La rentrée Enfant, je commengais a songer a la rentrée, vers la fin du mois de juillet! Oui, au bout de quelques semaines de vacances au chalet, j’'en avais assez de la torpeur et de la paresse des jours chauds, je m’ennuyais déja de ma routine, de mes amies, de mon école, des cloches, des bruits venant des longs corridors, de I’o- deur des craies, du parfum de la cire sur les bancs de bois et de mon autonomie. J’avais hate, sans savoir vraiment a quoi au juste javais hate, comptant les jours s'égrenant longuement! Souvent, mes tantes ou voisines me demandaient : «Pourquoi t'as si envie de retourner sur ton banc de classe? T’es pas ben a la maison ?» Comment leur faire comprendre que copier des mots d’un tableau ou recevoir une dictée de ma maitresse me donnait encore plus d’agrément que de jouer a la balle ou sauter dans le lac ? Je cherchais les mots, pour leur dire, pour articuler cette ivresse que j’éprouvais a découvrir, en méme temps que d’autres copines de classe, qu’il fallait dire ils étaient et non y — sontaient. Je leur montrais la belle image sainte que j’avais regue en recompense, des mains mémes de Mademoiselle Robineau, cette femme au sourire doux et a |’éclat de miel dans la voix. J’avais su bien ré- pondre a toutes les réponses du petit catéchisme. Je me deman- dais si mes interrogatrices pouvaient deviner l’importance de cet objet sacré pour moi ? Comment leur expliquer aussi que mon coeur sautait de joie lorsque notre enseignante, a l’expression avenante, nous donnait des lecons de calligraphie ? Tenez votre dos droit les enfants. Non, pas comme ¢a... toi, t'es trop raidie. Votre bras, jusqu’au coude, doit étre sur le pupitre, mais laissez votre coude dépasser un peu... Non, non, toi tu te penches trop la... puis rentre ta langue... Regardez Paul ici. Vous voyez, c’est trés bien. Entre ses yeux et sa feuille... y’a de l'es- pace. Faut pas avoir le nez collé sur votre papier. Attention Jeanne! Tu péses trop fort sur ton crayon, tu vas trouer ton papier et toi, Lorraine, tu fais des pattes de mouche. Applique-toi davan- tage. C’est parce que t’es pas bien assise; il faut avoir les deux pieds sur le sol comme Richard. 22