i | . 16 - VENDREDI 11 JUILLET 1986 Une nuit sur le site LE SOLEIL DE COLOMBIE Expo n’a pas sommeil Expo ne connait pas le sommeil. Chaque nuit, elle devient égocentrique. Se lave, s'alimente, se pare, se repeint, se prépare. Chaque nuit, Expo se refait une beauté, devient une véritable usine qui emploie 3000 personnes. Pour les lecteurs du Soleil, je me suis laissé enfermer toute une nuit sur le site. Et j'ai partagé pour vous les raconter les nuits sans sommeil d'Expo. Par Charies-Henri Buffet 23h00: les derniers éclats du feu d’artifice quotidiens se sont tus. Expo se vide. Des flots de visiteurs harassés quittent le site en s'imaginant qu’Expo va s’endor- mir d'un profond sommeil. Mais Expo ne dort pas. Expo s'accorde tout juste deux heures pour s’assoupir, recroquevillée sur son nombril, la Place des Nations. Jusqu’a une heure du matin, les mnoctambules_ se retrouvent dans les cabarets disseminés autour de la Place. Pourtant, l’ensemble du site reste ouvert (1) et les restaurants et les magasins ne ferment leurs portes ~ qu’a minuit. Mais pendant ces deux heures les plus creuses, de 28h00 a 1h00, c’est le désert. Dans le monorail qui continue sa ronde silencieuse, quelques touristes assoupis regagnent leur porte de sortie. Assoupie aussi la voix de l’hétesse qui égréne son chapelet de recommandations . habituelles. Expo défile sous mes yeux, toujours scintillante de lumiére (2), comme parée pour accueillir des visiteurs qui ne viennent pas. Et soudain, je suis seul. Seul dans le monorail a regarder les stations qui se succédent, éclairs de lumiére crue et de couleurs vives. Il est minuit et demie. Expo ne va pas tarder a sortir de sa passagére léthargie. A lh00, les employés de la sécurité donnent le signal du réveil. Dans un grésillement de talkie-walkies, ils convergent vers quatre points stratégiques. But de la manoeuvre: “ratisser” le site pour pousser les derniers visiteurs vers les trois sorties principales (3). Dans l’€quipe qui quadrille le secteur Pont Cambie - Porte du Stade, l’ambiance est bon enfant. Il faut dire que le systéme est bien rédé. Les rares incidents se produisent généralement aux abords de la Place des Nations, quand les fétards éméchés sortent des cabarets. Tentatives de vol de matériel, chutes malencontreuses et bagarres sont alors le lot quotidien des équipes de sécurité. Endormi dans des balles de mousse Dans les allées, les gardes avancent de front en fouillant les moindres recoins, des toilettes au train d’atterrissage du Boeing de la Place des Aéronefs, ow un petit plaisantin pourrait bien se cacher. Mais aujourd’hui est un jour calme. Dans tous le secteur, il n’y a:plus ame qui vive. Pas méme un visiteur €puisé qui, comme c’est arrivé une fois, se serait endormi dans les balles de mousse de l’aire de jeux pour enfants! Vers 1h15, les derniers retarda- taires ont quitté le site. Expo s'‘ébroue. Un a un, les véhicules les plus disparates ont envahi les allées désertes, royaume des piétons pendant le jour. Les voiturettes électriques des emplo- - yés ménent la danse, avec leurs girophares bleus qui guident des véhicules aux formes bizarres: ici deux cétés de la - 1h00: Ronde de sécurité prés du une grue, 1a une _plate- forme roulante qui transporte une estrade, des tracteurs qui. tirent ‘de grosses citernes, des camionnettes, des camions de livraison de toutes les couleurs, des voitures de toutes marques. Aux goulets d’étranglement, des Place des Toute la nuit, Expo prend sa douche... Nations, c’est presque l’em- bouteillage! Car déja le site fourmille. L’armée des 3000 employés qui y travaillent chaque nuit s'est mise en branle. Partout, des hommes en combinaison bleue arrosent la chaussée, arrosent les arbres, arrosent les massifs de fleurs. Sur “Highway 86”, une équipe de peintres est a l’oeuvre pour réparer les accrocs de la journée. Place des Aéronefs, des ouvriers sont montés dans les gréements pour vérifier les arrimages. Ailleurs, on repasse une couche de ces couleurs vives qui sont la signature d’Expo. Au pavillon de ]’Ontario, un jeune homme 4a la mine triste, baladeur sur les oreilles et épuisette ala main. Chaque nuit, il passe sept heures a retirer du bassin qui entoure le batiment les “souvenirs” que les touristes y ont laissé: des dizaines de mégots de cigarettes et toutes sortes d’épaves flottantes. Devant le Centre Expo, un grand camion rouge a l’enseigne de “Coke” passe’ en trombe devant une petite benne a ordures en _ plastique _ bleu, poussée par un employé. Chaque nuit, 80 tonnes de déchets quittent le site et sont broyés par 53 compacteurs. : Devant |“International Cafete- ria’, face au pavillon de l’URSS, une quinzaine de véhicules sont stationnés. Entre deux heures et huit heures du matin, les employés peuvent s’y faire servir boissons et repas. “C'est entre trots et quatre heures du matin que la salle est la plus animée, explique la serveuse qui travaille de nuit une fois par semaine. Nous accueillons alors jusqua une cinquantaine de personnes, du balayeur au chef de département’. Une jeune fille qui sort du bain 4h00: Les premiéres lueurs de laube apparaissent et on arrose toujours. “Chaque nuit, le site est entiérement nettoyé, explique Bjarne Christensen, qui supersive ce gigantesque ménage nocturne. On évacue les déchets, on récure toutes les toilettes, tout le sete est décapé au jet d’eau et on fait le ménage dans les bdtiments publics”. De plus, les pavillons se~ chargent de leur propre net- toyage: une vraie fourmilliére! 4h30: Sous la station de monorail du Pont Cambie, des pompiers casqués et bottés descendent en rappel: c’est un des exercices d’entrainement qu’ils effectuent chaque nuit sur le site. 5h30: un rayon de soleil frappe le toit de la Place des Nations. Alors que Vancouver s’éveille lentement dans le petit matin brumeux, Expo s’affaire encore et toujours. Derniéres couches de peinture par-ci, derniers coups de jet d’eau par-la: toutes les allées sont maintenant trempées comme aprés une averse. Je vais me coucher en laissant une Expo aux allures de jeune fille qui sort du bain, toute contente de sa nuit sans sommeil. Préte a accueillir sa centaine de milliers d’admirateurs quo- tidiens. [1] - Tous les visiteurs présents sur le site peuvent rester jusqua une heure du matin. Mais a partir de 22h00, il n'est plus possible de passer les portes, fermées au public. [2] - Sur le site, toutes les lumiéres restent allumées jus- qu au lever du jour. [3] - La Porte Est, la Porte du Stade et la Porte Ouest. |