2001 Pe, bastion Joumal des francophones de NANAIMO Novembre-Décembre ( ontes et légendes de Noal 5 la petite Fille aux alumettes La petite fille marchait donc avec ses pieds nus, qui étaient rouges et bleus de froid, elle serrait dans un vieux tablier une quantité d'allumettes soufrées, et en tenait un paquet a la main en marchant, de toute la journée personne ne lui en avait acheté, personne ne lui avait donné le moindre sou, elle avait faim, elle était gelée, elle avait un aspect lamentable, la pauvre petite ! Les flocons de neige tombaient sur ses longs cheveux dorés, qui bouclaient joliment dans son cou, mais elle ne pensait pas a cette parure. A toutes les fenétres brillaient les lumiéres et une délicieuse odeur d'oie rétie se répandait dans la rue, car c'était la veille du jour de I'an, et ga, elle y pensait. Dans un angle entre deux maisons dont I'une avangait un peu plus que l'autre dans la rue, elle s'assit et se blottit, elle avait replié ses petites jambes sous elle, mais elle avait encore plus froid, et elle n'osait pas rentrer chez elle, car elle n'avait pas vendu d'allumettes et pas eu un sou, son pere la battrait, et il faisait froid aussi chez eux, on n'avait que le toit au-dessus et le vent sifflait jusque dedans, malgré la paille et les chiffons qui bouchaient les plus grosses fissures. Ses petites mains étaient presque mortes de froid. Oh, comme une petite allumette pourrait faire du bien . Si elle osait en tirer rien qu'une du paquet, la frotter contre le mur et se réchauffer les doigts. Elle en tira une, pfut ! comme le feu jaillit, comme elle brala ! Ce fut une flamme chaude et claire, comme une petite lumiére qu'elle entoura de sa main, c'était une drdle de lumiére ! I] semblait a la petite fille qu'elle était assise devant un grand poéle de fer a boules de cuivre, le feu bralait délicieusement, il réchauffait trés bien. La petite fille étendait déja les pieds pour les réchauffer aussi quand la flamme s'éteignit. Le poéle disparut, la fillette resta avec un petit bout d'allumette bralée a la main. Une seconde fut frottée, brila, éclaira, et aux endroits ot sa lueur tombait sur le mur, celui-ci devenait transparent comme un voile, la petite fille vit l'intérieur de la salle, ot la table était mise, la nappe était d'une blancheur éclatante, couverte de porcelaine fine, l'oie rdétie fumait pleine de pruneaux et de pommes, et ce qui était encore plus magnifique, l'oie sauta du plat, marcha sur le parquet avec une fourchette et un couteau dans le dos et vint jusqu'a la pauvre fille, alors, l'allumette s'éteignit, et l'on ne vit plus que l'épais mur gris. Elle alluma encore une allumette. Elle se trouva alors assise sous un superbe arbre de Noél, il était encore plus grand et plus paré que celui qu'elle avait vu par la porte vitrée chez le riche négociant au dernier Noél, des milliers de lumiéres bralaient sur les branches vertes, et des images bariolées, comme celles qui ornent les fenétres des boutiques, la regardaient. La petite étendit les mains en l'air et I'allumette s'éteignit. Les multiples lumiéres de Noél montérent de plus en plus haut, elle vit qu'elles étaient devenues les étoiles scintillantes, l'une d'elles fila, et trag¢a une longue raie lumineuse dans le ciel. -En voila une qui meurt, dit la petite, car sa vieille grand-meére, la seule personne qui avait été bonne pour elle, mais qui était morte maintenant, avait dit : " Quand une étoile tombe, une dme monte vers Dieu.” Elle frotta encore une allumette contre le mur, et une lueur se répandit, au milieu de laquelle était la vieille grand-meére, nette, brillante, douée et aimable . -Grand-meére ! cria la petite. Oh, emméne-moi ! Je sais que tu seras partie quand l'allumette sera finie ; partie comme le poéle chaud, la délicieuse oie rétie et le grand arbre de Noél béni !... Et elle frotta en hate tout le reste des allumettes qui étaient dans le paquet, elle voulait retenir grand-mere, et les allumettes brillérent d'un tel éclat qu'il faisait plus clair qu'en plein jour. Jamais grand-mére n'avait été si belle, si grande, elle enleva la petite fille sur son bras, et elles s'envolérent superbement et joyeusement, haut, trés haut, et 1a, pas de froid, ni de faim, ni d'inquiétude, elles étaient chez Dieu ! Et dans le coin de la maison, au froid matin, la petite fille était assise avec des joues rosés et le sourire a la bouche, morte, gelée la derniére nuit de la vieille année. Le matin du Nouvel An se leva sur le petit cadavre, assis prés des allumettes soufrées, dont un paquet était presque entiérement brilé. Elle a voulu se réchauffer, dit-on. Nul ne sut ce qu'elle avait vu de beau, avec quelle splendeur elle et sa grand-mére étaient entrées dans la joie du Nouvel An ! Hans Christian ANDERSEN (1805-1875, Danemark) -Pris sur le site www3.sympatico.ca/routhier.potvin/