L ‘AUX FEUX DE |LA RAMPE Dans l’avant-propos 4 son essai sur les Reines de Thé- atre, Béatrice Dussane nous avertit que son expérience de la scéne lui permettra peut-étre d’éclairer de lueurs plus vives la vie de quelques comédiennes célé- bres. Et il est vrai que sous sa plume Marquise du Parc et la Champnjeslé, Made- moiselle Claijron, Rachel, Sarah Bernhardt et Julia Bartet, se raniment non pas seulement parmi les décors et dans les moeurs du mé- tier, mais aussi dans leurs Ames secrétes de comédien- nese C’est pourquoi nous nous amuserons a4 déméler de ces fines pages la comédienne en ses qualités ou défauts. Impossible de tracer le por- trait-type de la comédienne ! Il y a parmi’ les reines de théatre des coquettes, des jalouses, des biches ou des panthéres, autant de roles qu’elles en assument sur la scéne. Mais il est loisible de faire un bouquet des traits que dépeint Dussane dans ses portraits et d’imaginer ainsi une comédienne modéle. Je sais d’ailleurs que la vie est toujours plus diverse que ce qu’on peut en décrire. Nul » portrait n’atteindra jamais A lV’universalité. La comé- dienne que 1l’on recompose ici ne figure pas toutes les comédiennes. On se trompe A vouloir synthétiser. Mais on se fourvoie avec intelli- gence et le jeu en vaut la peine. L’ambition donne la clé de fla destinée des reines de théAtre. Elles entendent de secrétes voix et brdlent du désir de réussir. Travaux, amours, coquetteries, at- teintes de l’Aage, tout cela rayonne autour de leur grand dessein, tantdt pour le flat- ter, tantOt pour le contra- rier. La comédienne subor- donne l’amour Asacarriére. Ainsi la Champmeslé se ser- vait de Racine pour conqué- rir la gloire. Elle lui deman- dait tragédie sur tragédie. Par oi ne passent-elles pas pour satisfaire leur voca- tion? Au dix-huitiéme sié- cle, Mademoiselle Clairon, altérée de succés, lorgne d’abord vers la danse, cette mélodie pour les yeux. Puis elle regarde plus haut. A treize ans, elle apprend, avec un acteur de la Comé- die Italienne, écriture, dan- ~ se et musique. Peu aprés, on l’engage au Théatre de Rouen. Elle y joue la co- médie, chante l’opéra co- mique, danse le ballet. Puis vient l’apprentissage le plus important, celui de la vie, des relations entre les cou- ples. Tout le théatre feed il pas fondé sur cela* Pré- tendants, amants, promis- cuités de coulisse, Clairon attise tout ce qui alimente son idéal. Et c’est ainsi que de marche en marche, de la boue au marbre, elle atteint les sommets. De pair avec de telles am- bitions se conjuguent une vo- lonté de fer et un courage A toute épreuve. Miracle de la volonté : Mademoiselle Ant { = ZL ) ae Mn // \ \ Wi, Mars reste plus longtemps jeune, grace A son souci de prolonger son régne. Nul tendron ne peut 1’évincer. Les larmes, dont elle avait le don, vers la quarantaine n’ont pas terni ses joues de rose. Son visage, en dépit d’une dépense musculaire quotidienne, reste vierge de rides. \ will AM A jouer sur scéne l’amour, les comédiennes en maftri- sent les ruses. Leurs amants souffriront de leur incons- tance. Cela ne les inquiéte pas. Leur maftre secret, ce- lui auquel elles se dévouent corps et Ames, c’est le thé- atre. Et si soudain elles se tourmentent pour un 6étre de chair, le destin les pu- nit, comme d’une trahison. A trente-trois ans, Marquise du Parc, cuirassée sem- blait-il contre la passion, s’enflamme pour Jean Ra- cine. Le poéte l’a choisie pour interpréter ses tragé- dies. Il la forme 4 la pas- sion, non seulement sur la scéne, mais dans le secret de la chair et du sang. Il fera d’elle, qui d’abord ne brillait que par la beauté, une actrice © brillante d’amour. Les comédiennes restent femmes et le dieu jaloux les guette. Qu’un hom- me autoritaire et séduisant, artiste et d’une intelligence aigue, les plie 4 la dictature de son génie, et les voila esclaves. Parfois elles par- viennent A se désentraver ; et d’autres fois, comme pour Marquise du Parc, la mort seule les libére. Pourquoi les comédiennes offrent-elles, hormis de ra- res exceptions, telle la so- bre et décente Julia Bartet, tant d’exemples d’immora- lité ¢ Cela s’explique facile- ment. Comment demander la constance et la foi 4 des créatures obligées sans cesse A mentir, sous les feux de la rampe, par les costumes, par les fards, par les paroles’ Nombre de co- médiennes prolongent dans la vie leurs séductions scé- niques. Elles vivent leurs roles dans l’univers réel avec autant d’enthousiasme qu’elles le vivent dans l’ima- ginaire. Malheur 4 qui trop les aime ! II sera 4 la fois heureux et malheureux. Comme Racine, ou comme}- appartenant auf. d@autres monde du théatre (car les’ comédiennes cherchent leurs amours autour d’elles: écrivains, acteurs, ou mé- cénes), en possédant une co- médienne, ils posséderont en une femme unique plu- sieurs femmes. L’age arrive ot la comeé- dienne doit s’effacer. Elle vit alors, non sans mélan- colie, de ses souvenirs. So apprentissage difficile, so: passé glorieux, sa crainte de vieillir et de se voir supplantée, la mélancolie aussi de 1l’illusoire de son| art, tout cela l’afflige. Que resterg-t-il d’elle aprés son départ¢ Un peintre laisse ses tableaux, un romancier ses romans ; tandis que la voix, le geste, 1’expression de Sarah Bernhardt, se sont 4 jamais évanouis avec elle. EXPOSITION La Galerie d’Arts de Vancouver présente du 10 mai au 4 juin une exposition expéri- mentale de See See contemporaine. Les n amateurs y trouvero: représentées de nou- velles techniques et~matiéres premiéres. VIII, LE SOLEIL, 28 AVRIL 1972