Le Moustique | Ce livre ait gardé en lui cette bonne odeur des cuisines d’antan ! Ma grand-mére m’en avait fait cadeau a l'occasion de mon mariage. Elle avait jugé bon, je suppose, qu'il était grand temps d'apprendre a faire ces bons petits plats qui gardent un mari. Agréable au toucher, il avait toujours sa couverture cartonnée, jaunie par le temps, et I'illustration sur le devant du livre. Une image bistrée montrant la mére en tablier blanc devant sa cuisiniére. Un fourneau a charbon, énorme, massif et noir, brillant de chrome sur toutes les arrétes. La cuisiniére tenait dans sa mains droite un caquelon et dans l'autre une cuiller de bois, remuant une sauce onctueuse. Sur le fourneau une haute cafetiére fumait et semblait ainsi répandre une bonne odeur de café alors que sur la table un poulet réti attirait le regard de deux enfants apparemment sages et surtout bien coiffés. Autre spectateur intéressé, un petit chien blanc juché sur une chaise, les pattes de devant appuyées sur le premier barreau du dossier, humait un fumet que l'on pouvait imaginer s’échappant de la croite dorée. Comme les enfants, _ il regardait avidement le plat et comme eux, ouvraient tout grand des yeux gourmands. A regarder cette vieille image, tant de souvenirs jaillissent en moi. Je l’ai vu si souvent, ce livre, feuilleté par ma grand-mére. Tant de fois, je l'ai trouvé posé a cété de sa cuisiniére ou sur la table, a portée de main. A vrai dire, je le sens, je le gotite mieux encore qu’il ne me_ rappelle la bonne cuisine de Grand-mére. C’était un temps ou elle nous grondait quelque fois, mais avec tant de douceur que ses désirs devenait raison. -« Tiens-toi droite, garde tes coudes aux corps, mache longtemps tes aliments, essuie ta bouche avant de boire et aprés encore, garde tes mains de chaque cété de ton assiette,... » Je ne pouvais pas oublier ces bonnes maniéres. On me les a fait entendre si souvent que je les ai méme enseignées Volume5 - 10¢ édition a mes propres enfants. L’ais-je répété autant pour qu’eux-mémes a leur tour s’en souviennent ? A partir de l'automne, pendant tout lhiver et jusqu’au printemps, nous vivions dans la cuisine. Le soir tombé, alors que le vent soufflait dans la cheminée, nous avions plaisir a entendre ronfler la grosse cuisiniére. Le bois crépitait a l'intérieur de son gros ventre d’affamée. La soupe frémissait et répandait une bonne odeur de petits légumes du jardin. Nous finissions nos devoirs d’école et alors seulement grand-mére mettait la table. Nous l'aidions pour que cela aille plus vite, car nos estomacs criaient famine Tous les jours, nous avions droit a de nouvelles recettes. Le choix d’un nouveau plat tenait compte du calendrier qui semblait régir l'apparition des denrées du moment. Nous respections ce cahier du temps qui paraissait commander les saisons. -« ll faut savoir tenir un ménage, disait- elle, faire ses comptes, c’est pour cette raison que vous allez a l’école ! ». Cette école nous faisait un peu peur. Il y fallait apprendre tant de chose avant d’aborder les mythes secrets du calendrier. Douce et sévére tout a la fois, ma grand-mére nous apprenait les choses de la vie avec patience. Dans son enseignement, elle savait garder ce léger voile de mystére qui m’a fait, a la fois, adorer et respecter la vie. Elle nous cajolait quand nous étions chagrins et riait de bon coeur en partageant nos jeux. Ses _ petites lunettes rondes au bout du nez, ses cheveux blancs toujours tressés et enroulés autour de la téte, elle sentait bon la lavande dans ses longues jupes et son tablier blanc. C’est toujours en courant que nous revenions de I’école pour embrasser notre grand-mére, lui voir enfiler son grand tablier blanc et ISSN 1496-8304 Octobre 2002 mettre en mouvement ses mains magiques de fée de la cuisine. Chantal Lefebvre Je vous propose, ci-dessous, une riche vanété d’aliments que I’on trouvait dans la cuisine de grand- mere il y a bien longtemps. .... Calendrier Gastronomigug d’ Octobré ... Viande de boucherie excellente ; le boeuf est moelleux, le veau tendre, le mouton succulent, mais le gibier et la basse-cour Jui font du tort. Le gibier nous offre : liévres, lapins faisans, perdrix, grives alouettes, bécasses, bécassines, sarcelles, mauviettes, gibier d’eau. La basse-cour : dindons, poulets, chapons onctueux. La marée nous foumit des poissons de toutes espéces, et la riviére : carpes, brochets, anguilles. Les huitres sont grasses et pleines. Moins de légumes frais : cependant nous avons encore : Choux-fleurs, artichauts, tomates, Salades. Les fruits nous présentent toutes les espéces de raisins, puis noix, noisettes, amandes, poires, pommes et quelques marrons. Tiré du « Nouveau livre de Cuisine » par Blanche Caramel. Editions Gautier-Languereau 48 rue Jacob Paris XI°. 1927 ° penreny — Suite dans le prochain Moustique ! 17