rt tn aa Tr a a a 10—|Le Soleil. de Colombie, vendredi 20 décembre 1985 Noél a Bethléem Récit Par Jean-Claude Boyer Jean-Claude Boyer est un québé- cois qui vit depuis trois ans en Colombie-Britannique. Aprés avoir enseigné & Powell River et avoir obtenu un dipléme en traduction a UBC, Jean-Claude Boyer décide de faire le tour du monde pendant un an. Le Noél dernier, il était a Bethiéem et il nous raconte sa journée. C'est en bus que j'arrive a Jérusalem du Caire (Egypte), le 28 décembre, vers 9h00 du soir. Les auberges arabes prés de la porte de Damas sont toutes bondées, comme il se doit. N’ayant ni les moyens de me payer le Sheraton ni l’énergie suffisante pour essayer de me trouver une étable ot passer la nuit, je réussis finalement a me faire accepter: un aubergiste (Ramses Hostel) déniche un matelas étroit dans le fond d’une remise. Le dortoir improvisé est rempli de bruits joyeux et de conversations en langues variées. Ces jeunes touristes seraient “boeufs et Anes” que ca me laisserait indifférent: je m’endors presque sur le champ. Laissez-passer Le lendemain matin, je me rends au Christian Information Centre pour tenter d’obtenir un_laissez- passer pour la messe de minuit pontificale a Jl'église Sainte- Catherine de Bethléem. Une soixan- taine de touristes y jouent déja des coudes. Je me faufile autant que je peux et me retrouve avec deux Américains et un Brézilien ren- contrés en Egypte la semaine précé- dente. Ceux-ci me préviennent que je n’obtiendrai un billet du pére franciscain que si je réponds “oui” a la question “Etes-vous catholique romain?” A midi sonnant, le bon pére déclare, avec un geste sacerdo- tal, quele bureau est fermé et que les quelques billets gratuits encore dis- ponibles seront distribués 4 compter de 3h30. II venait tout juste de me remettre mon passeport aprés y avoir inséré la carte personnalisée qui me faisait passer au rang des privi- légiés. Vers 1h30, je rencontre par hasard un groupe d’étudiants d’Halifax et de Vancouver qui s’apprétent 4 marcher jusqu’a Bethléem. Le ciel est splen- dide. La circulation routiére dense et bruyante. Nous marchons d’un pas allégre les quelques huit kilométres que Marie et Joseph ont parcourus a dos d’ane. A proximité de Bethléem, 14 ot les pare-chocs commencent a se fréler, sous l'oeil vigilant de dizaines de soldats armés dispersés ¢a et 1a, jusque sur les toits, l'un de nous propose de déguster une bonne biére bien froide. Et l"‘humour de chacun finit par faire croire que nous sommes entre vieux copains. Sécurité Avant d’entrer dans la place de la Mangeoire, tous les visiteurs doivent se soumettre a des mesures de sécurité. Les hommes 4 droite, les femmes a gauche. Tout appareil- photo doit étre testé. Je prends donc une photo, non pas du ciel ni du sol comme l’exigent les militaires mais, rapidement, des quelques soldats sur le toit le plus proche. On découvre ensuite dans mon sac en bandouliére un petit appareil noir sans.fil que j’y ai laissé par mégarde, mon rasoir électrique. Je le mets en marche sous les regards mi-inquisiteurs, mi- amusés. Avant de pénétrer dans l’église de la Nativité, une autre prise de photo est exigée. Puis je me penche pour franchir la portebassede l’église. (Depuis que des envahisseurs ont profané le lieu saint en y entrant avec leurs chevaux, cette porte a été considérablement réduite) . Je me dirige vers l’endroit précis oi, selon la tradition, Jésus est né. Jattends mon tour avec une Francaise qui vient de Paris a Bethléem chaque Noél depuis 1970, excepté en 1971. Elle se dit scandali- sée de voir les gens prendre des photos: “Surtout au Saint Sépulcrel! Je leur briserais la figure! On doit venir ici parce qu’on a la foi; pas en curieux, mais pour prier!” Elle me raconte avec une fierté non dissi- mulée que c’est la France qui a payé l’étoile d'argent incrustée dans le marbre al’endroit méme ot l’Enfant-, Jessus aurait été déposé. Foule La grotte, remplie de touristes bavards et surchargée d’encensoirs, de tentures rouges et de décorations peu artistiques, n’invite guére au recueillement. Un jeune homme, un Joseph idéal pour une créche vivante, est assis sur une marche avec deux angelots blonds pour qui il chante des cantiques en anglais. Lorsque je remonte dans l’église bysantine, j'entends un guide décrire en francais, a des pélerins penchés au-dessus d'une ouverture dans le plancher, une mosaique de l'église primitive. Des grandes orgues de V’église Sainte-Catherine (annexée a celle de la Nativité) retentit soudain un Venez divin Messte, tonitruant. Le dernier point d’orgue achevé, une foule nerveuse se surprend a parler Les Péres de la Paroisse St-Sacrement offrent leurs Weillours boi ts. a tous les paroissiens et amis the i, Verge ef [ Enfant e405 remplissent volre coeur de paix, de joie el of BS comme dans un bazar. Une mére jubilante exhibe sur le premier banc son garcon de $ ou 4 ans vétu en franciscain, qui semble ravi de provoquer autant d’éclairs; on se croirait 4 la sortie d’une conférence de presse. Dans la place de la Mangeoire, je- suis étonné de voir la biére couler a flot; l’'ambiance est déja a la féte. Je m/’attable avec un couple d’Austra- liens qui habite la méme auberge. Les consommations terminées, nous nous rendons 4 la poste, 4 quelques métres de notre table, ou tout envoi recoit, ce soir, une oblitération- souvenir. Pour ma part, j‘expédie ala hte 29 cartes postales, dont la 42e a ma mére depuis le début de mon voyage autour du monde. Dehors, une chorale d’enfants exécute un cantique traditionnel. De 8h30 a 11h30 se succédent des ensembles vocaux de tout genre qui rehaussent d’emblée ce grand rassemblement international. L’immense sapin il- luminé de la place, prés de l’écran géant oi sera projetée pour les moins fortunés la messe de minuit en circuit fermé, affiche devant la foule exubérante un air de complaisance hautain. Les étoiles scintillent, |’air est presque froid. Les cloches de No#l vont bientét sonner. Un peu avant 10h00, je m'ache- mine avec de nouveaux compagnons vers l’entrée de l’église. Nous sortons de la place par distraction, l’espace de quelques secondes, ce qui nous oblige 4 passer 4 nouveau par les mesures de sécurité. Vient ensuite le contréle des laissez-passer. Je de- mande I’autorisation de garder le. mien en souvenir. Le militaire me le prend quand méme avec un sourire enjoué et un Merry Christmas, le donne a quelqu’un d’autre dans le portique et celui-ci me le remet. Tous les visages sont rayonnants. Place de choix Nous parvenons a nous avancer dans le transept gauche prés de la 2e colonne. Une place de choix, bien que debout. A 10h15, une lére lecture en francais. Pendant une heure, des péres franciscains liront des textes bibliques en diverses langues: francais, allemand, espagnol, italien, anglais et arabe. A 11h15, entrée solennelle de l’évéque, des prétres, des dignitaires... a minuit, les cloches retentissent tandis que les grandes orgues font vibrer le sanctuaire d’un JI est né le divin Enfant triomphant. L’assemblée tressaille d’une émotion profonde. Un choeur polyphonique alterne la messe des Anges avec les fidéles. I] n’y a pas d’homélie. Au Credo, et Incarnatus Est est sans cesse repris pendant un bon moment; le choeur emprunte des voix angéliques, son chant se fait sublime. Les cantiques traditionnels choisis sont: Sainte Nutt, Adeste Fideles et Les anges dans nos campagnes. La cérémonie aura duré prés de 38h30. Ces projecteurs pour la télévision, ces longues lectures en langues étran- geéres, ce groupe d’Italiens agités qui nous entoure... Je deviens impatient de voir défiler la procession finale. Cette célébration du mystére de Noél sur les lieux historiques restera mémorable. : Le matin du 25 décembre, a Jérusalem. Les gens vaquent a leurs occupations routiniéres, comme un mardi ordinaire. Je passe une journée calme et reposante avec un Frangais “bien sympa”, Jean-Paul, qui habite également a l’auberge Ramsés. Nous nous balladons dans le souk rendu extrémement fébrile par l’incroyable foisonnement de touristes. Puis nous prenons le bus pour Bethléem que Jean-Paul n’a pas encore visité; je lui sers donc de guide. Cortége Au fond de la grande place de la Mangeoire, ot la foule semble contenir son allégresse, nous aper- cevons un cortége funébre d’Arabes en costumes traditionnels. Aucune femme. Le défunt est transporté jusqu’a la mosquée qui donne sur la place dans une simple boite en bois, partiellement recouverte d’un drap- vert, laissant paraitre une téte _-enveloppée. Le contraste «de cette - scéne exotique ajoute une fausse note de gravité aux réjouissances de Noél. Nous visitons les lieux saints puis le souk coloré et particuliérement ani- mé ow s’entassent victuailles, véte- ments et “bébelles” de toute sorte. Souper de Noél dans un restaurant arabe du vieux Jérusalem. Ensuite, longue marche dans les rues étroites, pittoresques et maintenant désertes. (Aprés la fermeture des magasins, les devantures ressemblent a de vérita- bles coffres-forts, les portes coulissan- tes en métal étant parfois entourées d’une bonne douzaine de _ gros cadenas). Le Francais et moi déci- dons d’aller causer dans les fauteuils moelleux d’un hall d’hétel luxueux de la ville moderne, en apportant, bien sir, une bouteille de “Vin de Bethléem”. Notre passion commune pour les voyages nous rend bientét intarissables. De retour a l’auberge, la soirée se termine dans un des dortoirs (a 1.75$ le lit); nous échangeons des anec- dotes de voyage hilarantes, dramati- ques ou saugrenues avec des Allemands et des Australiens. Cette fin d’année en Israél (les $1' décembre et ler janvier, j’étais a - Nazareth), bien que vécue loin du Québec, de ma famille et de mes amis, s'est avérée, 4 plusieurs égards, une source de joie incomparable. Cependant, c’est surtout l’expérience de fraternité universelle presque tangible, de cette fraternité chré- tienne qu’est venu instaurer l’Enfant- Dieu, qui me rend ce Noél 84 inoubliable.