par Lucien Bellin - Qu’est-ce donc; en géné- ral, que la photographie, sinon l’art de saisir la ré- alité et de la fixer dans le temps. L’art, c’est surtout de découvrir l’Ame cachée des choses, Atravers l’oeil : indiscret de l’objectif. Mais, pour cet art, l’ar- tiste doit développer’ une grande faculté et souples- se d’observation, d’esprit, le tout allié 4-une profonde faculté d’émerveillement pour tout ce qui nous en- toure. De nos jours, la photogra- phie occupe- -uneiplace'con- Sidérable:. dans -notre 'so- ciété de communication et de loisirs. Il n’y a qu’are- garder la profusion d’ima- ges dans les livres et les quotidiens pour s’en con- vaincre. Les derniéres__ statisti- ques indiquent que plus de la moitié des familles nord-américaines possé- dent un appareil photo et que 50% de ses habitants s’ adonnent & la photographie durant leurs moments per- dus, mais bien.de ces ama- teurs ressemblent 4 des trieurs de bleuets qui au- raient oublié de placer un treillis A leur crible. I] ne faut donc pas. faire partie de ceux qui fixent sur la pellicule tous les événe- ments de la vie coutumié re sans.aucun discerne - ment, juste pour satisfai- re leur manie de saisir tout ce qui leur passe sous les yeux et qui, de ce fait, ne réussissent que des cli- chés d’un style banal et infignifiant. - do coin de office de la langue francaise @eSaaser direz tant par Louis-Paul Béguin Le langage a |’ére du soupgon 2) A la recherche du nouveau langage Nous avons vu que le dou- “te s’est. peu A peu intro- duit dans la pensée hu- maine. L’ére du soupgon et de la méfiance, susci- tée par le gigantesque dé- - veloppement et la comple- . xité de l’univers des scien- ces exactes, donne lieu 4. de nouvelles fagons de s’exprimer. Le langage. ‘tend A se libérer actuelle- ment des contingences lo- giques qui l’ont régi pen- dant des siécles. Bien sar, cela ne signifie pas un changement total des lan- gues, instruments de pré- cision, mais une évasion linguistique, une ‘ouvertu- re sur les données immé- diates de la conscience, grace au langage. La réaction de Virrationnel L’homme, en fait, réagit contre l’isolement qu’a causé l’hermétisme de connaissances de plus en plus ardues et complexes. Il craint que la raison ne soit plus suffisante. pour l’expression juste de ses sentiments modernes dans toute leur plénitude. La poésie devient surréaliste, le roman se transforme en néo-roman, dont le style l’emporte sur le sens.’ Dans la musique ‘‘pop’’, les pa- roles sont accessoires, le ‘*son des mots’’ devient la préoccupation premiére; le rythme, instinctif, se place au premier plan. Le théa- tre se qualifie d’absurde et met enscéne des personna- ges dérangés, et dont les agissements sont bizarres, les motifs mystérieux. On écarte de toutes ces mani- festations artistiques le langage, en tant que moyen de communication ration- nel. L’ére du Verseau commence, mystique. et in- tuitive époque. Des efflu- ves capiteux émanant de la connaissance intuitive, presque comme au Moyen Age, remplacent le froid parfum de laraison. Pour- quoi cette réaction, alors que la vie moderne devrait donner &4 l’homme tous les moyens de se comprendre et de s’épanouir. Est-ce un phénoméne de réaction dQ A la déception de l’homme “en face du modernisme. Riesman écrit dans son li- vre sur l’individualisme: ‘*Nous voici a l’époque du désenchantement’’. Depuis Kafka, la littérature a pris le chemin de l’irrationnel. En peinture, le sautest fait depuis longtemps. La re- présentation graphique de l’état d’ame, délaissant I’ impression, est désormais non figurative. Pollocks remplace Monet comme ,_ traducteur des visions hu- maines. A Moscou der- niérement, une exposition LA LECTURE ENRICHIT. d’art moderne eut lieu pour la premiére fois en Russie soviétique. ‘‘Que . faut-il comprendre 4 ces ta- bleaux’’? demanda un Mos- covite perplexe. ‘‘Ilnes’a- git pas de comprendre, lui répondit son voisin, mais de sentir?’. Phrase révé- latrice, surtout en ce pays du réalisme socialiste, et qui semble confirmer la tendance universelle’ au doute et au soupgon: la compréhension d’une chose n’est plus si importante que la connaissance intuitive de cette chose ‘‘ensoi’’.Ce n’est pas la fin du langage structuré et logique. Les sciences: continueront 4 l’utiliser avec bonheur et 4 Venrichir. Mais il y a un début de dédoublement des moyens d’expression: A coté d’une langue scienti- fique et pratique, mais suspecte, un langage fait de contacts directs avec les données immédiates de la conscience voit le jour. L’homme médiéval était épris de mysticisme et de miracles. Il céda la place a l’homme-cartésien qui. semble devoir se transfor- mer en homme plus intui- tif profitant, pour s’ex- primer. et se connaftre, de deux sources de la con- naissance, l’intelligence et l’intuition. A la recherche de Pabsolu Bergson eut donc raison de montrer l’importance de l’untuition. Il insista surla distinction entre l’intelli- gence et l’intuition. La premiére est un instru - ment facilitant — l’action. Elle ‘‘saisit’’? la vie grace asa faculté de concep- tualisation, grace au lan- gage. Mais cette concep- stations, La bibliothéque de New-York vient de recevoir un cheque de $368,000.00 provenant de la suc- cession d’un émigré lithuanien illettré qui, arrivé sans'‘le sou en 1913 a l’Age de 30 ans, est mort multi-millionnaire. Cet émigré n’avait pas oublié ce qu’il devait a la bibliothéque. A sa mort, il possédait entre autres au-dela d’un.million de dollars en actions diverses, grace aux connaissan- ces qu’il avait acquises a la bibliothéque. sance_ intuitive, d’autre part, permet d’atteindre I’ absolu. _La fonction créa- trice de l’intuition per- met, dit Bergson, de dé- passer l’intelligence et ses limites. Toutefois, le grand vizir de 1l’irration- nel, le grand précurseur de la nouvelle perception, ce fut, sans aucun doute, Nietzsche. La nature est - presque - tout entiére conquise. Mais il reste pour l’homme.a se redé- finir. Et pour cela, ~~ il ressent le besoin d’utili- ser un -langage degagé des chames. de 1’intellectuali- sation. L’aventure du langage — continue L’aventure du langage n’ ‘est donc pas finie. - Lage de raison cédera-t-il la place 4 l’age de la lu- miére. De nouveaux moy- ens d’expression perfec- tionnés, basés sur la sen- sation et l’intuition, pour- raient-ils parachever |’ oeuvre du langage ration- nel. Qui suis-je ? Les prisons de la seman- tique, de la syntaxe et des -régles strictes de la gram- maire sont ouvertes. Il n’y a qu’a lire la poésie mo- derne pour. s’en convain- cre. Ou un néo-romain. Oui, le langage de l’art se dégage de sa_chrysalide, encore balbutiant, . mala- droit, mais ivre de grand air, fusant dans tous les sens. L’age le calmera. A- lors, enrichi et libéré, le langage humain, bénéfi- ciant d’une intégralité qui le renforcera, donnera 4 l’homme de demain de nou- veaux. moyens desaisir 1’ inacessible: la possession de la vérité universelle, la vision totale du réel qui se cache au-dela des données” scientifiques. Saint-Au- gustin a pose la question e- xistentialiste suivante: ‘*Qui suis-je’’. Pour ré- pondre 4 la question du phi- losophe chrétien, ilfaudra, en tous les cas,‘ d’autres moyens d’expression bien plus perfectionnés, _ bien plus libérés, que ceux que nous offrent les langages humains que nous connais- sons aujourd’hui. LIBRAIRIE FRANCAISE wevewwe VANCOUVER 5, B.C a th a kA ssa