+ 12 - Le Soleil de Colombie, vendredi 9 janvier 1987 Copier c’est voler Le plagiat Par Nicole Beaulieu histoire a fait du bruit. En septembre 1985, un professeur de luniversité Laval est condamné a payer 4000 $ de dommages-inté- réts a une étudiante. Son erreur? Il l’'avait, a tort, accusée de plagiat devant toute la classe. Si le professeur s’était trompé, le plagiat demeure une réalité génante pour les institutions d’enseignement : lTUQUAM démarque une cinquantaine de faussaires chaque année, |’Uni- versité de Montréal encore davantage. L’université Laval, beaucoup moins: seulement 70 cas consignés depuis 1975; tous les tricheurs n’aboutissent pas au Comité de discipline... L’exemple vient de haut. Méme des gens respectables se piquent de contrefagon. Comme George Harrisson ex-Beatle, condamné a payer 500,000 $ pour avoir “emprunté” la musique de “My Sweet Lord”, 4 un groupe plus modeste du début des années 60. Comme I’écrivain frangais, Jac- ques Attali, intellectuel proche de Francois Mitterrand, dont V’Histotre du temps devait moult passages a Jiinger, Burkardt et Le Goff. Comme certains profes- seurs qui pillent, dit-on, leurs étudiants les plus brillants (ou leurs assistants) et ces journalistes (hé oui!) 4 qui ¢a arrive d’écumer la production d’autrui. Comme tous ces pirates de l’informati- que. Comme... Comme tous ceux qui empie- tent sur la propriété intellectuelle d’autrui sans trop de remords. Sans conséquence non_ plus: devant les tribunaux les causes sont rares. Malgré une prise de conscience dans certains milieux, la Lot sur le droit d'auteur demeure mal connue du public. 4 La lettre et l’esprit Qu’est-ce que plagier? C’est, dit le Larousse, “pzller les ouvrages dautrui en donnant pour stennes les parties copiées”. Version Consommation et Corporations Canada: “s’emparer des oeuvres d'une autre personne et les faire passer pour siennes (1)”. Curieusement, la loi ne définit pas le plagiat: “Ce n’est pas un terme juridique, explique le professeur Victor Nabhan, pro- fesseur de droit a l’université Laval et conseiller du ministre de la Justice a Ottawa. La lot réprime toute atteinte aux drotts exclusifs de lauteur, sans distinguer entre les divers modes de contrefacon.” Amoins qu'il en ait fait cession, le créateur jouit donc du “drozt exclusif de produire ou de reprodutre une oeuvre ou une partie importante de celle-ct, sous une forme matérielle quelconque”. Les écrits sont protégés, mais aussi les sculptu- res, peintures, photographies, films, disques, bandes d’enregis- trement, cassettes. Méme les logiciels. Et les idées toutes nues? “Vous ne pouvez pas accuser quelqu’un de vous avotr volé une idée, répond Michel Paquette, avocat a l'emploi du ministére de la Justice. C'est l’expression de l’tdée qui est protégée , la forme.” Peu importe la valeur esthétique... “Toutefots, précise Victor Nab- han, plus le degré de créativité est élevé, plus la protection sera forte.” Le flou La preuve du plagiat n'est pas toujours facile 4 faire. Devant la copie trop bien léchée de l’éléve médiocre, le professeur a beau s'interroger; il n’est pas sar qu’il réussira 4 mettre la main sur VYoriginal... Et puis comment faire la part de ]’imaginaire et de la mémoire? George Harrisson avait plaidé le plagiat inconscient. C’est un argument qui revient souvent. Tout comme celui de la méthode de travail: “Adu secondaire, les éléves copiaient pour leurs ‘recherches’; ils continuent au cégep et a l’université...” m’ont dit plusieurs personnes. Procu- reur adjoint a l’université Laval, Lorne Giroux est sceptique: “Quand un étudiant oublie, dans son abondante bibliographie, Vauteur quil a largement copie, les intentions sont claires.” Reste que la ressemblance tient parfois du hasard. “Jl y a plusieurs années, raconte Michel Paquette, deux écrivains avatent publié un livre d’histoire qui présentait de multiples stmilitu- des. Malgré tout, le tribunal n’a{ pu conclure a la contrefagon: il auratt fallu prouver que la ressemblance était plus que fortuite (2).” Mais jusqu’ow peut aller la parenté entre deux oeuvres? Voila une question embarrassan- te. Et les distinctions forme-fond ne sont pas toujours d’un grand secours. “Ou commence la forme? Ox finit Vidée? interroge M. Nab- han. On peut trés bien Sapproprier Uessence d'une oeuvre tout en restant dans les limites permises. Il y a une sorte de plagiat légitime: toute création se nourrit des oeuvres d’autruz...” Certaines choses d’ailleurs font partie du patrimoine commun. Ainsi, il serait bien inutile de réclamer le “copyright” pour ‘un calembour, un slogan, un titre ou une expression populaire... “Ding et Dong” l’ont appris a leurs dépens: ils n’ont pu obtenir l'aide de la cour pour empécher les publicistes de se servir des expressions “Est effrayante”, “Est bonne! est bonne! (3) ”. Tout emprunt - méme formel - ne tombe pas fatalement sous le coup de la tricherie, comme Villustre bien le cas de Varennes. Chantal de Varennes est cette étudiante qui avait été accusée de plagiat par son professeur. Une partie de son travail en sciences politiques coincidait parfaite-— ment avec un bout de texte de deux copines... Et cette similitu- de “ne peut étre l’effet du hasard” convint le juge. Mazs 13 phrases, dit-il, c’est peu par rapport a Vensemble. Et puis personne n’a cherché a camoufler le fait que les amies ont travaillé ensemble. Peut-on parler de plagiat dans ces conditions? Non”, répond le juge. Cependant, la ligne de démar- cation entre le licite et l'illicite est loin d’étre nette. Malgré bien des débats, les juristes cherchent toujours a définir cette notion plutét vague qu’est |’ “utzlzsation équitable”. Chose certaine, précise Victor Nabhan, la fin ne justifie pas les moyens. Reproduire une oeuvre sans permission pour financer une campagne de charité? C'est illégal. Coller son illustre nom a un beau texte qu’on voulait sortir de l’ombre? Tout autant illégal. ‘Jamais une fin désintéressée ne justifiera Vatteznte aux drozts d‘auteur...” L’affaire Marchand En milieu universitaire, certai- nes pratiques laissent songeurs. Il arrive que des professeurs pigent- dans les travaux de leurs éléves ou de leurs assistants. “C’est vraz, convient Pierre Gagné de l'Union des gradué(e)s inscrits 4 Laval (UGIL). Mazs cela tend a disparaitre G mesure que s‘affirment les droits étudzants.” L’an dernier, l’affaire Marchand a choqué. S’agit-il d’une forme déguisée de plagiat? La question géne. Octobre 1980. Francois Mar- chand, jeune avocat, assiste aux professeurs de la Faculté de droit de l’université Laval qui ont entrepris de repenser leur cours. Il fouille, rassemble des notes, rédige. Souvent seul. Au bout du compte, il aura écrit la moitié de la Théorie générale du domaine privé. Il tient a ce que son apport soit reconnu. L’édition prélimi- naire porte d’ailleurs, en page couverture, la mention “avec la collaboration de Francois Mar- chand”. Mais, surprise!Leproduit fini ne contient qu'une cordiale note de remerciement en page VII. Grief. Riposte des profes- seurs: ils réclament une injonc- tion permanente interdisant a leur assistant de prétendre a la propriété intellectuelle de “leur” oeuvre et des dommages de 10,000 $ chacun... C’est plutét leur assistant qui aura droit aux dommages: 9250 $. Le juge Yvan Gagnon constate que Marchand “s'est fazt jouer un vilain tour”, “qu’on s'est appro- prié ses textes a _ plusieurs reprises”, et “qu'on a puzsé sans géne dans son travail”. acusée de trich Gteve recevtn Paternité reconnue “. Mais, objectent les profes- seurs, Marchand a été payé pour ce travail...” “. Vous ausst, rétorque le juge. Et en quot le fatt d’avoir été rétribué le priverait-il de la propriété de ses textes?” “Les professeurs invoquaient Uarticle 12.3 de la Loi sur le droit d'auteur, qui stzpule que ‘lorsque Vauteur est employé par une autre personne [...] l’employeur est, @ moins de stipulation contratre, le premier titulatre du droit d’auteur’.” “Argument rejeté: A ce compte, dit le juge, cest Vuniversité qui serait titulaire des drotts, de tous les drozts y compres les vdtres.” Le juge reconnait clairement la paternité de l’auteur. “l’auteur, dit-il, c’est celui qui écrit, celut qui fournit leffort personnel, celut qui s’‘exprime.” Que de négres de l’écriture auraient aimé entendre cela! C’est que la loi n’accorde pas que des droits pécuniaires au créateur. Elle lui consent aussi des droits moraux, droit a la paternité et a lintégrité de loeuvre qui, en principe, sont inaliénables. L’article 12.7 men- tionne que, méme aprés avoir cédé ses droits, l’auteur “conserve la faculté de revendiquer la paternité de l’oeuvre, ainsi que le privilége de réprimer toute déformation, mutilation ou autre modification de ladite oeuvre, qui serait préjudiciable a son honneur ou a sa réputation.” “Malheureusement, explique Michel Paquette, le drozt moral n'est a peu pres pas sanctionné au Canada. Il est trés difficile de prouver, par exemple, qu'une modification a un texte est ‘préjudiciable a Vhonneur et a la réputation du créateur’.” Résultat: tous ces assistants et recherchistes qui travaillent dans l’ombre des vedettes, n’ont que peu de protection. “Dans l’état actuel des choses, un recherchiste a qui un réalisateur refuserait le privilége de voir son nom apparaitre au générique de Vémission, serait bien mal outillé M. pour Uexiger”, estime Paquette. Copier, c’est voler? La. presse n’est pas au-dessus de tout soupcon. Ré- dacteur en chef de Québec Scien- ce, Jean-Pierre Rogel a eu la surprise de sa vie le jour ow il a trouvé un article de son magazine étalé dans Chate- laine. Coiffé bien entendu d’un au- tre nom! Un colla- $0,000 euse a ° et Yexpusee Certains dom aQ cane ant LEER pon yusutite i i 4.000 8 U9 PEO de ta deme s inspirent 9 nen om eta TOM fet ’ de eraite d& Cy ae d’une See nce oT Cinna oeuvre, mn partes Ee ee mE d’autres la nt (9 SO 2 a a s ences PET a udiantes = de sem! copient. on Ta ee eames 9 tee Ee quelle AY niversite, CO urs, Parc’ h que de re. deux L’un est coun ain Hg et légal, en cone varennes '*Acues umes Tun tes 8" 9 illait aveC one Laval. é lautre pas. Ha a nt borateur trop pressé avait eu recours au Xérox. Il n’y a pas si longtemps, le Conseil de presse blamait Dimanche-Matin qui avait traduit deux articles du Montreal Star sans méme lui en donner le crédit. Autre pratique a la limite du plagiat: le démarquage. On change quelques phrases. du texte, on permute deux ou trois paragraphes, et on se l’approprie! “Au plan de Véthique, les standards commencent a se ramollir, déplore Jean-Pierre Rogel. Souvent les gens nous appellent pour nous demander la permission de reprodutre quel- ques extratts d’un article; on retrouve larticle au complet, amputé d'un ou deux paragra- phes... Sans compensation finan- ciére.” Parfois, on accepte de payer. Mais on disparait dans la brume. Récemment, une filiale d'un hebdomadaire de faits divers demande la permission d’utiliser un article sur le SIDA pour en faire une brochure. Permission accordée au coat de 400 $. La brochure parait, le chéque ne rentre pas. Le groupe? Dissous, introuvable. Parfois, c'est la radio et la télévision - méme d’Etat - qui reprennent de grands bouts de texte. Sans compensation aucu- Ness Auteure d’une étude sur la protection des articles de journaux et de revues, l’avocate Héléne Richard note que les accrocs 4 la loi sont monnaie courante: “Pourtant ces contraventions naboutissent jamais a une - poursuite, ou du moins trés rarement”, constate 1l’avocate. Pourquoi? L’absence de mécanis- me de perception dans le domaine de la presse pourrait bien expliquer la tolérance qui prévaut. Bien sir, il ne s’agit trés souvent que de _ reproduction — sans permission. Un bien petit manquement... “Du point de vue moral, le plagiat parait plus repréhensible que la reproduction pure et simple, convient Victor Nabhan. On s‘approche de la fausse représentation, le public est trompé... Mats si je vais dans votre jardin, que jy coupe un superbe bouquet de fleurs sans permission, aurai-je agi correcte- ment parce que jaurat pris la petne d’écrire sur le pot: ces fleurs ont été coupées chez N.B. Suite page 5 ~ De plus. le juge ordon : ine Bux deux profe de: droit de lunwersite ayes tents phe atin eens ‘uniaires” dommages teurs, dean nt rain Mie J° Brofencet. es eile