Les cooperants francais Seize mois sous le Soleil de Vancouver Depuis 1979, dix journalistes coopérants frangais se sont succédés au Soleil de Colombie. Effectuant leur service national pour une durée de 16 mois, ils sont mis a la disposition du journal par le ministere frangais des affaires étrangéres. Leur présence tout au long de ces années a constitué une aide précieuse pour le Soleil. Nous avons réussi a joindre six d’entre eux. Tous conservent un souvenir ému de leurs années vancouvéroises. Renaud Hartzer. Piges pour diverses publications et pour la 3éme chaine de télévision francaise, depuis novembre 92. A la recherche d’un emploi. C’était un matin de juillet 1992. Le téléphonesonna vers 8hdu matin. A|’autre bout du fil se trouvait Jacques Baillaut. “// ne reste plus rien. Onnousa tout volé,” dit- cambriolage du Soleil. Pour faire fonctionner ce que l’on appelle, avec une pointe de fierté, “le seul journal en francais - de Ja Colombie-Britannique”, il nous restait, a défaut d’instruments de travail, notre volonté et notre persévérance que cet avatar de plus dans l’histoire fragile du Soleil! n’avait pas entamé. Six mois plus tard et 10 000 km plus loin, il m’est d’ailleurs encore difficile de ne pas employer la deuxiéme personne du pluriel, tant Le Soleil de Colombie reste toujours ancré dans mes pensées, sans y étre encore rangé dans la catégorie des souvenirs. Qu’importent les sourires en coin de certains de mes interlocuteurs lorsque je me présentais, 4 l’époque, comme journaliste du Soleil ; les maigres moyens du journal ou la faible motivation de certains francophones, ces seize mois sous Le Soleil de Colombie furent une expérience unique, de celles que l’on ne vit qu’une fois et que l’on n’oublie pas. Alors, c’est en vertu de ce modeste bout de chemin effectué au cours des vingt-cing ans du journal que je souhaite un anniversaire rempli de promesses au Soleil de Colombie. Longue vie ! Renaud Hartzer Jean-Francois Fournel, 32 ans, marié a Dominique Grosfils (deux enfants), rencontrée 4 Vancouver alors qu’elle travaillait pour Danielle chocolat belge !. Aprés deux ans comme journalistesportif al’Equipe, ila intégré le groupe Bayard Presse ou il travaille au mensuel Phosphore destinés aux 15-18 ans. _ Aujourd'hui, il dirige des éditions régionales pour le mensuel Notre Temps. 18 octobre 1983. I] pleut sur Vancouver. Un événement rarissime pour la saison, les spécialistes en conviendront... Ma premiére impression est donc humide. Elle le restera deux mois durant, puisque la pluie s’est arrétée le 24 décembre, soit 66 jours plus tard. Deuxiéme impression, les locaux “ultra modernes” du Soleil de Colombie, rue Main... Quand on arrive tout droit du Centre de formation des journalistes en passant parla presse magazine parisienne, cela fait un choc. Mais tout compte fait, les bouts de ficelle (pour l’expédition des journaux), l’encireuse 4 bromure (a l’€poque, les coopérants faisaient eux- mémes le montage 4 la main du journal), la chambre noire en contreplaqué peint (ot les mémes coopérants développaient des clichés historiques) ont souvent bien du charme. Troisiéme impression, André Piolat, ex-légionnaire, ex-montreur d’ours sur le port de Marseille, ex-pionnier paysan des grandes plaines et finalement fondateur du journal. Une figure... Et un caractére... Qui n’appréciait guére les “unes” prenant trop de libertés avec la traditionnelle actualité de la francophonie. Je me rappelle un titre que j’avais commis 4 propos d’un concert pitoyable de Nina Simone 4 Vancouver : “Concert frileux pour diva enrouée”. Lequel titre avait fait rugir de colére monsieur Piolat. Bref, comme toutes les fortes personnalités, il fallait parfois “se le faire”. Heureusement pour moi, et aussi pour la province de Colombie Britannique, il fut nommé, trois mois aprés mon arrivée, juge a la cour de citoyenneté. Cette charge étant incompatible avec la direction d’un journal, il dut se résigner a quitter Le Soleil. Jai donc eu le privilége d’exercer la digne fonction de coopérant sans avoir de directeur. Une excellente occasion de... faire exactement ce que je voulais et de m’apercevoir que, sorti de son contexte, André Piolat était 4 la fois attachant et passionnant. Jean-Francois Fournel Pierre Séjournet, journaliste aux Derniéres Nouvelles d’Alsace,jetravaille depuis un an en Alsace Centrale, a Sélestat, au pied des Vosges. 25 ans... une belle tranche de vie. En souhaitant unjoyeux anniversaire au Soleil, je me souviens de la qualité de l’accueil qui m’y a été réservé. Arrivé a une période de transition, juste avant le départ de Patrice Audifax et l’informatisation de votre hebdomadiaire, j’ai regagné la France avec le ‘sentiment d’avoir vécu une expérience inoubliable. Longue vie au Soleil de Colombie et aux francophones de ce bout du monde ! Pierre Séjournet il briévement, pour m’annoncer le Francois Limoge, 28 ans, travaille depuis son retour en France au sein de l'agence ABG Communication pour plusieurs journaux d'entreprise ou de ministére. Fréquemment, il me revient en mémoire des images de cette période heureuse, souvent émue de ces seize mois passés au coeur d’une tribu perdue sur les rives si lointaines du Pacifique. Depuis plus de vingt ans, elle avait su résister a toutes les bourrasques et coups tordus de Ja vie. Pas plus le feu que ce féroce prédateur appelé Postescanada n’ étaient parvenus a la faire chanceler. Casquette vissée sur la téte et moustache frémissante, Moncolonel était Je chef de la tribu. De ses origines gauloises, il avait gardé une faconde intarissable. Un bon chef, aux coléres aussi rares que terribles, qui veillait au bonheur de sa tribu. Ne l’avait-on pas vu survenirau ravitaillement d’un de ces guerriers, blessé lors d’une partie de chasse dans Ja montagne. Moncolonel portait une tendresse toute particuliére a ses femmes, véritables chevilles ouvriéres de la tribu. Jeanne, l’épouse du chef, était chargée de la cuisine et de ]’éducation des enfants. Cordon bleu hors pair, elle possédait une connaissance étendue des arts et un caractére bien trempé. Le chef n’avait pas toujours le dernier mot. Courbée sur sa drdle de machine, Sue fabriquait avec dextérité les munitions. Chaque soir, cette fine gazelle enfourchaitson destrier blanc pour rejoindre son fiancé, un Perse poussé par les vents jusqu’a cette terre inconnue. _ Enfin, Monique traquait Langlicisme et la Fotedortograf, vermines redoutables pour la qualité des munitions. Eneffet, tous les mardis, rite immuable, les guerriers livraient bataille 4 Lassimilation, monstre rampant dont les membres gluants repoussaient aprés chaque amputation. L’affrontement était rude et les lames de "cutters" brillaient parfois tard dans la nuit. Aprés quelques débuts difficiles, le jeune Daniel était devenu un expert du tranchant. Ce costaud n’avait pas son pareil pour vous décapiter une tétiére égarée. Dans les jours qui précédaient, Nigel, le barde de la tribu, encourageait les valeureux. Arlulu, éclaireur volubile, apportait, lui, des informations précieuses quant aux positions de l’ennemi alors que Jack veillait jalousement sur le nerf de la guerre : ]’argent. Lors de monséjour, la tribu avait gagné une grande bataille. Aprés le retourde Moncolonel, parti recevoir son trophée a |’assemblée annuelle des grands chefs, Jeanne avait préparé une salade de pommes de terre mémorable et nous avions festoyé une partie de la nuit... Aujourd’ hui, perdu chez les sauvages franciliens, je ne peux que souhaiter longue vie 4 cette tribu formidable. Patrice Romedenne célé- bre ces jours-cison 29¢me anniversaire. 13 mois de plaisir - octobre 87 a no- vembre 88 - avec l'équipe _ du Soleil de Colombie. Depuis son retour en France, a travaillé a a La Cing (télévision a la faillite de laquelle ila pris — part active) avant d'attérira France 2 (télé toujours) ol ilestaujourd'hui Grand reporter. C'étaitil ya peu. La télé ronronnait - a la maison, Ja télé ronronne en permanence - et le présentateur de service m'a fait lever une oreille. I] était question d'est, d'ouest, de sommet, de Clinton, de Eltsine et de sa bouche s'était échappé le nom de Vancouver. Bonsang, jallais l'oublier, les Dupondt de la planéte avaient rendez-vous 4 Vancouver ! La dessus, réagir vite. Primo, silence dans la maison. Secondo, on admire. - Mais qu'est-ce qu'il lui prend a celui-la ? - Ta gueule, regarde comme c'est beau ! Arrive le reportage. Au diable les palabres de Bill Eltsine et de Boris Clinton, au diable le commen- taire ! Ce sont les images qui m'intéressent ! Tout ¢a pour dire quoi ? Qu'ilasuffi de quelques plans - Le West End, False Creek, Canada Place - happés dans I'instant, pour déclencher en moi le feu d'artifices de souvenirs. Petit écran, grandes émotions... Emotion d'une ville imbriquée dans I'océan, enlacée avec la nature, dont il ne me reste -endépit d'un ciel réputé capricieux - que des parcelles ensoleillées. J'ai beau voyager, je ne trouve pas mieux. Emotion d'un ilot de francophonie donc de résistance qui depuis 25 ans guerroie dans la mer anglophone. Un combat pacifique, moins 4 cause du proche océan qu'en référence a la jovialité du généralen demeure la plus redoutable des armes. “Jzinetite, Jack ?". Alui, ason épouse, a toute la tribu Baillaut :bon anniversaire ! Pour étre simple et écculée, la formule a, jecrois, le charme de la sincérité et, je l'espére, le mérite de faire oublier mon silence. Par ces lignes, qu'ils trouvent d'une part réparation et d'autre part confirma- tion de mon défaut numéro un: croire qu'il suffit de penser aux gens que l'on aime pour qu'ils le sachent... Bisous. Patrice Romedenne France Inter (radio) puis | chef dont la foi active la fibre bénévole et l'accent: Francois Limoge Francois Bourboulon, 32 ans, marié, une fille (18 mois). Coopérant au Soleil de février 1985 a avril 1986. Journaliste au Matin de Paris (1986-1987), 4 Fortune France (1987-1990), Science & Vie économie (1990-1991) et au quotidien économique La Tribune (depuis 1991), en tant que chef d’édition. En voyant a la télévision les images de Vancouver 4 |’occasion de la rencontre Clinton- Eltsine, j’aieu une petite bouffée de nostalgie et la” bréve envie de refaire un tour par la Colombie- Britannique. Sept ans - déja - aprés mon retour, l’idée de ce “pélerinage” ne m’avait pas vraiment effleuré auparavant. [] est vrai que Vancouver est si loin de la France, et tellement a |’écart des grands axes de voyage des Européens. Mais revoir sur un petit écran Grouse Mountain et le Sea Wall, Brian Mulroney et Mike Harcourt, m’a rappelé bon nombre de souvenirs, au point que je me demande si je ne vais pas venir les rafraichir un de ces jours. Idée qui ne déplairait pas 4 ma femme Cristina, que j’ai rencontrée lors de ]’un des célébres café-croissants du Centre culturel et qui réve de revoir le West End, UBC ou Stanley Park. Et il faudra bien qu’un jour, j’y améne ma fille: aprés tout, grace a sa nationalité canadienne, elle est chez elle ]a-bas. Pour ma part, je n’étais pas chez moi la-bas (d’ailleurs, certains amis québécois me |’avaient rappelé, qui m’avaient traité de colonialiste ou d’impérialiste...), mais je m’y sentais bien. Comment, d’ailleurs, ne pas se sentir bien 4 Vancouver, l’une des plus belles villes du monde. J’y ai cotoyé des gens et des cultures que je ne connaissais pas, j’y ai fait des expériences (la radio, la télévision, la ligue d’impro...), vu des spectacles, des films, des piéces de théatre, fait du sport, du sport et du sport. Et surtout, cette immersion dans un monde anglophone m’a permis de découvrir cette identité francophone que les “Francais de France” ont une facheuse tendance a négliger, voire oublier. Alors a bientét sans doute. Je reviendrai a Vancouver (a chanter sur une musique célébre de Robert C.). Et je sais que je ne serai pas trop dépaysé : la lecture réguliére du Soleil montre que le Vancouver francophone que j’aiconnu, avecses hauts et ses bas, ses qualités et ses travers, n’a finalement pas tellement changé. Francois Bourboulon