—— busy niles stp iigioe oJ 18, Le,Soleil de Colombie, vendredi 14 mars 1980 Un pionnier se penche sur son passé ATHABASCA, Terre de ma jeunesse Par Pierre Maturié L’attente ne fut pas lon- “gue et, le 3 aoiit, la décla- ration de guerre survint, et le lendemain le commen- cement de la grande tuerie. Bien qu’exempté du service militaire et naturalisé cana- dien déja en 1913, je décidai de m’engager comme volon- taire. Mais les bureaux de recrutement ne souvraient pour ces enrdlements qu’a partir du 24 aofit, j’étais obligé d’attendre cette date. Déja, dans ma petite ville, tout paraissait changé; les amis, mobilisés, étaient par- tis, dispersés. Mon ami Gas- péri avait été incorporé au 138e R.I. a Magnac-Laval; Armand et Jean avaient rejoint leurs unités, le pre- mier comme sous-lieutenant au 2le Chasseurs a cheval a Limoges, son frére au 109e a Chaumont, Marguerite réfu- giée au sein de la famille avec ‘son petit chéri. Enfin, ma «princesse lointaine» était toujours perdue dans les brumes du Nord. C’était done le grand bou- leversement... Le 24, a l’ouverture du bureau de recrutement, je me présentai a la caserne Brune et signai cet engage- ment et le 26 aoit, je partais rejoindre le 27e R.I. a Dijon. Aprés quelques jours d’exercices, tous plus inuti- les les uns que les autres, sauf les tirs au Lebel, je partis, fleur au fusi] avec une centaine d’hommes: nous al- lions combler les vides du 95e R.I. qui venait de se faire durement étriller en Lorraine. Je rejoignis ce régiment a Mécrin, dans la Meuse, et ce fut pour nous le début de ce premier hiver si dur de 1914, pour lequel rien n’avait été préparé, hiver que nous passdmes dans les tranchées de triste mémoire du Bois d’Ailly, dans la forét d’Apre- mont. EPILOGUE Je ne veux pas vous faire ici des récits de la guerre. Mon but, en écrivant ces modestes pages, était sim- plement de vous raconter quelques péripéties de mes premiéres années sur le sol canadien. La guerre de 1914-1918 fut bien la raison majeure et déterminante, la seule d’ail- leurs, de la cassure qui se produisit dans la belle or- donnance des projets que javais construits avec tant de ténacité et d’espoir. Mais dés que je fus plongé dans l’engrenage inexorable des combats qui broyaient tout, hommes et choses, je compris la -vanité des déci- sions humaines qui sont fra- giles comme un cristal. Adieu, mon Canada, mon cher Athabasca, et la maison de logs dominant la riviére et batie avec tant de peines et tant d’amour... Adieu, mon beau plateau et les champs défrichés, et le lac sur lequel je contemplais parfois, passant comme une escadre miniature, une cou- vée de jeunes poules d'eau. ~ SSeS se. 62 eee ee ( suite) Adieu, le ciel pur que ne déchirait pas la fureur des obus. Adieu, mes bois si calmes que troublaient seu- lement la folle sarabande des écureuils ou le cri mo- queur des « whisky jacks » effrontés. : Et malgré tout, je ne re- grettais rien. En voyant tomber autour de moi, l'un aprés l'autre, et jour aprés jour, mes camarades, hier des inconnus et devenus des fréres, je compris que nous étions la comme un rempart pour la terre de France, et pour tous ses foyers, pour ses berceaux et pour ses tombes. Tout ce que javais, vécu et tous ces radieux souvenirs, pourtant si proches, mais qui semblaient surgir d’un passé bien lointain, ne m’appa- raissaient désormais que comme ces images de réves d’une nuit que le ciel du matin chasse comme un brouillard. J’étais un soldat, je ne m’appartenais plus; j’étais une unité minuscule dans - cette masse d’hommes venus de tous les horizons, avec toutes leurs faiblesses et aussi tous leurs héroismes, et promis aux prochaines hécatombes. Avec cet état d’ame, plus rien de comptait pour nous, pour moi. Seul nous restait le fragile présent; nous n’avions plus le droit de croire en l’avenir et chaque heure écoulée était.un mo- ment de survie dérobé a la grande mangeuse d’hom- mes. Nous vivions et c’était bon... : Aussi rien d’étonnant, dans cette ambiance d’aban- don de soi, pur fatalisme chez les uns, soumission aux desseins de la Providence chez les autres, que je me sois laissé aller 4 aban- donner le paiement des éché- ances sur mes lots de Palm Beach, persuadé que si mon esprit vagabondait encore vers les grands~ espa- ces canadiens et mon home d’Athabasca, mon corps était déja marqué pour ja- lonner, le long des crétes et des bois des hauts de Meuse, la ligne interdite aux batail- lons allemands. « Carpe diem »... Cueille le jour... chantait le beau poéte Despax... Mais pour nous, tous les moments de nos journées portaient la méme empreinte d’angoisse et de mort. Aussi, quand, 4 Iarriére, nous pouvions respirer, sans crainte, l’air paisible ot la Mort, pour un moment, ne rodait plus, c’était avec fré- nésie que nous allions cueil- lir le jour qui, pour notre repos, offrait 4 nos yeux sa belle aurore et son tendre crépuscule... Les années passérent: des années si Apres au coeur, si lourdes au corps, que chacu- » ne d’elles paraissait un sié- cle. Ces années, je les ai vécues comme les autres, faisant de mon mieux, avec * peut-étre mdéins de mérite et iit ee ee ee de courage, que ces chefs de famille qui, ayant quitté femme et enfants, sentaient leur vie écartelée. Au cours de mes permis- sions, j’'avais pu, par le truchement d’une invitation faite par ma soeur, revoir enfin celle qui avait toujours tenu, parfois méme incons- ciemment, dans mes pen- sées, un role directeur. Tel- les ces eaux souterraines qui cheminent longtemps, muet- tes, dans les profondeurs de la terre, pour ressurgir brus- quement en une belle source chantant sous le soleil. Ce fut alors que je deman- dai a la « blonde enfant de ma jeunesse » si, les combats terminés, elles accepterait de s’unir a moi pour notre vie, pour le meilleur et pour le pire. La réponse fut « oui ». Notre destin com- mun était désormais lié. La Providence, dans toute sa puissance, m’avait bien conduit, par la main, jus- qu’au havre de délivrance. Le fait de mon retour cana- dien, ces hostilités qui, pour beaucoup, furent, hélas, l'anéantissement familial ou matériel, tout ce faisceau de circonstances avait été pour moi un aboutissement. Si, étant revenu en France, jen étais reparti, suivant les projets établis, sans fixer le point senti- mental, il est vraisembla-_ ble que, repoussé du coeur d'une jeune fille par les solli- citations des présents, l’ab- sent, perdu dans les brumes de simples souvenirs, eut été oublié. : La démobilisation surve- nant, nous nous sommes mariés le 23 avril 1919. Et, depuis ce jour, contre vents et marées, sous le soleil ou daas les orages, nous nous sommes tendrement et fidé-- lement aimés, dans un foyer auquel la chére présence de nos deux enfants a encore ajouté la joie et le bonheur. Malheureusement, avant le carillon joyeux des clo- ches, des glas avaient re- tenti. Léon, le frére de ma femme, avait été tué au - combat presque a la fin de Vhorrible carnage; Jean avait été emporté, juste aprés l’armistice, par la mau- vaise épidémie qui avait pris la reléve des canons, de méme que mon bon ami Max Gaspéri, pilote a |’escadrille des « Guépes », lui aussi rescapé du_ grand holo- causte. Et combien d'autres de mes camarades man- quaient a l’appel douloureux des vivants... Ainsi, mon retour 4 mon cher Canada, qui devait se situer vers fin juillet 1914, eut lieu en mai 1919, en compagnie d’Armand, de sa femme et de son jeune fils, et mes chers parents déci- dérent de se joindre a nous. Je ne vous parlerai pas dans ce modeste ouvrage de ce deuxiéme séjour qui fera - peut-étre l’objet d’un autre recueil, si le temps m’en est Manitou. Car j’aurais beau- coup de choses a raconter sur ces nouvelles années canadiennes, dans la région toute neuve qui s’étendait plus au nord, vers la riviére de la Paix, et dot nous avons ramené, en plus de souvenirs précieux, le plus beau des cadeaux: une ravis- sante petite fille. Car il y eut la aussi un retour, un retour que je ne désirais pas, et dont j’ai porté et porte encore aujour- d’hui, un gros poids de re- grets. Mais ma femme m’avait donné, aprés notre mariage, une grande preuve d’amour, en laissant derriére elle de bien vieux parents qu’elle aimait beaucoup. Il était juste de ma part, quand elle sentit peser vrai- ment sur leurs vieilles épau- les le lourd fardeau de la solitude, il était juste de ma. part de lui donner, en échan- ge, la grande joie des re- trouvailles.’ Et ce fut ainsi que l’un cherchant toujours a chaque heure de notre vie 4 faire le bonheur de |’autre, nous sommes arrivés, sur le che- classées. & J ’ NOM ADRESSE VILLE — Abonnez-vous... cree ——— ‘ as i-joint lasommede $...... pour ( ) abonnement ) renouvellement au Soleil de Colombie | inclus lasomme de 6.......... pour don en aide CODE POSTAL Tan: Canada $10.00 U.S.A. et autres pays : $13.00 _laissé par le Grand Kisé- , Saaow min plus rocailleux des vieil- les années, aussi unis qu’aux premiers jours. Maintenant, de méme que. le soir apporte ses ombres sur la lumiére de la plus belle journée, descend sur mes vieux ans la tristesse des choses passées. Et quand,.en- ces nostalgiques soirées d’automne, le coeur se sent parfois trop lourd, je revois, en esprit, la gran- deur des foréts canadiennes, et la douceur des lacs dans l’écrin des feuillages, et les creeks bavardant au fond de leurs coulées... Mais ot sont donc mainte- nant, aprés plus d’un demi- siécle, les pistes des sous- bois et les chemins que j'ai -tracés? Et que sont deve- nues mes cabanes qui, lors- que jouvrais leur porte, me donnaient l’accueil d’un pa- lais?... Sans doute, ployant com- me moi sous le poids des ans, lasses d’attendre mon re- tour, elles se sont abattues comme celle que j‘avais trou- vée, un jour, dans sa clai-. riére, prés des Rocheuses, au gré de mes vagabonda- ges... Ah! la muette douleur des pauvres choses mortes... Et vous tous, mes amis, toi mon cher et fidéle Clé- ment, Perry le rancher, et Fitzgibbon et vous les Menut, toi le vieux métis du Baptiste Creek, et toi Lim- ping Jo, sous quel sapin de la riviére as-tu fait ton dernier — c'est mieux! Soyez au courant des diverses activités ayant lieu en francais en Colombie- Britannique. Ayez une idée de la politique fédérale en ce qui touche les droits des citoyens francophones au Canada.En recevant “Le Soleil de Colombie” toutes les — semaines, vous recevez aussi le TELE-SOLEIL, horaire détaillé des émissions de télévision de CBUFT. Vous pouvez suivre nos bandes dessinées, faire nos mots croisés, jeter un coup d’oeil sur le sport, lire nos commentaires éditoriaux. “Le Soleil de Colombie”, c’est toute une aubaine pour qui veut vendre, louer, échanger quelque chose ou encore trouver du travail ou en offrir... par notre service gratuit d’annonces Lisez et faites lire Le Soleil! Découpez et remplissez le coupon ci-dessous Le Soleil de Colombie, 3213 rue Cambie, ~ ‘Vancouver, C.B. V5Z 2W3 DATE campement? Ou donc dor- mez-vous tous, amis de ma jeunesse?... Maintenant, je termine ma vie, pris dans le corset de la « civilisation »: ot la lutte est certes aussi dure, plus dure peut-étre — parce que se faisant sous un masque d’hypocrisie et de bonnes maniéres —, que dans les terres presque inconnues qu’on appelait « sauva- ges »... Mais ot sont les « sauvages »? La-bas, dans nos grands bois, nous pouvions aller et marcher bien droits car, seul, nous faisait courber Véchine le fouet des bran- ches forcées par le passage... Mais ici, cette débauche de platitude devant le Pouvoir, quelle qu’en soit la couleur, courtisans éternels adorant le veau d’or. Et devrais-je dire, comme il est écrit dans la pierre des admirables sculptures de no- tre joyau quercynois de Montal: « Plus d’espoir »... Plus d’espoir en la sagesse des hommes et des peuples, plus d’espoir en la fraterni- té et en l'amour humains, plus d’espoir en mon cré- puscule, de voir enfin la charrue remplacer le canon... Et dans mes souvenirs, je continue mon réve, « dans mon petit jardin et sous mon catalpa Des: FIN