonner est un signe évident de faiblesse. J’essaie de lui faire prendre conscience, petit a petit, que si “aimer ses ennemis” semble de la folie, c’est en réalité un principe d’une grande sagesse qui exige une qualité de vie intérieure peu commune. I] se montre finalement d’accord avec moi pour dire que la _ violence engendre la _ violence, que présenter l’autre joue peut étre un signe d’héroisme, que la lettre tue mais que l’esprit vivifie... Zain-Nagib m’offre alors biscuits maison et clémentines, puis une petite quantité de musc. Il me parle ensuite de la guerre froide qui oppose son pays a |’Algérie pour l’amour d’une partie du Sahara, différend qui remonte au temps de la domination espagno- le. Il me fait réaliser que le vendredi (Musulmans) ou le samedi (Juifs) ou le dimanche (Chrétiens) seront désormais fériés, selon les endroits que je visiterai en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie. A Fez, une €norme Musulmane envahit notre compartiment. Derriére son voile se fait entendre une respiration sibilante; elle a tét fait d’y glisser une bouteille d’eau. Jobserve discrétement la téte allongée (a la El Greco) de son fils (1) , auquel son capuchon brun foncé et la douceur des yeux donnent l’allure d'une moine canonisable. Par la _ fenétre défilent de vastes champs labourés etd’innombrablestaudis se confondant avec l’environne- ment couleur de sable. De nombreux tunnels nous plongent subitement dans une obscurité totale. Des paysans, assis par terre, trient des olives; prés d’eux, des paniers débordants. Ailleurs, des cueilleurs en djellabas rayées. Toujours des anes, dispersés ou regroupés, a travers la vallée semi-désertique. Deux vaches dont les cordes sont enroulées autour des cornes comme des écheveaux de laine. Le faite d’un arbre perce une toiture de paille. Sur un autre toit (en téle celui-la), prés de la voie ferrée, ce sont des morceaux de voie ferrée qui le protégent des vents. Deux poulains, puis, attelés 4 la méme charrue, un cheval et un boeuf! Un amas de foin colossal recouvert d’un plastique noir retenu par des cordes au bout desquelles pendent des pierres. Jobserve maintenant, dans mon compartiment, un jeune pére qui apprend 4 sa petite fille comment lacer ses souliers. Cette scéne toute simple ne manque pas de raviver mes instincts paternels. Je vois “passer” une mére en train d’épouiller un bambin. C’est un nombre effarant de bidonvilles qui se succédent sous mes yeux, me serrant la gorge: la pauvreté des uns en est reine, l’€goisme des autres roi. Les vieilles bicoques semblent plantées en terre et bien enchassées, souvent a flanc de montagne, un trou dans le toit. Un laboureur conduit une paire d’anes. Certains paysages me donnent l’impression de voyager sur la lune. Des ruines, des oueds. Puis de la végétation, un village hanté, bizarre, des vallons, une ville aux maisons roses, de petits canyons. Des. pelotons de Musulmanes, transportant des fagots ou la cueillette d’olives de la journée. Dans le wagon, un autre miséreux fait sa tournée, la voix geignarde. Le train s’arréte une niéme fois. Ruade des marchands de victuailles. Un nouveau-venu me déclinera avec fierté le nom d’une vingtaine de pays francophones d'Afrique, juste avant d’arriver, enfin, 4 Qujda. En entrant dans la gare, chacun doit remettre son billet. Quelqu’un s’essaie a garder le sien; on le rudoie comme un criminel. Et c’est l’assaut: “Dinars? Hétel? Taxi? Vous allez en Algérie? Vous voulez des dinars? Vous allez au consulat? Taxi? Hétel? Dinars?” Le moutarde me monte vite au nez. J'ai presque envie de remonter dans le train pour m’éloigner vers d’autres horizons inconnus. Une éducation universitaire et une. carriére pour l'avenir. Pour de plus amples renseignements sur les _ arrangements, les critéres d’admission et l'éventail des possibilités, rendez visite au Centre de Recru- tement le plus prés de chez vous ou telephonez a frais vires — nous sommes dans les pages jaunes a “Recrutement”. C'est votre choix, votre avenir. LES FORCES ARMEES CANADIENNES Canada