8 Le Soleil de Colombie, vendredi 10 aoat 1979 Personne pour comman- der, autre que la volonté de faire et d’obtenir, et la loi sacro-sainte de l’exigence des saisons; enfin, vivre libre sous le grand ciel de Dieu. Si je le voulais, je pouvais rester, jour aprés jour, sans voir un homme; je pouvais, en communion avec la belle et forte nature, paresser a ma guise, assis sur un tronc d’arbre renversé, a regarder le jeu des écureuils ou des “petits suisses” aussi effron- tés les uns que les autres; je pouvais, faisant reposer mes chevaux prés d’un paquet de pois sauvages, regarnir ma’ pipe et laisser vagabonder mon esprit sur les vieilles années révolues de cette: terre et de ces bois. Je revoyais en pensée, c templant mon calme pe- tit lac, incessant travail des terrassiers des castors qui avaient jadis édifiée ces “dames” maintenant effon- drées, drainant ainsi les “swamps” avoisinantes et la coulée vers la grande rivie- re. Mais l’apre désir de gain d’hommes déraisonnables a- vait presque exterminées ces bétes si intelligentes ou les avait repoussées vers les solitudes du Grand Nord. Je révais de la vie pas si lointaine des “hommes rou- ges’ habitants ces lieux, Indiens Crees ou Sauteux dont la présence était encore inscrite sur le sol ancestral, par ces sentiers et pistes de bois que foulaient seules, maintenant, les bétes sauva- ges, ou les rares colons; eabanes éventrées au bord d’un lac ou d’une creek, tumuli de pierres et de terre qui recouvraient, dans le silence, quel homme, quel drame ou quel désespoir ? Pour un jeune homme qui avait tout quitté pour l’aven- ture: nid familial, confort, douce et calme monotonie des jours, des semaines sui- vant d’autres semaines dans le calendrier d’un travail trop bien réglé, - réves d’amour de la tendre jeu- nesse..., cette existence li- bre agissait sur moi comme un aphrodisiaque ou le par- fum capiteux des cheveux d'une femme désirée- Chez Jean, je voyais de plus en plus s’affirmer l'atti- rance de la vie plus facile de la ville et, dans un proche avenir, le retour au foyer paternel. La flamme du premier élan vers la grande aven- ture s’éteignait peu a peu au souffle des rappels épisto- laires et des sirénes fami- liales. Beau gargon, d’un carac- tére agréable, indolent et un peu personnel, il savait de- voir recueillir une importan- te part du patrimoine pa- ternel: les chiteaux de Bo- naigues et d’Arnac, avec leurs belles propriétés, pou- vaient lui offrir, 4 défaut de la liberté, des occupations moins incertaines et moins difficiles que le défriche- ment de nos arpents cana- diens. Enfin, un riche mariage,’ par-dessus le tout, pouvait ajouter a sa corbeille de confortables pantoufles. Et ce n’était point sans appréhension et sans quel- que amertume que je voyais -_ venir le jour ot ma soeur et Armand d’un cété, Jean penchant d’un autre, je res- terais seul en face des durs travaux que chaque année nouvelle me porterait dans ses saisons... Ce n’est point que je crai- gnais de ne pouvoir en venir a bout, ni de supporter la solitude de nos terres: quel- ques vaches donnant leur lait, des poules et-un chien devaient suffire 4 faire au- tour de moi un cercle d’ami- tié. Peu a peu, les produits de nos terre, joints au travail extérieur que je pouvais fournir désormais sans quit- ter le home, soit sur des chantiers municipaux (rou- tes, rues nouvelles, etc.), soit chez des voisins pas encore outillés, tout ceci au cours des semaines creuses durant lesquelles le sol fé- condait les semences qui lui avaient été confi¢es, devait me procurer l’essentiel de la vie et les sommes nécessai- res au développement nor- . mal de la ferme. La tache primordiale était donc d’atteindre,,, debout, le moment tant désiré ot la mise en valeur obligatoire de chaque concession (culture, défrichement, clétures, habi- tation, temps de séjour...) ayant &té terminée, serait enfin émis par le bureau des Terres le titre de proprié- té, la « patente », Pour Jean et moi, il ne devait point surgir de diffi- culté: i] nous restait a faire encore quelques mois pour terminer le cycle des trois ans réclamés; les maisons étaient édifiées, les défriche- ments et cultures afféren- tes représentés, ainsi que leurs clétures. Mais pour Armand, si les améliorations inhérentes a la terre étaient valables, la question de la maison ayant été réglée par le commune résidence avec son frére, en accord avec le Land’s Offi- ce, on pouvait, si on grat- tait trop, invoquer contre lui son absence permanente de la propriété. Cependant, pour nous ras- surer 4 ce sujet, nous sa- vions que ce qui importait le plus, ¢’était de montrer, au moment de l’inspection, le maximum de travaux visi- bles sur le sol. Quanta la toenail: méme, il était assez diffi- cile de contester les décla-- rations du demandeur, sur- tout si, comme dans ce cas, il y avait cohabitation accor- dée. Juin venait de commencer et, les travaux essentiels, terminés, nous nous appré- tions pour l’habituel séjour hors de la propriété. Les avoines faisaient déja un magnifique tapis vert sur les terres qui les avaient re- cues et les pommes de terre poussaient, vigoureuses, marquant par leurs lignes bien paralléles un travail de bon aloi. Pendant quelques semai- nes, la ferme pouvait donc se passer de nous et seules nos braves et bonnes poulettes réclamaient une présence pour leur nourriture, la relé- ve des oeufs et leur sur- veillance. En effet, au long de la journée, dés la pitance quo- tidienne recue, elles s’égaillaient sur le plateau, parfois méme assez loin de la maison, et devenaient alors une cible de choix pour les éperviers maraudeurs. Nous avions donc fait une entente avec le vieux métis installé depuis long- temps, quand il ne trappait pas, dans son vieux schack, a l’embouchure du Baptiste Creek, sur ]’Athabasca, 4 un mile et demi, a peu prés, de notre habitation. Il devait s’installer chez nous, pendant notre absen- ce, soigner les poules dont nous lui réservions, en re- vanche, le bénéfice de la moitié de la vente des oeufs. Nous lui fournissions, en surplus, un sac de cinquante livres de farine, un sac de sucre de vingt livres, un pla- teau de bacon, deux plaques de tabac a fumer et autant de tabac a chiquer, thé et café, naturellement. Il devait coucher dans la partie de la maison qui n’était pas encore terminée, notre piéce étant fermée, car si j'avais confiance en sa probité, j'avais certains dou- tes sur sa propreté. Pour les chevaux, nous nous étions facilement en- tendus, comme pour |’année précédente, avec notre ami Fitzgibbon. Nous lui laissions la dis- position du team pour de petits travaux en ville tels que livraison de freight, petits charrois pour Révillon ou Hudson’s Bay; il prenait, en compensation a son comp- te leur entretien, et nous donnait, en surplus, 75 cents par jour. Toutes ces dispositions étant prises, nous pouvions partir sans appréhension. Jean, qui n’aimait pas les travaux manuels trop durs, avait depuis plusieurs semai- nes posé des jalons a ]’Atha- basca Hétel, pour une place dadjoint a la réception jus- yu’a V'hiver ou au début du printemps. | Le salaire n’était pas trés élevé, quelque 30 a 35 dol- lars par mois, mais le travail n’était pas lourd et, en plus, bon gite et bonne nourri- ture assurés, bar et cigares a volonté. En outre, pour moi, |’avan- tage immense de savoir que Jean irait, 4 sa convenance, sur les terres pour veiller 4 leur entretien. DEUXIEME VOYAGE AUX ROCHEUSES _ ALA POURSUITE DE LA TOISON D'OR Le travail qui m’était ré- servé avec le team sur le ' chantier de notre route, ne devant débuter que vers les premiers jours de juillet, mon plan était de faire un nouveau voyage aux Ro- cheuses. En effet, Marius Clément m’avait écrit que de belles trouvailles d'or avaient été signalées vers les sources de la Saskatchewan, et m’avait proposé de nous y rendre, non point pour chercher a découvrir le gros filon, mais pour faire un beau voyage, tout en couvrant nos frais par le lavage des sables qui portaient, d’aprés les rensei- gnements qu'il avait eus, . plus ou moins de poudre et de paillettes. Cela nous suffi- sait amplement comme but de ce voyage en pays incon- nu. J’avais accepté avec plai- sir, car il ne me déplai- sait pas de me retremper dans la rudesse et cependant la sauvage beauté de ce mer- veilleux pays.. Notre premier voyage aux contreforts des Recheuses _ avait laissé en moi une pro- fonde impression. Cette fois, il nous fallait remonter le cours supérieur _ de la grande rivieére, vers les torrents qui lalimentaient. Nous ne cherchions pas, évidemment, la grosse dé- couverte comme celle faite récemment par ces deux métis qui, revenant presque bredouilles d’une saison de trappes, avaient tout a fait par hasard trouvé un véri- table trésor. -En effet, dans une poche, sous une roche battue cons- tamment par les tourbillons des eaux et presque a fleur de terre, un amas de belles pépites s’était fait. Ces derniéres, malaxées sans doute par les courants depuis des années, étaient polies et rondes comme de gros pois. Et avant notre départ, nous pfimes en admirer quel- ques-unes exposées a la vi- trine d’une compagnie d’achat de minéraux, dont certaines, étaient zrosses comme des noisettes. Je rejoignis donc Clément a notre hotel et nous nous équipames pour un voyage que je considérais un peu comme une excursion, puis- que nous partions pour un travail dont nous restions nos maitres. Notre fourniment fut d’ail- leurs vite complété. En plus de la tente que Marius avait apportée avec lui et nos couvertures indi- viduelles, nous primes les deux carabines, ma 22 et la - Winchester 30 30 qui appar- tenait 4 Clément, et des fils de péche, toutes choses de- vant nous assurer la sécurité et une bonne part de notre subsistance. Enfin, nous achetémes les _ provisions normales et indis- pensables pour une équipée de ce genre, soit un sac de © cinquante livres de farine, bacon, thé, café et sucre, quelques boites de conser- ves, tabac (pas mal de sa- chets de Old Chum et de plaques a chiquer pour les échanges ou les cadeaux éventuels, deux bouteilles de whisky et enfin la si indispensable pharmacie de campagne... exceptionnelles, ' Le train devait nous dépo- ser en fin de ligne, au mile 176, je crois, dans les envi- rons duquel vivait un vieil Indien qui tenait — toujours d’aprés la gazette parlée de I’hétel — une sorte de « stop- ping place ». Il louait a la demande des poneys de selle ou de pa- Philatélie quetage, des « cayuses », en termes indiens, chevaux d’une extréme résistance et frugalité. Ses clients: pros- pecteurs, arpenteurs du gou- vernement, agents des affai- res indiennes, etc. A SUIVRE Nouveaux timbres canadiens consacrés aux Inuits Le ministre des Postes, M. John A. Fraser, a annoncé que les Postes canadiennes - lanceront le 13 septembre prochain quatre nouveaux timbres de 17 cents dans le cadre de la série commémo- rative consacrée aux cence Les quatre timbres sont l’oeuvre de M. Reinhard Derreth et seront imprimés selon le procédé de la litho- graphie en cing couleurs par Ashton-Potter Limited; le tirage sera de vingt mil- lions. a POTTS STS TS oe Cette émission constitue le troisiéme volet de la série commémorative consacrée _ aux Inuit; l’émission de 1977 était consacrée a la chasse et celle de 1978 aux voyages. Deux des nouveaux tim- . bres auront pour théme le gite et les deux autres, la communauté. Quant aux timbres consa- crés a la communauté, le premier représente deux sculptures en stéatite illus- trant la danse du tambour, qui proviennent de Repul- se Bay, et le second, une gravure intitulée “La danse”, oeuvre d’un artiste inuit de l’ile- Holman. Comme dans le cas des. autres timbres de cette série Inuit~Community commémorative, les Postes canadiennes veulent dépein- dre le mode de vie des Inuit tel qu’observé par des artis- tes inuit. Un des timbres consa- erés au gite représente une sculpture en stéatite, “Cing Esquimaux construisant un iglou”, provenant de Povungnituk, et l’autre, une gravure réalisée par un ar- tiste inuit du cap Dorset, “Tente d’été”. * Les timbres consacrés au gite et ceux consacrés a la communauté seront émis en - feuillets de 50 timbres se tenant; chaque dessin parai- tra alternativement a l’hori- zontale et ala verticale du feuillet (en damier). i Les invit-La communauté