wcitme epee cm es et pest Ses oonsttan tnt rt El FO a a Se ee 12 Le Soleil de Colombie Les Voyageurs A l’exception de quelques bré- ves relations de ce genre, les descrip- tions du tempérament et de I’appa- rence physique des voyageurs sont trés rares. Le Dr John Bigsby, secré- taire de la commission chargée de fixer la frontiére entre le Canada et les Etats- Unis a la suite du Traité de Gand en 1814, légua a la postérité, dans l’un de ses journaux inlimes, une précicuse description des traits tourmentés des voyageurs. «Le visage de I’un des hommes, qui avail un grand nez juif, semblait avoir été pris dans un ¢tau ou sous un laminoir. On cat dit qu’il avait été taillé 4 coups de hache. Un autre avail eu une narine arrachéc. Il se révéla étre le pitre du groupe, doté de l’extraordinaire faculté de modifier a volonté l’expression de son visage et de donner a celui-ci un aspect presque effrayant. Il parvenail aussi a faire perdre 4 l’un de ses yeux sa position ‘habituelle... Mais nul homme n’était aussi amusant, aussi joyeux que lui, lorsqu’il le voulait. Il y en avait un troisiéme, dont les traits semblaiecnt étirés vers la droite, pas au point de déformer gravement son visage, mais suffisamment pour créer un effet remarquable. Il avait été «giflé» par un grizzly. Le quatri¢me était un homme agé, de petite taille, avec une grosse bedaine. Il avait un visage large dé- pourvu de front. C’était le dernier des hommes que j’aurais voulu choisir mais il était travaillcur ct répondait au so- briquet de «Passe-Partout» car il avait beaucoup voyagé. En outre, il avait la réputation de pouvoir dévorcr une incroyable quantité de poisson en un seul repas... A I’exception des indivi- dus trés jeunes, tous ces hommes avaicnt le visage court, mince, mobile ct creu- sé de profonds sillons.» Les voyageurs portaicnt Ics cheveux longs afin d’éloigner, en secouant leur criniére, les insectes assoiffés de sang, Petits et trapus comme des percherons, ils étaient fiers comme Artaban de leur toilette, simple mais voyante. Ils portaient des mocassins de peau de cerf ou d’orignal sur leurs ++ — a (suite) ( Ni it pieds nus, un pantalon de velours c6- telé et une capote bleu ciel (avec des boutons de laiton et agrémentée d’un capuchon) sur une chemise de flanelle a Carreaux noirs et rouges. Leurs pan- talons étaicnt retenus au genou par une sorte de jarreti¢re ornée de pierres colorées. Leur taille était entourée d’un ceinturon écarlate, tissé a 1a main (la fameuse ceinture fléchée). Certains accordaient leur préférence a une cape de peau de cerf brodée, dont les coutu- res étaient décorées avec des poils d’ours. Lorsque le vent s’engouffrait dans la cape aprés unc averse, le véte- ment émettait un bruit étrange et lanci- nant, comparable aux battements d’ai- les d’un lagopéde. Mais c’était dans le choix des chapeaux que les voyageurs faisaient preuve de personnalité. Cer- tains portaient des bonnets de nuit trés hauts, agrémentés de pompons rou- ges. D’autres préféraient les casquet- tes a visiére de rude toile bleue, ou les toques, ou les foulards de couleur noués en turban. Les hommes du Nord pro- clamaient leur fierté en agrémentant leur couvre-chef de ce qu’ils préten- daient étre des plumes d’autruche, mais qui n’étaient en général que des plu- mes poulet teintes. Parfois, ils l’or- naicnt de queues de renard. 7 MT Wl Leurs canots étaient une partic d’eux-mémes, presque au méme titre que leur véture. Concus par les tribus algonquines des foréts de l’Est, ces = esquifs fragiles mais polyvalents étaient ~ non seulement le moyen de transport mais aussi l’abri et le sujet de conver- sation favori des voyageurs. Construits en écorce de bouleau jaune, les canots taient d’extraordinaires embarcations qui pesaient moins de trois cents livres (leur poids doublait lorsqu’ils étaient imbibés d’cau) mais pouvaient trans- porter quatre tonnes d’équipage et de cargaison. L’écorce pourrit trés lente- ment, si tant est qu’elle pourrisse, et tolére trés bien le gel et la chaleur. Elle est composée de plusieurs couches séparées et peut donc étre amincic et fagonnée sans perdre de sa résistance a la tension. Une hache, un couteau «croche» ct une équerre, ou une aléne indienne, quelques racines d’épinette et de la gomme 4 sapin suffisaient a construire un canot qui durait plu- sicurs saisons. L’écorce de bouleau était moulée autour d’une charpente de cédre, a laquelle étaient adaptés des nervures, des plats-bords, des bancs de nage et des éléments de proue et de poupe en épinette ou en fréne. On utilisait les racines d’épinette pour coudre l’écorce de bouleau et de la gomme de résineux pour rendre les coutures étanches. Les grands canots de marchan- dise (canots de maitre) qui s’élangaient de Lachine avaient trente-six ou qua- rante pieds de long et cing de large. Ils étaient manoeuvrés par une douzaine d@hommes et pouvaient transporter jusqu’a soixante-dix ballots de quatre- vingt-dix livres chacun. Les «canots du Nord», plus petits, n’avaient que vingt-quatre pieds de long et a peine plus de quatre pieds de large. Ils n’étaient barrés que par six hommes d’équipage mais pouvaient néanmoins transporter une tonne et demie de marchandises. En dépit de leurs capa- cités étonnantes, les embarcations étaient si fragiles que les hommes n’osaient guére changer de place et, au cours des débarquements, il fallait qu’ils évitent soigneusement de s’échouer. Au moment opportun, l’équi- page sautait dans |’eau peu profonde pour guider délicatement 1’embarca- tion le long de la berge. (Ces canots se renversaient avec une facilité décon- certante. Hugh Mackay Ross, un né- gociant de la C.B.H. qui essaya d’en manocuvrer un, écrivit dans ses mémoires: «Il suffit de cligner des yeux pour faire basculer le canot.») La proue et la poupe de chaque esquif portaient l’embléme de la Compagnie (scs initiales en lettres d’or sur le battant du pavillon rouge), un cheval cabré ou une téte d’Indien ornée de peinture de guerre, mais c’étaient les pagaies qui étaient de vrais objets _ d’art. Fabriquées en cédre rouge, elles pouvaient avoir jusqu’a neuf pieds de long, selon l’endroit ot était assis le canoteur. Elles peintes en bleu ou en vert vif et ornées de motifs rouges et noirs. La cadence de nage, quarante- cing coups de pagaic a la minute, per- mettait 4 un canot d’atteindre une vi- tesse de six nocuds. Cependant, les équipages des canots rapides allaient — jusqu’au rythme surhumain de soixante coups de pagaie a la minute. Le seul autre moyen d’accroitre la vitesse consistait 4 hisser la voile par vent debout. La voile, soit la bache utilisée ordinairement pour recouvrir la car- gaison, était fixée a un mat improvisé fait de branches élaguées, ligotées aux bancs de nage et au plat bord. Ce gréement de fortune n’était que rare- ment ulilisé. Toutefois, lorsque le vent soufflait dans la bonne direction et que le pilote accomplissait correctement son travail, les canots ainsi ailés pou- vaient glisser sur l’onde a la vitesse exaltante de huit nocuds. Chaque printemps, les voya- geurs se rassemblaient au Vieux Mar- ché de Montréal pour quelques jours qu ils passaient a boire, a se chamailler et a se détentre avant d’emprunter Ie chemin de neuf milles qui permettait d’éviter les rapides de Lachine et qui menait a la zone des principaux entre- pots de la C.N.- O., point de départ de la longue odyssée vers |’Oucst. Les bois et prairies des envi- rons n’avaient pas encore retrouvé leur feuillage que les préparations frénéti- ques du grand départ commengaient. «Nulle caravane de chameaux ne tra- versa |’ Anatolic aussi stirement ct aussi rapidement que les escadres de canots au cours des temps héroiques de la traite canadienne des fourrures, écri- vit Leslie F.Hannon dans une bréve étude sur cette époque. Nulle diligence européenne n’eiit survécu a un mille de cet itinéraire. Pas de route mais des rochers, des rapides et de l’eau vive tout au long du chemin. Pourtant, les pertes de cargaison ne dépassaient guére 0,5 p. 100 par voyage.» Les bourgeois exhibaient céré- monicusement leur tenue de brousse: manchettes de dentelle et pistolet a crosse de laiton passé dans la ceinture, a la mode des bandits de grand che- min. Ils offraient de somptucux pique- niques d’ adieu a leurs courtisans, cette coterie formée d’associés secondai- res, de commis, de subalternes pous- siéreux aux petites vies mesquines, et de dames, toujours présentes, qui for- mait leur univers montréalais. Les hommes de la C.N.- O. sentaient qu’une étape de leur vie allait commencer tandis qu’inspirés par la solennité de l’instant, ils portaient des toasts a la maniére gaélique: «A nous, la Haute Kanadushka!>», jurant d’ouvrir a la traite un continent peuplé d’on ne savait quelles richesses. Tout en grignotant du fromage piquant et en se gavant d’esturgeon fumé, de steacks de venaison et d’ours arrosés des meilleurs bordeaux ou de ‘madre, les bourgeois supervisaient le chargement des canots, s’assurant que les ballots de proue étaient correcte- ment installés avant que le reste de la cargaison fit délicatement posé sur les fragiles lattes de cédre qui for- maient le fond du canot. Un fois les embarcations pleines, Ic plat-bord ne dépassant le niveau de l’eau que de six pouces, on hissait en proue le pavillon de la Compagnie et les barreurs piaf- faient d’impatience en attendant que Vescadre fit préte. Juste avant Ie der- nier signal du départ, un grand silence enveloppait la foule rassemblée. Les milieux courbaient |’échine, préts a plonger leur pagaie dans 1’eau, les bourgeois Gtaient leur chapeau de castor et saluaient les amis restés a terre, les amants échangeaient un dernier re- gard. Enfin le premier guide, élevant une barre de timonier au-dessus de sa téte, abaissait soudain les bras en s’écriant: «Avant!» Chaque pagaic fendait l’eau, comme elle allait la fendre un nombre incalculable de fois tandis que les canots parcourraient une dis- tance égale a la largeur de I’ Atlanti- que. Ce n’est pas demain qu’ils retrou- veraient ce havre accucillant. Les escadres en formation rangée se sui- vaient 4 deux longucurs de canot; la bonne humeur régnait parmi les voya- geurs qui s’éloignaient dans une nuée de rires et de cris joyeux. Tiré du livre de Peter C. Newman LES CONQUERANTS DES GRANDS ESPACES Edition de L_ HOMME ee Vol. 4 no 2 LE COURRIER DE LA SOCIETE D'HISTOIRE, Juillet 1991 Vol. 4 no 2 LE COURRIER DE LA SOCIETE D'HISTOIRE, Juillet 1991 seenietieincdinesttinnetianmetsmeedinimetsineatiiaeditiee diie adie am ata eee aaa en nee ae ae se z E “po a i ll ll Da ye El ee ol s— aa