oe FRANCOISE Frangoise, arpenteure-géométre, passionnée d’écologie et de plein-air; son désir de poursuivre ses études dans le domaine des sciences lui a fait choisir cette orientation peu traditionnelle. ee Le libre-échange des femmes ‘accord de libre-échange, entré en vi- Lae le ter janvier 1989, a soulevé les passions et fait couler beaucoup d’encre. Tout ou presque semble avoir été dit et écrit ace sujet. Aux inquiétudes des uns répon- dait l’optimisme des autres. Plusieurs groupes de femmes furent au nombre de ceux qui se sentirent concernés par l'im- pact qu’aurait l'accord de libre-échange. Bien sar, il est trop tot encore pour évaluer les conséquences réelles que cet accord entrainera pour les femmes. Aussi, il nous semble peut-étre opportun de tenter de faire un bilan de certaines des idées émises a cet égard. Le recensement de quelques études publiées sur la question des femmes et du libre-6change permet de dégager deux grands courants de pensée. La premiére tendance est essentielle- ment positive. Elle met l’accent sur les améliorations que les femmes pourront ti- rer de l'application de cet accord de libre- échange. Selon Katie Macmillan de l'Institut C.D. (youe. (1), parexemple, l'accord de libre- change offre aux femmes-consomma- trices une possibilité de réaliser des gains monétaires appréciables. L’abolition des barriéres tarifaires engendrera une plus grande circulation des biens entre le Cana- da et les Etats-Unis et permettra donc d’é- couler les produits a un colt relativement plus bas que celui en vigueur jusqu’ici. Cette diminution des prix bénéficiera en premier lieu aux femmes, femmes qui sont souvent chefs de ménage et en situation de pauvreté. Eneffet, selon Statistiques Canada, 2.8 millions de femmes et d’enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté; soit 71% des pauvres) Dés lors, nous dit Katie Macmil- lan, il est possible de voirles avantages que ces femmes pourront retirer du libre- échange. La part de leur budget qu’elles consacrent a la satisfaction des besoins primaires pourra ainsi étre diminuée et af- fectée a d’autres priorités. Mais les femmes-consommatrices ne seront pas les seules a tirer avantage du libre-6change. Les femmes-travailleuses pourront, elles aussi, prétendre a l’amélio- ration de leur situation. C’est en tout cas ce qu’affirment certaines recherches réali- sées par des économistes. C’est dans le secteur manufacturier et dans le secteur des services que|'on trouve la plus forte concentration de main-d’oeu- vre féminine. Selon Statistiques Canada, les femmes constituent, en effet, 25 % de la force de travail dans le secteur manufac- turier et 84 % dans le secteur des services. Il est indéniable que l'accord de libre- échange affectera ces deux secteurs vitaux de l'économie canadienne. En aottt 1986, deux économistes, Da- vid Cox et Richard Harris publiaient dans la Revue canadienne d’économie les conclu- sions de leur recherche portant sur l'impact qu’aurait le libre-@change sur l'économie canadienne (2). Selon ces deux cher- cheurs, les industries du textile, du tricot, du vétement ainsi que l'industrie d’équipe- ment du transport connaitraient un déve- loppement sans précédent a la faveur du nouvel accord canado-américain. Ce se- fait, en effet, dans ces industries que la création d’emplois serait la plus importante. Cox et Harris prévoyaient ainsi une aug- mentation de 156 % dans le secteur du textile, 260 % dans l'industrie du vétement et 48 % dans l'industrie du tricot. Pour le Conseil économique du Cana- da, l’expansion de l'économie canadienne favorisée par l'entente canado-américaine conduira a la création de nombreux em- C.D. Howe (4). Cette étude tend a démon- trer que l'accord de libre-6change adoucira en quelque sorte les ajustements inévita- bles auxquels aura a faire face l'économie canadienne en permettant la création d’emplois plus rémunérateurs dans les secteurs économiques en développement. La disparition des emplois a faible produc- tivité et mal rémunérés permettra ala main- d'oeuvre et notamment aux femmes de se recycler et d'occuper les emplois de l'ave- nir. Ce point de vue optimiste n’est pourtant pas partagé par toutle monde. Des études SESS BE a, Pour certains, le libre-échange contribuera a ameéliorer la situation des femmes alors que pour d’autres, cette situation ira en se détériorant. plois au Canada au cours des prochaines années. 72% de ces nouveaux emplois concerneront essentiellement le secteur des services. Dés lors, la main-d’oeuvre féminine, du fait de sa forte représentation dans ce secteur, ne pourra que tirer des avantages d'une telle situation. Katie Mac- millan (3) souscrit également a cette idée. Elle ajoute, en outre, que les emplois ac- tuellement occupés par les femmes ne se- ront pas menacés par le libre-6change. Selon elle, la majorité des femmes em- ployées dans les industries de service se retrouvent surtout dans des domaines tels que |’éducation, la santé, les services so- ciaux, le transport et l'administration publi- que. Parce que ces domaines sont exclus de l'accord canado-américain et que les institutions gouvernementales cana- diennes ont donc la possibilité de continuer d'y exercer un contréle, la majorité des travailleuses se trouve dans une position plus favorable que leur contrepartie mas- culine. Encequiconcernele secteur manufac- turier, le libre-6change n’entrainera pas des bouleversements profonds. Toujours selon|’étude de Katie Macmillan, certaines industries manufacturiéres comme I'indus- trie textile se sont modernisées ces der- niéres années en prévision du libre-échange afin d’étre plus compétitives vis-a-vis de leur concurrents américains. En outre, les barriéres tarifaires qui conti- nuent de protéger I'industrie textile cana- dienne dela concurrence de pays-tiers ne peuvent qu’augmenter la compétitivité de nos industries textiles sur le marché nord- américain. Certes, Katie Macmillan recon- nait que certains ajustements seront nécessaires. Selon elle, le jeu en vaut la chandelle car les emplois les moins rému- nérateurs occupés le plus souvent par des femmes disparaitront et seront remplacés par de nouveaux emplois plus profitables pour la main d'oeuvre féminine. Cette conclusion rejoint d'ailleurs celle d'une autre étude menée par Ronald J. Wonnacott et Roderick Hill pour I'Institut contradictoires ont en effet souligné la si- tuation précaire dans laquelle se trouvent les femmes dans le contexte du libre- échange. Dans une étude préparée en 1987 pour le compte du Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, Ann Porter et Barbara Cameron ont examiné les consé- quences éventuelles du libre-échange sur les femmes dans le secteur manufacturier (5). Elles constataient que les femmes sont surtout concentrées dans des indus- tries manufacturiéres qui sont soumises & la concurrence de certains pays du Tiers- Monde. Cette vulnérabilité de la main- d’oeuvre féminine dans un secteur aussi sensible de notre économie serait accrue parle libre-échange. Le protectionnisme a ~ permis jusqu’icila survie de ce secteur. La hommes et les femmes. Les industries du textile et du vétement oll les femmes repré- sentent respectivement 40 et 80 % de la main-d'oeuvre devront faire face a leurs homologues américaines qui utilisent une technologie plus avancée que celle en vi- gueur au Canada et dont les colts de production sont moins élevés. Dans ces conditions, certaines compagnies cana- diennes seront appelées a déménager aux Etats-Unis pour survivre, d'autres devront fermer leurs portes, d'autres encore de- vront procéder a la rationalisation de leurs opérations. Un avenir identique attend la main- d’oeuvre dans l'industrie de l'alimentation qui emploie 31 % de femmes ainsi que dans l'industrie de la chaussure oU l'on retrouve 65 % de travailleuses. Dans ce sombre tableau, seules, certaines indus- tries de |'électricité et de !’électronique pourront tirer leur épingle du jeu en raison de leur capacité concurrentielle. Malheu- reusement pour les femmes qui constituent 38 % de la main- d'oeuvre dans ce secteur, les emplois les mieux rémunérés sont oc- cupés par les hommes. Ce sont donc ces derniers qui bénéficieront de l'expansion éventuelle de ces industries. Les femmes dans fe secteur manufac- turier seront donc les grandes perdantes dans un contexte de libre-échange. Leur situation sera d’autant plus critique, qu'un grand nombre d’entre elles sont agées, sous-éduquées, souvent immigrantes sans grande connaissance du francais ou de l'anglais. Leur chance de se recycler sera donc moins grande. Pour Marjorie Griffin Cohen, les femmes qui perdront leur emploi auront plus de difficultés a trouver un autre travail. Par ailleurs, tout laisse croire que les emplois qui leur seront offerts seront moins rémunérateurs que ceux qu’elles auront quittés. (a i I Hee i ence Sime Laas aa Paradoxalement, le plus grand danger qui menace la main-d’oeuvre canadienne réside au Mexique. libéralisation des échanges ne peut qu’ac- croitre le chmage chez les femmes et pire encore, accentuer les disparités économi- ques entre les hommes et les femmes. Dans un ouvrage publié également en 1987 et intitulé Free Trade and the Future of Women’s Work: Manufacturing and Ser- vices Industries (6), Marjorie Griffin Cohen tentait de cerner la question des femmes et du libre-échange d'une fagon plus globale en examinant, non seulement les consé- quences que l'accord canado-américain pourrait avoir pour les femmes dans le secteur manufacturier mais aussi en envi- sageant les effets que cela entrainerait dans le secteur des services. Marjorie Grif- fin Cohen soutient, elle aussi, que dans le secteur manufacturier, le libre-échange contribueraa accroitre le chmage chezles femmes, maintiendra ces derniéres dans un ghetto socio-économique et approfondi- ra les différences salariales entre les Cette conclusion pessimiste se base sur une étude réalisée en Ontario sur les conséquences de la récession de 1980- 1982. Cette étude démontre que les femmes qui gagnaient 72 % du salaire des hommes avant d’étre licenciées, ne ga- gnaient plus que 63 % de ce méme salaire lorsqu’elles retrouvaient un emploi. Dans le secteur des services, Marjorie Griffin Cohen constate que certains em- plois ne seront pas affectés par le libre- échange comme par exemple, dans l'éducation, la santé ou le bien-étre. Par contre, dans d’autres domaines ou les améliorations technologiques continuelles permettent la transmission des informa- tions dans divers points de la planéte, la situation est plus aléatoire. Ainsi, dans le secteur du traitement des données, alors qu’en 1977, environ 12 % des compagnies canadiennes faisaienttraiter leurs données aux Etats-Unis, ce chiffre est passé aujour- d'hui a plus de 25 %. Les entreprises de traitement de données qui utilisent un grand nombre de femmes sont souvent propriété américaine. Des lors, le libre- échange risque-t-ilnon seulement d’accen- tuer la tendance a faire traiter les données aux Etats-Unis, mais encore peut-il inciter les compagnies spécialisées dans ce do- maine a quitter le Canada. Dans un cas comme dans |’autre, les femmes seraient encore les grandes perdantes. Comme il est & constater, les opinions divergent profondement. Pour certains, le libre-6change contribuera a améliorer la situation des femmes alors que pour d’au- tres, cette situation ira en se détériorant. En dépit de cette divergence d’opinions, les points suivants méritent d’étre retenus. L’une des idées véhiculée avant l’en- trée en vigueur de l'accord de libre- échange mettait de l’avant le fait que les entreprises canadiennes voients'ouvrir de- vant elles un marché considérable d’envi- ron 250 millions d'habitants et que grace aux économies d’échelle, elles ne pour- raient qu’en profiter. Or, il convient de mentionner que, pour atteindre ces objec- tifs, les entreprises canadiennes doivent étre de plus en plus compétitives. Des lors, des restructurations, des rationalisations s'imposent. Elles s'imposent parce quill faut, soit augmenter la productivité, soit baisser les coiits de production. Ainsi, par- mi les mesures qui peuvent étre prises, figurent les coupures d’emplois. Or, sur le marché du travail, les femmes demeurent les plus vulnérables pour toutes sortes de raisons déja évoquées. Elles seront donc les plus susceptibles de perdre leur emploi. Un autre type.de mesure a considérer est la relocalisation des entreprises. Ce processus semble d’ailleurs s’étre enclen- ché bien avant I'entrée en vigueur du tibre- échange. Par exemple, en Ontario, la Fleck Manufacturing qui emploie un grand nombre de femmes et qui fut, il y a dix ans, la scéne d'une gréve trés dure alors que la main-d’oeuvre féminine tentait de se syn- dicaliser, a annoncé en novembre 1988, le transfert de ses opérations a Nogales au Mexique, tout prés de la frontieére améri- caine. Depuis lors, plusieurs autres entre- prises ontariennes ont suivi son exemple. Cette situation ne doit pas étre prise a la légére. Paradoxalement, le plus grand danger qui menace la main-d'oeuvre canadienne réside au Mexique. En effet, depuis quel- que temps déja, le phénoméne des "maqui- ladoras” prend de plus en plus d’ampleur dans ce pays. Une "maquiladora” est une petite zone de libre-échange située en ter- ritoire mexicain, le long de la frontiére amé- ricano-mexicaine. Il en existe actuellement environ 1,200 dans lesquelles les entre- prises américaines peuvent installer cer- taines de leurs opérations. De nombreuses compagnies américaines comme Ford par exemple, n'ont pas hésité d’ailleurs & fermer quelques usines aux : Suite @ la page suivante wit CAHIER DES FEMMES, MARS 1989 —7 y paca