EVENEMENTS Events Ufc LA M . J 1 r': U K t comme breche ments supplernentaires lors de chaque presentation. On imagine des superpositions infinies de strates. On imagine un archeologue qui fouillerait un site et mettrait continuellement a jour de nouveaux artefacts, chacun d'eux ne constituant q u ' u n fragment d'un corpus plus vaste qu'il s'evertue a reconstituer, d'une signification qui sans cesse se derobe. Saulnier semble poursuivre avec acharnement une tache qui le depasse. Une quete intassable, demesuree sur le sens de la detresse humaine, peut-etre, chaque element de ses installations representant une part de cette detresse infinie qu'il faut exorciser, une part du mystere opaque de cette detresse qu'il tente de percer. II y a la des lambeaux qu'il n'en finit pas d'exhumer, d'ou surgirait un jour une breche possible, une lueur, une lumiere. Caisses de bois, frontons de baraquements concentrationnaires, bidons d'essence, scies a ruban, manivelles, volutes de violon, micros, machines a ecrire, JL-EMILE SAULNIER, •r^eaux de moire - Repli des jses, 2002. Vues tiellesde ^position. Centre i arts contempoi s d u Quebec a ntreal. Photo: :hel Dubreuit. c o m m u n ce gout de I'ouvrage et du lavabos, autant d'objets et de lieux « m a n u e l » fait surgir une autre travail bien fait. Trois artistes par memoriels — et memoriaux question, cede de t'objet. La chose, ailleurs q u i , par-dela ces quelques — rappelant la guerre meurtriere, encore la, n'est plus coutumiere de d e n o m i n a t e u r s , poursuivent une Sexploitation humaine, I'oppres- coutumiere de nos jours, mais elle nos jours, mais elle s'avere proemi- trajectoire unique. Dans la Cons- sion, I'exil, la persecution ou la sied bien a Paul-Emile Saulnier, nente dans I'ceuvre de ces sculp- tance, dira-t-on, et la fidelite. facticite de la consommation presence de maniere soutenue — PAUL-EMILE Saulnier, se retrouvent dans un q u i ont expose leur travail recent, que ce soit, chez Cun, par I'accumu- Cette fidelite est particulierement reseau de signes. Inventories, I'automne dernier. Un travail ou le (ation compulsive des elements, manifeste chez Paul-Emile Saulnier metamorphoses, ils sont des objets C ommengons d'entree de jeu en abordant la question du metier, du savoir-faire. La chose n'est pas Yves Louis-Seize et Robert Saucier, Cette preseance accordee au outranciere: « Ces objets, precise teurs, I'objet y signifiant sa SAULNIER chez les autres, par le traitement qui reprend les memes elements temoins, des fragments de memoire, elabore des plans et des surfaces, d'une installation a I'autre, notam- des points d'ancrages et de vention sur la matiere tiennent une ou par le bricolage minutieux et ment de minuscules paquets de reperes, des traces, des preteve- place importante dans ('elaboration savant des composantes. On par- journaux ficeles et n o i r c i s : ments arraches tantot a mon his- « construit», le «fabrique », et ('inter- lera d'une... materialite exacerbee « Porteurs de significations toire p e r s o n n e l s , tantot a I'histoire de I'ceuvre dont Tune des con- diverses, explique I'artiste, its ren- collective, tantot a la Grande traits marquants. Forts d'une expe- sequences est d'interpeller directe- voient a la censure, a ('accumula- Histoire2.» rience et d'une pratique etalees sur ment le c o r p s : i d , une multitude de t i o n , a la production industrielle, au Ces objets extirpes s'accumu- territoires contigus a apprehender, q u o t i d i e n , a la repetition, a la stra- lent, s'entassent, s'empilent, se la des structures sur lesquelles tification de la petite et de la chevauchent, comme si ('artiste marcher ou s'asseoir, la encore des grande histoire, a la classification elevait des autels, des monuments de I'ceuvre — et en constituent des plusieurs decennies, ces artistes ont developpe une maTtrise de leur art de sorte que Ton fera intervenir aisement les notions de richesse et de justesse du iangage, d'accomplissement des propositions plastiques. mecaniques mobiles a e c o u t e r o u a de ('information, a la memoire, au de tourments, envahis de silences contourner habilement. Le corps temoignage, a (a communication. et de cris — de ce silence par-dela sans cesse sollicite — captif/cap- Ce sont des petits paquets de le cri, des lors q u ' i ! n'y a plus de tive — , qui tantot se penche, se temps et ils jouent un role de mots, de voix pour hurler i'indi- redresse, deambule, t a n t o t s'immo- denominateur commun entre les cible. Le spectateur evolue au cceur bilise, regarde, conternple, ailleurs diverses sequences installatives \ » de ces meandres, dans ce theatre se met a I'ecoute ou tente d'esquiver le choc d'une collision. Le corps convoque dans I'espace. Dans I'espace sculpte. Celui de trois artistes aguerris, issus d'une meme generation, ayant en du t r a g i q u e : « Mes installations Saulnier, d'une exposition a obligent le spectateur a adopter I'autre, semble poursuivre un « grand ceuvre » — un... oeuvre au des points de vue divers, note noir, dira-t-on — en perpetuetle Saulnier, a se deplacer, a s'attarder, mouvance, toujours inacheve, a revenir sur ses pas, a emprunter a u q u e l viennent se greffer des ele- des parcours differents afln de E S P A C E 63 P R I N T E M P S 2 0 0 3 3 7 decouvrir des points de reperes qui guideront sa lecture. Ce dernier n'est plus devant une mise en scene comme au theatre, mais se voit plutot implique directement dans I'oeuvre 3.» Pour la presentation au Centre des arts contemporains du Quebec a Montreal, il a repris, au rez-dechaussee, une version abregee de t'exposition Ponctuation des choses presentee au Musee regional de Rimouski, et concu une installation in situ en exptoitant les caracteristiques particulieres du sous-sol: plafond bas, absence de fenetres, plancher de beton, tuyauterie rouillee apparente, taux eleve d'humidite, etc. Dans ce lieu etrange a I'aspect plutot sordide, il a aligne au mur une serie de lavabos aseptises munis, chacun, d'un essuie-mains immacute. L'artiste signale une reference a un camp d'execution nazi lors de la derniere Guerre mondiale, et il y avait la, en effet, quelque chose de penitentiaire, de carceral, de chirurgical d'ou se degageait un reel sentiment d'etouffement et d'oppression (une ceuvre particulierement forte qui, a mon sens, se suffisait a elle-meme et n'avait nullement besoin des machines a ecrire posees a proximite, lesquelles, en diversifiant les lectures possibles, amoindrissaient et diluaient ('impact de ('installation). II y a chez Saulnier une profusion d'objets et de territoires juxtaposes. Puis, il y a ce noir partout, qui recouvre tout, qui uniformise : les objets et les territoires endeuilles. On pense a un aprescataclysme survenu, terrifiant, horrible, menacant. On imagine une catastrophe, son ampleur, et la totale desolation. Et Saulnier qui inventorie cela, le denonce. YVES LOUIS-SEIZE Dans un registre plus leger, Yves Louis-Seize a propose deux expositions simultanees de ses ceuvres, realisees en fonction du lieu d'accueil: des ceuvres bidimensionnelles a Plein sud, centre d'exposition en art actuel a Longueuil, et des sculptures a Expression, centre d'exposition de Saint-Hyacinthe. Parlant de son approche, l'artiste ecrivait en 1989: « Decrire, non Dire La presence chargee de La mort... Ici et la je m'etourdis Dans des gestes 38 ESPACE 63 PRINTEMPS Ou j'exprime le temps Le silence Le grand passage a I'Autre rive.» Pres de quinze ans plus tard, qu'en est-il de ces preoccupations qui ont sous-tendu le travail d'Yves Louis-Seize durant toutes ces annees: la derive et le nomadisme, le corps vieillissant, la difficulty de communiquer, I'obscurite, la memoire, le passage du temps? Des themes qui, a I'epoque, s'exprimaient dans des titres comme L 'homme inquiete par le temps, Le surgissement de {'indifference, Le temps m'absorbe lentement, Suspend re ses desirs i'instant des cicatrices exposees, Noir vs Black. Aujourd'hui, il est question de Planeite fluide. Sans doute y decelera-t-on un allegement, une... legerete desormais survenus. En effet, e'est une sorte de legerete qui emane au depart de ces murales et sculptures recentes, comme si l'artiste etait finalement parvenu a se liberer d'un poids oppressant. Certes, I'acier froid et sombre est toujours present, mais il est dorenavant envahi de couleurs alors que les masses opaques et lourdes de naguere ont fait place a des structures plus ouvertes. Des structures qui, en composant avec le lieu, offrent un ancrage plus pregnant dans le reel, se delestant ainsi des references mythologiques, des symboles et 2003 archetypes primordiaux de jadis. L'artiste, ce faisant, semble avoir ramene son questionnement a un autre niveau, modifie son angle d'approche, conferant une presence accrue a certains elements recurrents dans son ceuvre — la coloration des surfaces, les ouvertures pratiquees dans la masse, etc. — , leur donnantcette fois la primaute: le clair sur le sombre, le dynamique sur le statique, le leger sur le lourd. Ainsi, les immenses panneaux et plaques d'acier sont devenus des tableaux intimistes ou le traitement a 1'acide revele des effets d'ecoulement et des motifs colores et fluides. « Si le travail est formel au depart, precise Louis-Seize, il existe des pistes de lecture pouvant etre figuratives ou referentielles. Les analogies avec le reel sont presque incontoumables : des lignes de separation de plans deviennent des lignes d'horizon ; des plans d'acier pur des ciels degages. Mes tableaux sont des regards distancies de la realite bien qu'ils entretiennent avec elle des relations souhaitees \ » Ces tableaux, souvent presentes en diptyque, devoilent une sorte d'au-dela du materiau. L'acier est pousse a ses limites, l'artiste grugeant ta matiere pour y faire surgir des zones de couleurs evoquant tantot des paysages, tantot des chutes et des constellations. Une tension surgit entre la planeite et la froideur de l'acier et la fluidite et la chaleur du motif; de meme, il semble y avoir contradiction apparente puisque ce materiau habituellement reserve a la sculpture est ici transforme en « support » pictural. Ce debordement du materiau se retrouve egalement dans ('exposition du centre Expression, la sculpture s'ouvrant cette fois sur I'espace architectural, etablissant des liens etroits avec le bati, tout en questionnant les relations aux objets inanimes: echelle, seuil, balcon, colonne, escalier, mobilier, fenetre. Ces divers elements — que l'artiste percoit dans le lieu d'exposition mais aussi, quotidiennement, dans son espace de vie — deviennent des lors des pretextes pour elaborer des ceuvres lesquelles, a leur tour, interrogeront le rapport au corps, I'euphorie ou I'angoisse du vide, ou encore rincommunicabilite des rapports humains. Planeite fluide constitue peutetre un jalon marquant dans le parcours d'Yves Louis-Seize, d'une part par I'exploration plus poussee de l'artiste sur la matiere — jusqu'a en reveler des dimensions inattendues, voire extremes — ; d'autre part, par la proximite nouvelle qu'il etablit dorenavant avec son « sujet» d'etude, ancre davantage dans le quotidien et la... trame des jours. On avancera ici I'idee d'harmonie, de reconciliation. YVES LOUIS-SEIZI Planeite fluide, 1 Acier. Vue partie Expression, cent d'exposition de \ Hyacinthe. Photc Guy L'Heureux. ROBERT SAUCIER On terminera sur le mode ludique avec la recente installation de Robert Saucier. Dans le depliant accompagnant ['exposition, le critique d'art Jean-Pierre Latour fait intervenir la notion d'automates en parlant de ces Autosmart. « Les automates, ecrit-il, represented une forme de trompe-l'oeil et de trompe I'esprit quand une simple mecanique, "sans coeur et sans ame", parvient a mimer de facon convenable, les gestes et les acti- propos de Gerard Durozoi qui, commentant un certain art cinetique, affirme que «['appreciation des ceuvres doit alors s'effectuer en termes d'ingeniosite plutot que de reussite artistique 6 » ? Debat sans fin que celui-la, qui oppose art et technique; debat sterile dans les circonstances puisqu'il nous menerait a bouder notre plaisirdevant ces « droles » d'engins animant I'espace de la galerie et emettant des sons plus ou moins audibles. Hautement sophistiques, les s'arreter a quelques pieds de la personne, puis commence a reciter en accelere un texte, a la limite du comprehensible. La "machine aveugle", elle, se promene sans porter attention au spectateur et recite un texte technique decrivant une liste de diapositives de mes ceuvres anterieures. La "machine a moteurs" possede des detecteurs qui lui permettent de se guider efficacement vers les gens. Elle n'a pas de senseur pour Pempecher de foncer vers eux de sorte qu'elle les memes, tourneraient a vide de maniere aleatoire et incoherente. En s'approchant peu a peu, on constate qu'il ne s'agit pas de tondeuses et que chaque engin a ete minutieusement programme, investi, dirait-on, d'une forme primaired'intelligence artificielle, mais axee sur le derisoire, I'inutile. C'est ce melange de complexite et de futilite qui, au bout du compte, fait sourire (et comme I'on sait pertinemment que le sourire n'est pas une attitude frequente lorsqu'on visite des galeries d'art, on conclura que ces machines remplissent leur role a merveille et qu'elles s'averent en cela des plus efftcaces). On parlera, chez Paut-Emile Saulnier, Yves Louis-Seize et Robert Saucier, d'une sculpture qui s'est... bonifiee avec le temps, au fil des annees d'apprentissages et d'experimentations. On y percoit tout cet... « ouvrage, remis cent fois sur le metier», cet acquis issu de la maturite. Curieusement, cette longue evolution, cette inscription dans la duree semblent avoir entrouvert des breches dans le corpus de chacun des artistes. Chez le premier, une trouee vers la lumiere, vers une lueur qui paraTt emerger du noir; chez le second, une sensibilite nouvelle a la couleur et une legerete; chez le troisieme, enfin, une breche vers I'humour. Comme si, d'une pratique assidue de la sculpture, pouvait emerger un autre possible, un aitleurs reconcilie, dira-t-on. •>:• BERT SAUCIER, tosmart, 2002. vites humaines ou a simuler certaines proprietes du vivant 5 . » Les epartielle de xposition. Robots six machines de Saucier, en effet, ec microcontrosemblent imiter des comporteirs, modules ments humains du fait que chacune nores, moteurs et d'eltes est investie d'une person'canismes, natite propre se revelant dans sa iminium et maniere de bouger et d'occuper ntreplaque. I'espace qui lui est assigne. oto: R. Saucier. Outre ce rapprochement avec les automates, on pourrait instaurer d'autres filiations, directement liees a I'histoire de la sculpture. On se souviendra de certaines machines de Tinguely, ces « chars » et « bascules » des annees soixantedix qui se deplacaient sur des plateaux et ne produisaient que du bruit et des mouvements sans fonction. On se souviendra aussi des divers types d'installations et d'environnements relies au cinetisme. A cet egard, faut-il reprendre ici le dispositifs de Saucier semblent lorgner vers la robotique et s'en moquer avec humour et ironie. Qu'on pense a cette « machine louvoyant» pres de 1'entree qui, munie d'un senseur PIR, fonctionne en permanence, mais reste silencieuse. « Quand elle apercoit quelqu'un, exptique I'artiste, elle doit lui faire face, s'arrete de bouger et commence a reciter un texte traitant de la conviviatite de mes ceuvres. Une fois qu'elle a fini son texte (1 minute), elle recommence a se promener. Pendant la premiere minute, elle s'arretera si quelqu'un est place devant mais ne recitera pas le texte. Ensuite retour au fonctionnement normal.» Quant a « machine bruyante», poursuit-il, « elle fonctionne en permanence et des que quelqu'un est repere, elle fonce dans sa direction mais pour poussera hors de son territoire. Le texte entendu en permanence est de jocelyne Connolly, sauf lorsqu'elle est en chasse — elle devient alors silencieuse. Enfin, la "machine avec moteur pas a pas" tourne en rond continuellement en balayant son territoire. Des que quelqu'un est percu parson detecteur, elle fonce directement dans cette direction7.» Ces mecaniques, qu'on pourrait qualifier de narcissiques — elles ne parlent que d'elles-memes ou de leur createur — , evoluent chacune dans une aire restreinte d'un peu plus de 600 cm de diametre et sont rattachees a un fil etectrique sortant du plafond. A premiere vue, on dirait des... tondeuses a gazon dont on aurait laisse la carcasse a decouvert. Elles s'activent dans la galerie comme des appareils qui, prives de leur conducteur et laisses a eux- Paul-Emile Saulnier, MorceauK de memoire-Repli des choses Centre des arts contemporains du Quebec a Montreal 7 septembfe-18 octobre, 2002 Yves Louis-Seize, Planeite fluide 7 septembre-6 octobre 2002 Plein sud, centre d'exposition en art actuel a Longueuil 7 septembre-20 octobre 2002 Expression, centre d'exposition de Saint-Hyacinthe Robert Saucier, Autosmart Centre d'exposition Circa, Montreal 14 septembre-12 octobre 2002 NOTES 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. E S P A C E Courriel de I'artiste, novembre 2002. Lettre de I'artiste, 6 novembre 2002. Ibid. Document de I'artiste, juillet 2002. Depliant, Centre d'exposition Circa. Dietion naire de I'art mod erne et contemporain, Editions Hazan, Paris, 1992, p. 29. Texte de Robert Saucier, decembre 2002. 63 > R I N T f:. M P S 2003 39