12 Le vendredi 16 janvier 1998

Le fil d'Ariane

Femmes brodées de Ghada Amer

Le Contemporary Art Gallery et le
Artspeak Gallery de Vancouver
présentent conjointement jusqu’é la
fin janvier ’exposition French Kiss ;
exploration de l’univers de I’érotisme

par des artistes frangais.

vec un titre tel que

French Kiss, on

s’attend forcément

& voir des oeuvres
traitant de l'amour et des
relations amoureuses. C’est
toutefois un piége que nous
tend Keith Wallace, directeur
du Contemporary Art Gallery
et maitre d’oeuvre de cette
exposition. Durant son séjour
en France, il invite des artistes
qui, par leur approche
multidisciplinaire, permet-
tront de créer un espace
ambivalant dans lequel on
oscille aisément entre
Yexploration et langoisse.
Chaque artiste apporte une
notion bien particuliére de
Vérotisme. Le corps comme
objet de désir, mais aussi
instrument d’une sexualité qui
se pose en énigme sur
louverture au monde et a

Pautre.

Ghada Amer, artiste vivant
depuis un an & New York et
exposant ses oeuvres A la

Galerie Annina Nosei, fait de
la broderie sur toile. Elle a
choisi ‘la broderie comme}

médium vers les années 1989,
aprés ses études aux Beaux-
Arts de Nice. «
Egyptienne d’origine et durant
mes visites la-bas, je rencontre
et je vois évidemment beau-

Je suis

coup de femmes voilées. J’ai

aussi fait un travail

Rayon Jeunesse 2405 - 117

considérable sur les vétements
par rapport aux magazines de
mode pour les femmes voilées.

De fil en aiguille, ca m’a
conduit & la broderie », nous
confie Mme Amer.

Dans |’exposition actuelle-
ment présentée, Ghada Amer
dévoile trois tableaux sur
lesquels sont brodés des corps,

des images de femmes tirés de
revues érotiques masculines.
« Je voulais représenter la
femme comme objet. Je veux
qu’on se pose des questions.
Comment peut-on parler de
P’érotisme au féminin, si pour
’érotisme destiné aux femmes
nous reproduisons les mémes
clichés et stéréotypes ?
L’érotisme au féminin est en
fait un sujet tabou, surtout par
rapport 4 la technique que
jutilise. Normalement, les
femmes cousent et brodent 4 la
maison, seules. D’une certaine
facon, les femmes n’ont pas le
droit d’apprécier l’érotisme.
La broderie, c’est un peu la
voix des femmes qui sont sans
parole », mentionne l’artiste

francaise.

Ses sujets de prédilection
sont Vamour, l’ennui, les
femmes sans parole. Nous
parlant de ces oeuvres
antérieures, elle nous dit qu’il y
a quelques années elle a fait une
robe de mariée avec toute
histoire brodée de La Belle au
bois dormant. Dans ce conte, la
femme est l"héroine, méme si
elle n’y joue pas un réle actif. En
fait, elle a dormi pendant 100

ans, attendant tout bonnement

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son Prince charmant. Encore

une fois, cette femme n’avait pas

de voix.

« Méme chose pour une
histoire d’amour persane qui
date du début de PIslam et qui
raconte de grands chagrins
d’amour. Cet homme amou-
reux fou d’une femme qu’on
marie & un autre, écrit des
poémes d’amour et finit
ultimement par mourir de
tristesse. Dans cette histoire,
celui qui a souffert, c’est
VPhomme. On n’apprend rien
de la souffrance de la femme.
Elle a souffert uniquement par
la souffrance de Vhomme.
Alors, j’ai brodé les poémes de
cet auteur, car la voix de la
femme est devenu le fait de
broder cette histoire sur tissu >,
souligne Mme Amer.

French Kiss, il

la premiére

Avec
s’agissait de

exposition de cette artiste au

Canada. Que ce soit par
Pamour ou l’érotisme, la
broderie sur toile de Ghada
Amer tisse avec la trame de
Phistoire sans parole des
femmes.

JOHANNE CORDEAU

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