SUR LES TRACES DE TYRELL: EN CANOT ET A LA VOILE DANS LA TOUNDRA CANADIENNE Voici un extrait du récit de Tony Sloan (de |’Office de touris- me du Canada), qui raconte les péripéties de son expédition dans les étendues sauvages des Territoires du Nord-Ouest, au nord-ouest de la Baie d’Hudson. Pour les sédentaires en mal d’aventure, il n’y a rien de tel pour étre servi a souhait! JOUR 1: LAC FERGUSON Notre expédition, appelée "Sur les traces de Tyrell’ avait un double but: rendre hommage 4 I'explorateur- géologue Joseph Burr Tyrell qui, en 1885, a été le pre- mier a franchir en carot la ‘distance séparant. le lac Fer- guson de la céte de la Baie d’Hudson, (soit 320 km (200 milles) en descendant la rivigre Ferguson ), et explo- rer cette méme riviére pour déterminer dans — quelle mesure il serait possible d’organiser un circuit en ca- not pour les aventuriers dési- reux de découvrir le Grand Nord canadien. Nous étions donc quatre a mettre les canots a l'eau un beau matin, sur les rives du lac Ferguscn: le guide, Mike Kusugak, un autre Inuk, Harry Towtongie, Doug Harp et moi-méme. L’eau était calme et limpide, et il faisait bon de longer la rive est du lac, qui est situé 4 256 km (160 milles) de Rankin Inlet. Curieuse- ment, le lac semblait se fondre avec la toundra dénudée, et I'Homme Blanc, a peine sorti des foréts _méridionales, se sentait trans- porté dans un monde ir- réel. Tout aussi étrangement, mes compagnons ne sem- blaient pas en étre émus Outre mesure, comme si j‘étais le seul a percevoir cette sensation. Mes premiers instants de cano- tage dans les steppes arides du Canada promettaient beau- coup. Aprés avoir parcouru cing milles (8km)| nous avons accosté et exploré une cabane de trappeur abandonnée. Pe- tite, sombre et presque dé- pourvue de fenétres, elle sem- blait terriblement étriquée et sombre, mais nous avons dé- couvert que c’était pour rete- nir la chaleur puisqu’il ne servait pas a grand-chose d’a- voir des fenétres, la cabane n’étant occupée que pen- dans les six. mois de nuit polaire. Suivant ensuite le courant ‘ jmpétueux sur une distance de 200 verges (180 m), nous avons rencontré deux pécheurs de Toronto qui occupaient un canot a moteur de 24 pieds (7, 2m). Leur moteur ayant calé, ils avaient été entrafnés dans les rapides. Ils se mirent tout de suite a parler de la truite de 10 a 15 livres (4, 5 4 6, 7 kg) qu'on prend a chaque lancer. Les deux Inuit, Mike et Harry, ramenérent le grand canot en amont des rapides pour permettre aux pécheurs de retourner au camp de péche Siniktarvik, sur le lac Ferguson. Plus loin, les petits lacs et les élargissements de la ri- _viére, entrecoupés de passa- ges 6troits a4 forts courants, nous tenaient en_ haleine. D’'innombrables ombres bon- dissaient pour happer les mouches, décrivant ainsi une multitude de cercles a la ma- niére de la pluie, a la surface de l'eau; I’un deux fit méme une pirouette dans les airs. Aprés avoir franchi une petite’ chute, nous®*-nous sommes installés sur une petite fle, chassant, malgré leurs protes- tations bruyantes, un trou- peau d’oies sauvages. Le Premier repas constitué du traditionnel bifteck a été Préparé sur un feu de camp allumé a l'aide de branches d‘osier, Mike s'‘obstinaxt a perpétuer les traditions de son peuple et a n’utiliser les ré- chauds qu’en dernier recours. Ainsi, au cours d’un long portage, pendant que nous marchions vent dans le dos (les mouches tournoyaient avec le vent), il nous a fallu coiffer 4 deux reprises des filets pour nous protéger les narines et les yeux. Pour combattre la marée de mous- tiques qui s’‘abattaient sur nous, nous nous étions bien vétus et nous nous étions enduit le visage et les mains de produit insecticide; il y avait un probléme: celui des mouches qui s‘insinuaient par- fois dans ma saharienne et ma chemise. JOUR 2: LAC KAMINURIAK Le lendemain, vers 14 h. nous arrivions en vue des rapides, longs d'un mille (1,6 km), qui se précipi- tent dans le lac Kaminuriak. Pour la premiére fois, nous étions 4 la merci des cou- rants, au milieu d'un champ d’écueils et face a un banc de rochers qu'il fallait con- teurner. Aprés avoir trans- parté par terre tout le maté- riel photographique et les fusils, nous avons fait la premiére bordée; puis nous avons débarqué juste avant le banc. Plus tard, nous a- vons remis le canot a l'eau Cet espace est acheté par le Secrétariat d’Etat. Les textes quis’y trouvent sont publiés dans les 14 journaux mem- bres de |l’Association de la presse francophone hors Québec, APFHQ. pour poursuivre notre route. La seule difficulté a été de franchir le dépét d’alluvions émergeant a l’embouchure du lac. Doug Harp et moi portions des espadrilles ordinaires, tan- dis que Mike et Harry chaus- saient, selon leur habitude, des cuissardes. Les rives en pente douce et parsemées de galets de la Keewatin, obli- gent a patauger sans cesse dans l’eau et, a cause de la froideur de l'eau, il n'est pas conseillé de se mouiller les pieds.. Bien qu’elles soient en général peu utilisées par les canotiers dans les Terri- toires du Nord-Ouest, les cuissardes sont confortables mais présentent un risque. A la tombée de la nuit, nous avons transporté les-sacs de couchage et nous avons campé sur les bords du lac Kaminuriak. C'est un grand lac, la partie principale s‘é- tendant sur une distance de plus de 80 milles (128 km), du. nord. au sud. Nous nous étions installés sur le bras ouest a environ 20 milles (32 km) et & mi-chemin de la rive ouest du lac principal. Méme amarrés, les canots de 17 pieds (5,1 m) devaient lutter contre les forts cou- rants. créés par les vents im- prévisibles et dangereux de la toundra. Le lendemain matin, nous avions a peine parcouru deux milles (3,2 km) que les vents contraires nous obligérent a mettre pied-a-terre. Le vent rendant l’eau agitée et ame- nant les mouches a voler bas, nous avons passé la journée a explorer et 4 nous promener dans la steppe. LE LAC KAMINURIAK EST VENTEUX EN SAPRISTI ! Le quatriéme jour de notre expédition, nous nous sommes réveillés & quatre heures du matin; le vent soufflait 1é- gérement du nord-ouest... un vent arriére, Une heure plus tard, Mike Kusugak, Harry Towtongie, Doug Harp et’ moi-méme, avions levé I’ancre. Nous avons hissé la voile (un poncho posé sur des pagaies formant un V et fixées 4 la proue) et nous avons parcouru six milles (9, 6 km). Comme le lac bifurquait vers le nord- est, nous nous sommes re- trouvés sur le rivage. Pendant deux heures, il nous a fallu transporter le maté- riel par terre et pousser les canots dans les vagues pour doubler le cap sur une dis- tance d’environ un mille (1,6 km) vers I’est. Nous ‘avons. ensuite franchi huit milles (12,8 km), puis le lac ayant encore bifur- qué droit vers l’est, I‘embar- cation se trouva perpendicu- laire aux vagues, ce qui nous obligea une fois de plus a gagner le rivage. Vers 22 h. le soleil luisait encore a l’horizon et les mouches commencaient a nous piquer. Ce qui signi- fiait que le vent tombait. Nous avons levé l’ancre en direction de la pointe. Harry et Doug se sont ren- dus a destination, mais Mike et moi, retenus par le vent qui avait repris, avons été forcés d’abandonner le canot 4 un quart de mille (0,4 km) du camp. C'est la. que j‘ai vu que c’était toute une expérience que d’étre douillettement en- veloppé dans un sac de couchage alors que la tente est secouée par le vent de la toundra qui hurle de plus en plus fort. A deux heures, les piquets de métal se sont brisés et la tente s'est effondrée. Ce fut le branle-bas général jusqu’a ce qu'on. réussisse a trouver d‘autres piquets et a les greffer aux mats brisés. Comme je m’assoupissais, j'entendis quelqu‘un mau- gréer: “‘Le Lac Kaminuriak est venteux en sapristi’’. Nous avons fait la grasse matinée et, l’aprés-midi, nous ‘avons exploré les alentours. L’intérieur des terres est garni de saules nains (environ 18” (0,45 m) de haut), qui recou- vrent un lit molletonné de lichens de caribous. On se proméne sur cette surface molle et spongieuse comme sur un tapis moelleux de six pouces (0,5 m) d’épaisseur. En fin de journée nous nous sommes remis en route. Aprés avoir avironné une heure sous le soleil de minuit, nous avons abordé dans une Te ol, 4 notre grande surprise, se trouvait une cabane. C’était une petite construc- tion d’une pidce, montée sur des patins de trafheau. Des rongeurs avaient déchiqueté les matelas des couchettes. La bicoque semblait aban- donnée depuis de nombreuses ~ années, et nous nous deman- dions ce que pouvaient bien faire ses occupants (peut- 6tre chasser-ou pécher) dans un tel endroit, |’un des plus reculés des régions septen- trionales. é A lembouchure d'une grande baie, trois milles (4,8 km) de courants rapides nous atten- daient. Au-deld des vagues agitées se profilait une pointe rocheuse que l'on pouvait a peine distinguer sous |'étrange clarté de l’Arctique. Les vents violents et traftres avaient fait place a une douce brise, mais pour combien de temps? Nous avironnione 4e plus belle, sans dire . mot. Le Soleil de Colombie, Vendredi 26 Aoait 1977 7 ll était passé minuit et les premiers rayons de soleil percaient les nuages bas et sombres, irradiant le ciel de leurs griffes lumineuses. La rive semblait trés éloignée et les vagues commengaient a déferler. Aprés avoir avi- ronné en silence, nous avons accosté par le travers de la pointe, amas informe d’allu- vions déposées par les glaces au printemps. Je fus saisi d'un léger frisson et songeai que je venais de connaltre heure la plus longue et la plus pénible de toutes celles que j'avais passées a bord d‘un canot, dans les lacs et les riviéres les plus éloignés. Nous nous sommes remis a parler, essayant d’évaluer la distance qui nous séparait de 'embouchure de la riviére. Une heure plus tard, le canot avancait tout seul... eh oui! nous nous trouvions en plein coeur des rapides et 4a I’ex- trémité du lac Kaminuriak. Nous avons accosté pour cam- per... Doug et moi étant transis de froid, car nous avions les pieds mouillés, nous nous sommes empressés de monter la tente. Nous venions tout-juste de déplier les sacs de couchage lorsque Mike nous apporta une bonne tasse de thé fumant. En quelques minutes nos frissons s‘étaient évanouis, emportant avec eux les souvenirs des vents redoutables -du lac Kaminuriak. Il restait encore a franchir cent milles (160 km) de lacs, de rividres, de rapides et de canyons, mais pour moi, |l’aventure s'‘arrétait 1a. Le lendemain, je devais re- tourner & Rankin Inlet dans lVavion qui amenait la femme de Mike, Sandy, pour me remplacer. Le lendemain matin , aprés de brefs adieux, l’avion décolla et je me penchai pour saluer une derniére fois mes ‘cama- rades. Mike Kusugak, Doug Harp, Harry Towtongie et Sandy .Kusugak retournaient péniblement au camp. — J’eus et vulnérables dans cette immense contrée déserte. Je leur souhaitai bonne chance. EPILOGUE “Fantastique”, répétait Mike Kusugak, quelque quatre mois plus tard, 4 Ottawa. “La derniére étape du voyage dura sept jours. A partir du lac Kaminuriak, ce fut une suite de rapides, de lacs, de portages et de canyons. Nous vivions presque unique- ment a bord des canots, nous nourrissant de poisson et d’algues et puisant l'eau des rapides; c’était fantas- tique”. Une fois, ils apercurent une forme blanche ressemblant a une tente. Lorsqu’ils accos- térent, ils découvrirent un ca- not qui gisait 4 l’envers, re- couvert de terre et de pierres. En regardant par une fente, - ils découvrirent un squelette humain étendu sur fe sol. lls tombérent par la suite sur une mine abandonnée ou ils trouvérent du bois et un 4 Se ae morceau de toile pour con- fectionner une voile. “Nous avons découvert qu'il était plus facile de nous o- rienter en suivant les inuk- shooks qu’en_ utilisant nos cartes. Les inukshooks sont des points de repére extraor- dinaires”’. L‘expédition prenait fin au camp de péche situé a l’em- bouchure de la riviére Fer- guson. . Mike est convaincu que le circuit de Siniktarvik com- mencera a I’endroit méme oi je les ai laissés, de facon @ éviter le lac Kaminuriak, qui est trop grand et trop dange- reux pour s’y aventurer en pe- tit canot. Pour la fourniture d’équipe- ment et plus de renseigne- ments sur le circuit, priére de s‘adresser 4 M. M.A. Kusu- gak, Siniktarvik Limited, Ran- kin Inlet, Territoires du Nord- Quest, Canada, XOC OGO. Pour obtenir des renseigne- ments généraux sur les at- traits touristiques du Canada, priére de s‘adresser a |’Office de tourisme du Canada, Ottawa, Canada, K1A OH6.