édition anvier 1999 Ici, sur le plateau latéritique, on ne voit que quelques arbustes rabougris noiratres, des humbles raisiniers (Lannea humilis). Je ne parviens pas 4 me concentrer, tous les raisiniers donnent de petites drupes noires, d’aspect semblable au raisin, a la fois sucrées et rafraichissantes. Comme le grand raisinier acide, par exemple. Le raisinier humble en donne de semblables, blanches toutefois. Mais sont-elles comestibles ? Je ne me souviens pas .De toute maniére, cela n’a pas d’importance, ce n’est pas la saison. Ces arbres sont nus et n’ont méme pas encore leurs longs racemes de petites fleurs verdatres. Pas un endroit ou trouver un peu d’ombre, et comme si, les feuilles ayant disparu, il n’aurait plus de raison d’étre, le vent lui aussi est tombé. La poussiére reste suspendue dans |’air et les rayons du soleil se diffractent sur ces milliards de particules, colorant le ciel, l’horizon, le monde entier de ce jaune pale et morne. Quelques arbres prennent pitié de mon désarroi et m’offrent quelques points de couleur vive auxquels me raccrocher. A droite, un peu en contrebas un groupe de faux kapokiers aux troncs droits, noiratres et grossiérement épineux porte de nombreuses fleurs oranges a vermillon sur leur branches dénudées. Pas pour longtemps, sans doute, car déja quelques singes font la féte sur lun d’eux. Des cercopithéques callitriches picorant les bombax costatum ou les singes verts gobant des fleurs rouges ; |’image est amusante, le son en est étrange. On pourrait croire que je délire déja. Ces fleurs succulentes, a la texture charnue et humide me rappellent brutalement a ma soif. Je détourne la téte et apercois enfin, au loin, les premiéres cases rondes de Kaléfou. D’ailleurs, 4a quelques pas commencent ce qui reste des premiéres cultures d’arachide entre les blocs épars de dolérite. Plus loin, prés du village, un peu de manioc bruni et desséché est resté sur pied. Il est temps, je ne peux plus parler. La langue me colle au palais. Un empatement blanchatre et gluant se forme sur mes lévres, remplissant la fente des gercures. La téte plombée penche vers l’avant. Le pas devient hésitant entre les nombreux blocs de latérite et les petites termitiéres en forme de champignon 4 baleines, de couleur sienne brilée. Je me mets a réver que sur le temps de ma bréve absence, quelqu’un a ouvert un bar a Kalefou. Pas n’importe lequel, un bar ou I’on sert froid. Froid canadien, pas froid guinéen. Peu d’esporr, les villages dans cette région n’ont pas changé depuis des siécles. Méme huttes malinkés qui imitent la forme des petites termiti¢res. Bien sir, il y a les chévres qui ont été introduites par les Peuls, les vétement amples qui rappellent l’influence arabe, deux postes de radio, sans doute (il n’y a pas de pile !) et une Mobylette. Ca, c’est plus récent, avec le blue- jeans et la casquette de base-ball. Mais il n’y a pas encore beaucoup par ici. Et il n’y a certainement pas un bar ! J’arrive aux confins du village. Je croise les premiéres femmes qui, le pagne serré autour des hanches et la poitrine nue, battent en cadence du pilon sur le mil. - Anikeé ! N’ba. Je dois cracher la derniere syllabe avec des débris de muqueuses engluées. ... Suite page suivante...