VOLUME 8 La villa des lilas Souvent, je me suis arrétée devant cette petite demeure a la facade de bois et aux couleurs passées. Elle est absolument adorable ! Elle me rappelle une ancienne maison de poupée trouvée au grenier de ma grand-mére. La demeure doit étre assez ancienne. Elle remonte sans aucun doute a une respectueuse fin du dix-neuvieme siécle. Ce n’est pas trés vieux en fait, neanmoins commence a compter pour un pays aussi récent que celui-ci ot le batiment le plus ancien date a peine de 1850. Sur une petite plaque de céramique fleurie, le chiffre 165 apparait en mauve, finement tracé d’une écriture a la ronde. C’est un numéro vers le haut du « Memorial Crescent », une petite rue ombragée de Victo- ria qui, comme son nom I'indique fort bien, forme une limite en forme de croissant a l'ouest de Ross Bay et de son cimetiére. Elle fait face, d'ailleurs, a la nécropole dont on voit les arbres et les monuments ma- jestueux dépasser d’une petite haie taillée dans le houx. J’ai eu, naguére, une vague tante qui, pour finir ses jours, avait acheté en Europe une maison haute dont la baie s’ouvrait tout grand sur le cimetiére du village. Celui-ci, déja plus moderne, n’avait, lui, aucun charme. L’industrie de la mort en avait fait un emplacement rationnel, pratique et, sinon rentable, du moins relativement légér sur le budget de la commune. La résidence, elle aussi était plutét laide. Isolé au mi- lieu de la campagne nue, c’était un batiment rectangulaire gris, a deux étages et aux fenétres rares. Un minuscule gratte-ciel, sinistre et pré- tentieux, faisant penser a un crématoire et, ainsi, pas trop dépare dans cet ensemble funébre. Il est possible qu’alors, petite fille, j'aie épousé une opinion a peine discrétement exprimée par mon pére. Peu enthousiaste quant aux rencontres familiales, il avait, dés la pre- miére visite, manifesté une aversion pour cet endroit lugubre. Au re- tour de chacun de ces voyages, tous s’étant montrés régulierement ennuyeux, ma mére m’avait confortée dans cette impression de déso- lation : elle s'imaginait mal a la place de ma tante, se lever chaque matin pour contempler, sur cette vaste surface sans arbres, l'empla- cement possible ou elle irait demeurer bient6t pour une éternité. Non pas qu’elle ait eu peur de la mort plus que tout autre, toutefois, pour elle, aller s’enterrer en un lieu si affreux consistait a accepter la fin avec beaucoup trop de complaisance. Je lui donnais entiérement rai- son.