22 — Le Soleil de Colombie, vendredi 16 décembre 1983 Un conte de Noél Aude vous souvient-il de ce charmant bocage Peuplé d’oiseaux chanteurs et de gais papillons Ou dans I’air bleu du jour, cigales et grillons Célébraient de concert leur été sous l’ombrage. Vous souvient-il encor certains matins d’orage Quand le vent promenait ses petits tourbillons On traversait le champ en suivant les sillons Et votre main courbait les bleuets au passage. Comme ce temps est loin, tombé dans le passé | Alors que se jouait un bonheur insensé Dont il ne reste plus que triste souvenance. De mon amour secret, je n’en parlais jamais Semblant indifférent 4 votre insouciance Et pourtant, je l’avoue, Aude, je vous aimais. Tout émue et fort intriguée par la lecture de ce poéme qui semblait avoir été fait pour elle, la jeune femme d'un geste machinal, ferma la re- vue et vint s’accouder a la fenétre, dans la piéce de séjour, ow les derniéres lueurs d'un beau couchant se jouaient sur les meubles. I] était cing heures prés; en décembre, le temps est plus court, et la tombée du jour vient plus vite qu’a l’ordinai- re. Il avait neigé partout dans la campagne, et les branches des hauts sapins en bordure de avenue, ployaient sous le poids trop lourd qui les para- lysait. Des oiseaux de passage volaient autour des arbres en lancant des cris aigus qui se perdaient dans le vent du soir. Puis le silence revenait a neuveau avec. ce brin de mystére qui hante les lieux, quand l’ombre survient tout a coup, sans que l’on s’en rende compte. Une petite maison confortable Aude réveuse, regardait le paysage coutumier qui l’en- chantait toujours; mais a cette heure étrange ou le poéme inattendu la ramenait en arriére, dans le domaine du passé, elle oubliait de s’extasier, et restait indifféren- te au joli tableau de nature qu'elle avait devant les yeux. Depuis dix-huit mois envi- ron, elle était confinée au logis, auprés de son mari devenu invalide a la suite d’un malheureux accident de che- min de fer qui l’immobili- sait dans un fauteuil roulant, pour le reste de ses jours. Elle s était alors résignée a la soli- tude, et vivait a la “Sapi- niére”, qu'elle tenait de ses parents, une petite maison confortable, sise aux abords de la forét, avec un beau jardin d’ou s'épanouissaient durant l’été, des fleurs magni- fiques aux parfums capiteux. Un couple d’age mar, les servait avec dévouement. Un chien de garde et des chats attachants, sans oublier la kyrielle d’amies, sur l’amitié desquelles elle pouvait comp- ter, complétaient la maison- née. A cette heure indécise ot tout est propice aux réminis- cences, la jeune femme res- sassait ses vieux souvenirs, pour se remémorer ces doux matins ensoleillés, ot en com- pagnie de Guillaume Précourt, le poéte énigmati- que et ténébreux 4 la fois, elle parcourait les champs et les bois, a la recherche de petits fruits et de fleurs sauvages, a lintention d’un herbier dont la composition et l’agence- ment des plantes, occupaient ses loisirs. Le jeune homme avait tou- jours été charmant avec elle, mais il gardait une certaine: réserve qui se manifestait aussi bien dans les paroles que dans les gestes, ce qui ne faci- litait guére les — entretiens amoureux quelle révait d’avoir. Et le temps s‘était écoulé sans apporter de changement dans leurs relations amicales, puis un jour, il partit pour un voyage a travers l’Asie, et la belle romanesque n’entendit plus parler de lui. La vie reprit son cours habi- tuel, et les saisons se suc- cédérent, les unes aux autres, sans interruption, lorsqu’un soir de Noél, dans une réu- nion intime, elle fit la connaissance de Pascal Faber — un homme bien, plus agé quelle, et qui lui porta tout de suite un vif intérét. I] lui fit la cour, trés discrétement, et aprés quelques mois de fré- quentation, l’épousa, a4 la grande surprise des amies qui n’avaient pas prévu la chose. Dés lors, son existence de femme changea du tout au tout. Pascal Faber n’aimait pas les mondanités, et pré- férait le calme plat d'une vie sédentaire, loin du bruit, du tapage de la ville, qui Vener: vaient. Comme il ne chérissait pas les enfants outre mesure, il prit tout de suite les moyens — pour n’en pas avoir, a la grande déception de la jeune épouse qui révait d’une ri- bambelle de petits bonshom- Simple aveu mes, sous le toit de la “Sapi- niére”’. Les animaux en général, n’avaient pas non plus, I’heur de lui plaire, aussi avec ce flair instinctif qui les carac- térise si bien, chien et chats se tenaient a l’écart, et fuyaient sa présence. Somme tout, Aude n’était pas vraiment heureuse, mais douée d’un bon jugement, et de beaucoup de perspicacité; elle s’accom- modait du mauvais sort, et de sa vie conjugale, comblait tant bien que mal les lacu- nes qu'elle n’avait pas souhai- tées en s'adonnant 4 la musi- que, a la lecture, ainsi qu’a différentes activités la mettant en contact avec les gens de la région, les notables de la place, comme !’on disait alors. Puis vint l’accident tragique de Pascal, sa longue conva- lescence, et les jours. diffi- ciles, extrémement doulou- reux qui s’en suivirent. Alors qu'il réalisa ne plus pouvoir marcher, et connaitre a qua- rante ans, l’impotence auprés d'une épouse jeune et jolie dont il croyait faire le mal- heur. Une peine douloureuse Aujourd’hui, Aude triste- ment, repensait a tout cela, dans le grand calme de la piéce maintenant noyée d’om- bre, et songeait avec mélan- colie, 4 ce qui aurait pu étre, auprés de Guillaume, si le Destin l’eut voulu. Mais on ne fait pas son destin, on le subit, et c'est un fait. Soudain, une voix résonna dans le couloir, et la jeune femme vit surgir la chaise roulante que Pascal dirigeait d’une main nerveuse. I] s’impatientait : — Bon Dieu, allume donc les lampes, il fait sombre ici. C’est incroyable! — Je n’ai pas vu venir l’obscu- rité, expliqua-t-elle, en s'em- pressant de faire de la lumié- re. Puis elle revint vers lui. — As-tu bien dormi, mon chéri? Es-tu reposé? — Comment veux-tu que je me repose, je ne fais que cela du matin au soir, dit-il amé- rement. Elle n’osa le contredire et se tut. Mais dans le fond de sa pensée, elle savait qu’il disait vrai, et cette amertume qu’el- le sentait en lui, lui causait une peine douloureuse. D’un geste spontané, elle lui posa la main sur l’épaule, en laissant tomber: — Pascal, crois-m’en, il fau- drait t’occuper un tantinet, d'une facon agréable, j’en- tends, et ainsi le temps te semblerait plus court, et moins ennuyeux. Il pinga les lévres et dé- tourna la téte. Aude reprit aussitét: — C'est demain Noél, tu sais, et ce soir l’anniversaire de notre premiére rencontre chez les Maltais. Tu t’en souviens, n’est-ce pas? - I] abaissa le front sans répli- quer. Alors elle poursuivit: — Oui, Pascal, déja quatre années de cela, et pour moi, avoua-t-elle gentiment, c’est comme si c’était hier. — Javais alors l’usage de mes jambes, tandis qu’aujour- d’hui... — Tu as celui de tes bras. C'est. déja quelque chose, acheva-t-elle en l’entourant. Quelques minutes tombé- rent, puis vivement, les yeux dans les yeux, il murmura: — Aude, tu es trés bonne et je t'aime beaucoup. Ah! qu’est- ce que je deviendrais sans toi? Elle le sentait frémissant et sincére aussi. — Tu es un bon mari, assura-t-elle avec certitude et je serai toujours avec toi. Ne l’oublie pas. Pascal allait répondre, quand Amélie, la bonne, s’encadra dans l’embrasure de eu 2434 E. Hastings Vancouver GRAND CHOIX DE TISSUS ET DRAPERIES: Auservice delacommunauté francophone. Tissues, et tous le nécessaire pour la couture pels de modes:Simplicity, McCall, Butterick, Vogue DEPOSEZ VOS CHEMISES ET VOTRE NETTOYAGE. A SEC -LE MATIN EN ALLANT AU TRAVAIL. RAMASSEZ-LE SUR LE CHEMIN DU RETOUR Joyeux Noél FLETCHERS DRY HEURES:- Lundi & vendredi 7h80 a.m. -5h30 p.m. Samedi 7h30 a.m. - 5h80 p.m. | 2096 W. Broadway (Broadway & Arbutus) CLEANIN Tel. 253-9520 Joyeux Noél PIcher DRY CLEANING AND SHIRT LAUNDRY Phone 731-9313 la porte, disant simplement: — Pardon, Madame, il y a une visite pour vous. Aude, quelque peu sur- prise, murmura: — C'est bien Amélie, je vais descendre au salon. Et s’adressant a Pascal: — Je ne tarderai pas a revenir. Vraiment, je ne sais qui peut a cette heure insolite, se présen- ter a la “Sapiniére”. Avant méme qu'il songe a prononcer un mot, elle avait disparu. Aude enfila l’escalier, et pénétrait dans le salon sous un jet de lumiére, elle vit debout devant elle une longue sil- houette qu'elle reconnut de prime-saut. Messe de minuit et réveillon intime — Guillaume! s’exclama-t-el- le, en lui tendant la main. Il riait de toutes ses dents. — Je m’excuse d’ apparaitre a cette heure-ci, mais j "arrive de la ville, et je tenais 4 vous offrir ce bouquet de Noél, ma chére Aude, avant qu'il se fane. Déja, il lui mettait entre les bras, des roses rouges, écla- tantes et parfumées, comme elle les aimait. Elle l’en remercia avec beaucoup de gentillesse, et lui désigna un fauteuil qu'il refu- sa d'un geste. — Je le regrette, mais il se fait tard, et je dois rentrer chez moi, Cependant, j'ai une faveur 4 vous demander, si toutefois, vous voulez bien me laccorder. La jeune femme sourit, un. peu étonnée: — S'il m’est possible d’ac- quiescer a votre demande, ce serait avec grand plaisir. Cro- yez-m’en. — Alors, c’est tout simple: Acceptez l’invitation de ma mére, qui au retour de la Messe de Minuit, recoit 4 un réveillon, trés intime, vous savez, et qui serait heureuse de vous compter parmi ses invités. Aude, perplexe, ne savait que dire. Elle eut une hési- tation, puis se reprenant aus- sitot: — Vous étes trés aimable de penser a moi, Guillaume, mais je ne peux quitter mon mari, ce soir, veille de Noél, ow il est plus sensible 4 son infortune. — Allons donc, pour quelques heures... Vous aurez alors une charmante distraction, dans cette solitude qui vous entoure dangereusement. — Mais Guillaume compre- nez-moi. Je ne suis plus libre et ma place est auprés de Pascal, qui ignore. toujours notre bonne amitié. Il fronga les sourcils: — L’amitié... releva-t-il iro- niquement. C’est vrai, il n’y a toujours eu que de l’amitié entre vous et moi. — A qui la faute, je me le demande... — A moi, sans doute, rétor- qua-t-il, sur un ton narquois qu'elle percut sans peine. — Bien sir, 4 vous, mon cher Guillaume, qui. ne vous étes jamais départi de votre gran- de réserve. Et puis, vous oubliez qu’un jour, sans tam- bour ni trompette, vous par- tites en voyage, a l’autre bout du monde, sans me donner de nouvelles. Alors... . — Vous avez décidé de votre avenir, conclut-il, sans la regarder. — En loccurence, que de- vais-je faire d’autre? Il secoua la téte, geant vers la sortie. — Je vous souhaite tout de méme un Joyeux Noél, fit-il, la main sur la poignée de la porte entr’ouverte. Puis brusquement, la fixant avec persistance, il récita tout d’un trait, le dernier tercet de son poéme: se diri- “Simple aveu” “De mon amour secret, je nen parlais jamais Semblant indifférent A votre insouciance Et pourtant, je l’avoue, Aude, je vous aimais.” La porte se referma sur ces derniers mots, et croyant sor- tir d’un réve, la jeune femme troublée retourna auprés de Pascal qui l’attendait. Guy Nemer WOODMAN’S CLEANERS LTD. entre-ville . Vancouver | Joyeux Noél 555 Burrard (Bentall Centre] 684-6622 1055 Georgia [Royal Centre] 684-3623 575 Hornby 684-3518 Bonnes fétes ED'S BOTTLE DEPOT T6!:874-9223 E2525 rue Carolina Vancouver,C.B. Recyclez et 6épargnez en déposant vos bouteilles vides chez Meilleurs voeux